.1.-5... \ ...:i'....s's..v vy. \ I0R.ONTO COLLECflbN CANADIENNE FRANÇj^Sé^^^" CiRCULATING |j[BRAF(Y AXt^a^cJv^, A^AM^e^y^ ^^\4VlM.e^ y&e^>t^^\■ X^<^^i\^ u Le voyage fut riule, et le péril fut gTancl. Pourtant, après avoir, plus de deux mois durant, Vogué dans les hasards de l'immensité fauve, La petite flottille arriva saine et sauve Auprès de bords peixius sous d'étranges climats . . . — Terre ! cria la voix d'un mousse au haut des mâts. C'était le Canada mystérieux et sombre. Sol plein d'horreur tragique et de secrets sans nombre. Avec ses bois épais et ses rochers géants, Emergeant tout à coup du lit dee >céans 1 — 52 — Quels êtres inconnus, quels terribles fantômes De ces forêts isanss fin lianteut les vastes dômes, Et peuplent de ces monts les détours hasardeux ? Quel génie effrayant, quel cerbère hideux Va, louche Adamastor, de ces eaux diaphanes, Surgir pour en fermer l'entrée à ces profanes ? Aux torrides rayons d'un soleil aveuglant. Le cannibale est là peut-être, l'œil sanglant. Comme un tigre embusqué derrière cette roche, Qui guette, sombre et nu, rimprudent qui s'approche. Point de guides ! Partout l'inexorable accueil ! Ici c'est un bas-fond, là-bas c'est un écueil; Tout semble menaçant, sinistre, formidable ; La côte, noirs rochers, se dresse inabordable. . . Les fiers navigateurs iront-ils jusqu'au bout — En avant ! dit Cartier qui, front grave et debout, Foule d'un pied nerveux le pont de la dunette. Et, pilote prudent, promène sa lunette De tribord à bâbord, sondant les horizons. Alors, défiant tout, naufrage et trahisons, Drapeaux au vent, la (Jninde et la Petite-Hermine, Avec VEinerUlon, qui dans leurs eaux chemine, Le Breton, qu'on distingue à son torse puissant, Jalobert, le hardi caboteur d'Oueesant, Qu'on reconnaît de loin à sa taille hautaine, Tous, au commandement du vaillant capitaine. Entrent dans l'entonnoir du «rand fleuve inconnu. Morne aspect! De forêts un réseau continu Se déploie aussi loin que le regard s'élamce. Nul bruit ne vient troubler le lugiibre silence Qui, comme un dieu jaloux, pèse de tout son poids Sur cette immensité farouche des grands bois. A gauche, des sommets perdus dans les nuées; A droite, des hauteurs qu'on dirait remuées Par quelque cataclysme antédiluvien ; En face, l'eau du fleuve énorme qui s'en vient Rejaillir sur la proue en gerbes écumantes ; Des îlots dénudés par l'aile des tourmentes ; — 54 — De grands caps désolés ^'avançant dans les flots ; Des brisants sons-marins, effroi des matelots ; Des gorges sans issue où le mystère habite ; Partout Taustérité du désert sans limite, La solitude vierge en sa sublimité! Pourtant, vers le Couchant le cap orienté, La flottille s'avance ; et sans cesse, à mesure Que les lointains brumeux que la distance azuré Se dessinent plus clairs aux yeux des voyageurs, Rétrécissant aussi ses immenses largeurs, Le grand fleuve revêt un aspect moins sauvage; Son courant roule un flot plus calme; le rivage Si sévère là-bas devient moins tourmenté ; Et, tout en conservant leur fière majesté, Ces vastes régions que le colousse arrose. Où la forêt sommeille, et dont le regard ose Pour la première fois sonder les profondeurs, Se drapent par degrés d'écilatanteis isplendeurs. — 55 — Le coup d'oMl ooiistaiiiinent se transforme et varie. Enfin, la rive, ainsi qu'un décor de féerie. Sous le flot qui aires ? Quand, épris d'un seul but, le cœur plein d'un seul vœn, Ils passaient sous votre ombre en criant : — Dieu le veut ! Défrichaient la forêt, créaient des métropoles ; Et, le soir, réunis sous vos vertes coupoles. Toujours préoccupés de mille ardents travaux. Soufflaient dans leurs clairons l'esprit des jours, nouveaux? Oui, sans doute; témoins vivaees d'un autre âge. Vous avez survécu tout iseuls au grand naufrage. Où les hommes se sont l'un sur l'autre engloutis; Et, sans souci du temps qui brise les petits, Votre raimure, aux coupts des siècles échappée, A tous les vents du ciel chante notre épopée ! Voici du Sagiienay la gorge énorme et sombre î Notre steamer, au fond d'une anse pleine d'ombre Dormait tout essoufflé comme un grand cacli'a.lot. Nous avions pris pour guide un jeune matelot Qui, nous avait-on dit, connaissait bien la côte. Nous gravîmes d'abord une berge assez haute ; Puis un sentier, perdu sous les arceaux géants De vieux ormes penchés sur des ravins béants Au fond desquels grondaient d'invisibles cascades. De détour en détours et d'arcade en arcades, — 62 — Nous conduisit au bord d'un pilateau rétréci, Où le miide tit halte, et nous dit : — C'etst ici ! Nous étions parvenus sur un coin de falaise, Angle de roc saillant d'où Ton pouvait à l'aise Contempler dans sa fière et rude majesté Du morne Tadoussac l'horizon tourmenté. De ces hauteurs, au «ein de cette nuit tombante, L'ombre était solenmelle et la scène absorbante. Ici, le l^aint-Laurent qu'on entend bourdonner Vag'uement, et qui laiisse à peine deviner Ses lointains vaporeux noyés dans les ténèbres; Là, le SaoTiienay noir, avec ses pics célèbres Qui, jetant des flots d'(mibre opaque aux nlentoure, Semblent comme un amas de fabuleuses tours Pleines de je ne sais quel farouche mystère, Dressé là pour garder la fantastique artère. — G3 — A nos pieds le steamer bondé de voyageurs, Hissant de ses fanaux les sanglantes rougeui*«, Ainsi que des reflets de brûlante oriflamme, Dans la pénombre, au loin, fait brasiller la lame. Et puis, par-dessus tout, un beau ciel étoile Faisant, cintre d'azur de points d'or constellé. Comme un dôme féerique à ce scKmbre estuaire. . . . Derrière nous, dans l'ombre, un petit sanctuaire, Temple paroissial de cet obscur canton, Ouvrait son humble seuil au lieu même oii, dit-on, Quatre siècles passés, sur un autel rustique, Pendant que le refrain de quelque vieux cantique Etonnait les échos de ces monts inconnus. Devant Oartier et ses bardis marins, venus Pour arracher ces bords anx primitifs servages. Pour la première fois sur ces fauves rivages, Un vieux prêtre breton, humble médiateur. Offrit au Dieu vivant le sang du Rédempteur. (J) — 64 — La lune me surprit là, plongé dans mes rêves, Seul, et prêtant l'oreille à la chanson des grèves. Qui m'arrivait mêlée aux cent bruits indistincts De la forêt voisine et des grands monts lointains ; " Car, après un coup d'œil, devant la nuit croissante, Mes compagnons avaient tous repris la descente, Sans jouir plus longtemps du nocturne concert ; Et j'étais resté seul sur le plateau désert. Alors de souvenirs quelles vagues pressées Envahirent soudain mo^n âme et mes pensées ! O sainte majesté des choses d'autrefois. Vous qui savez si bien, pour répondre à ma voix. Peupler de visions ma mémoire rebelle. Que vous fûtes pour moi, ce soir-là, grande et belle ! Je vous revis, là, tous ensemble agenouillés, Buides marins bretons, dans vos cabans souillés — 65 — Et raidis sous l'embrun des mers tempétueuses, Au milieu de ce cirque aux croupes montueuses, Au fond de ce désert, loin du monde connu, Offrant à l'Eternel, tête batsse et front nu, Sur le seuil redouté d'un monde ouvrant ses portes L'holocauste divin qui fait les âmes fortes. Entre rbomme et le ciel sublime effusion ! C'était l'enfantement, c'était l'éclosion. Sur ces rives par Dieu lui-même fécondées, D'un nouvel univers aux nouvelles idées ; C'était l'éclair d'en haut perçant l'obscurité ; C'était l'esprit chrétien, l'esprit de liberté, Ouvrant, sur cette terre entre toutes choisie, L'aile de la prière et de la poésie ! Et quand, le cœur ému, rêvant et méditant, J'évoquais ce passé si loin de nous pourtant. Je croyais voir ce prêtre, en élevant l'hostie. Des conflits d'autrefois proclamer Tamnistie. — 66 — Je croyais voir aussi, du fond das bois épais, Labarum bienfaisant de concorde et de paix, Comme une grande main f raterneLle ee tendre . . . Et, dans l'ombre du soir, iil me semblait entendre Une voix qui disait, venant on ne sait d'où : — Devant moi seul ici l'on pliera le genou ! /'y 'il/ Ce site, t'est (Québec. Au uord inoiiteut splendides Les écbelous lointains de» vastes Laiirentides. En bas, le fleuve immense et i)aisible, roulant Au soleil du matin siiu flot suiierbe et lent, Reflète, avec les pins des graujds rochers moroses, Le clair azur du ciel et ses nua^ies roses. Nous sommes en septembre ; et le blond fructidor. Qui sui- Lu i)laine verte a mis des teintes d'or, Au front des bois bercés par les brises flottantes Répand comme un fouillis de couleurs éclatantes ; On dirait les joyaux d'un oii!,anteS(pie écrin. — GS — Un repos solennel plein de calme serein Plane encor sur ces bords où la chaste Nature, Anx seuls baisers du ciel dénouant sa ceinture, Drapée en sa sauvage et ruistique beauté, Garde encor les trésors de sa virginité. Cependant un lambeau de brise nous apporte Comme un refrain jovdix qu'une voix mâle et forte, Mêlée à des éclats de babil argentin, Jette dans Fair sonore aux écbots du lointain. Ce sont des moissonneurs avec des moissonneuses. Ils suivent du sentier les courbes sablonneuses. Et, le sac à l'épaule, ils cheminent gaîment. Ce sont des émigrés du doux pays normand, Des filles du Poitou, de beaux gars de Bretagne, Qui viennent de quitter leur lande ou leur campagm Pour fonder une France au milieu du désert. L'homme qui les conduit, c'est le robuste Hébert, Un vaillant ! le premier de cette forte race Dont tout un continent garde aujourd'hui la trace, — 60 — Qui, dans ce sol nonve.an par son bras assaini, Mit le grain de froment, trésor du ciel béni, Héritage sans prix dont la France féconde Dans sa maternité dota le nouveau monde. Ils vont dans la vallée où les vents assoupis Font ondoyer à peine un flot mouvant d'épis Qu'ont mûris de l'été les tépides haleines. Bientôt le blé jauni tombe à faucilles pleines; La javelle, où bruit un essaim de gTillons, S'entasse en rangs preissés au revers des sillo'ns, Dont le creux disparaît sous l'épaisse jonchée; Chaque travailleur s'ouvre une large tranchée; Et, sous l'effort commun, le sol transfiguré Laisse tomber les plis de son manteau doré. Le soir arrive enfin, mais les gerbes sont prêtes: On en charge à pleins bords les rustiques charrettes Dont l'essieu va ployant sous le noble fardeau; Puis, presque recueilli, le front ruisselant d'eau. 70 Pendant que, stupéfait, l'enfant de la savane Regarde défiler letrange caravane, Et s'étonne à l'aspect de ces apprêts nouveaux, Hébert, qui suit, ému, le pas de ses chevaux, Rentre, offrant à Celui qui donne l'abondance La première moiisson de la Nouvelle-France! (^) C'était le désert fauve eu sa spleudnii- austère. Eieu u'auimait eucor le vieillie coiu de terre Où Moutréal devait plus tard dresser ses tours. En aval du courant, vx suiv:int les détours Qui creusent çà et là les rives ombrag-ées. Sous les feux du midi, trois ]>irooues cliarjïées, Mirant leurs flancs plovt^s çonnaient guère Le farouche Iroquois embusqué si près d'eux, Croyant pouvoir courir ce risque hasardeux, Pour travailler aux chaimps, avaient eu l'imprudence De laisser tout un jour leurs logis sans défense. Et voilà que le fruit de dix ans de sneurs Va tomber au pouvoir de ces lâches tueurs. — 80 — Mais Jeanne Hachette est là ! L'héroïne si chère A la France, chez nous c'est "Jeanne" de Verchère l Elle n'a pas seize ans. Voyant de toutes parts L'ennemi la cerner, elle monte aux remparts. Chaque porte est bien close, et les armes rangées Dans chaque bastion sont là toutes chargées. Elle prend un mousquet, met en joue et fait feu. . . . Un homme tombe, un autre encore, et peu à peu Les sanglants agresseurs, pris d'une rage folle. Sous le canon qui tonne et la balle qui vole, Interdits, et croyant voir leurs rangs décimés Par une garnison de soldats bien armés. Laissent morts et mourants, et battent en retraite! {^^) Hélas î en feuilletant ces pages, l'on s'arrête A des drames beaucoup plus froids et plus na\Tants. D'où viennent ces clameurs et ces cris déchirants ? C'est un bourg tout entier surpris dans la nuit noire Par quinze cents bandits, et — lamentable histoire! — Aux horreurs d'un massacre incroyable livré. Par la haine et le sang le regard enfiévré, De tous côtés la horde infernale se rue. — 81 — On égorge partout, sous les lits, dans la rue; On poignarde, on fusille, on écartèle, on fend Le crâne du vieillard sur le corps de l'enfant; On déchire le ventre à des femmes enceintes ; Et plus loin, arrachés aux suprêmes étreintes, On jette en pleins brasiers des petits au berceau ; Enfin, quand le village est réduit en monceau De débris calcinés et de cendres rougies, Pour assouvir leur soif d'effroyables orgies. Les démons tatoués s'en vont en tapinois Recommencer plus loin leurs monstrueux exploits. (^^) O France, ces hérous qui creusaient si profonde, Au prix de tant d'efforts, ta trace au nouveau monde. Ne méritaient-ils pas un peu mieux — réponds-moi! — Qu'un crachat de Voltaire et le mépris d'un roi ! Sceptiques on croyauts, oui, tous tant que nous sommes, Courbons ici nos fronts! Ceux-là furent des hommes, Des soldats du proorès, des héros et des isaînts. Peut-être surent-ils, mieux encor que les autres, Du Dieu dont ils s'étaient faits les humbles apôtres. Comprendre ici les grands desseins. Jamaiis on n'avait vu ispectacle plus étrange Que cette courag'euse et modeste pha.lange — 84 — Pleine d'ardeur mystique et de projets virils, Qui, nouveaux messagers de la parole sainte. Traversaient Tunivers ponr se jeter sans crainte Au-devant de tous les périls. Sol natal, amitiés, rang, fortune, espérance, Famille, ils quittaient tout avec indifférence ; Pas un seul qui faiblît au moment de partir! Et pourtant qu'allaient-ils chercher sur ces rivage?. Sinon, après la vie errante des sauvages, La mort sanuiante du martvr ? Oh! lorsque l'on parcourt nos annales naissantes, Et que, tournant du doigt ces pages saisissantes. On poursuit pas à pas par la pensée, au fond De la forêt immense encore inexplorée, Ces immortels semeurs de la moisson sacrée, On éprouve un trouble profond. — 85 — Vieux prêtres au front chauve ou lévites imberbes, Pieds nus mais souriants, liarassés mais superbes, Aux plus mortels dangers prodiguant leurs détis, Regardez ces héros, en'leur ardeur «ans borne. S'enfoncer à travers l'horreur du désert morne, Sans autre arme qu'un crucifix. Fleuves, monts et torrents, chaleurs, pluie ou tempête. Rien ne les décourage et rien ne les arrête ; Nargiiant les jours sans pain, bravant les nuits sans feu, Poursuivis par les loups et guettés par les fièvres, L'Evangile à la main et le sourire aux lèvres, Ils vont sous le regard de Dieu. Où? Qu'importe! leur zèle embrasse un hémisphère. Sous des cieux incléments si loin que vont-ils faire ? Quel but rêvent-ils donc qui les fait tant oser ? Où donc est le secret du feu qui les consume ? C'est que leur mission en deux mots se résume : Convertir et civiliser I — 8G — Devant ces deux grands mots point d'obstacle qui tienne ! Oui, ces fiers envoyés de la France chrétienne N'ont qu'un vœu, qu'un désir et qu'une ambition : Conquérir, par l'effort de vertus surhumaines, Des âmes à l'Eglise, et de nouveaux domaines A l'héroïque nation. Et l'un d'eux meurt de faim dans la forêt profonde ; Un autre, isur le seuil d'un village qu'il fonde, D'un coup de tomahawk a le crâne entr'ouvert; Celui-ci s'engloutit sous la vague écumante ; Celui-là disparaît, perdu dans la toui-mente D'une terrible nuit d'hiver. Ici c'est Daniel expirant sous les balles ; Là c'est Jogue et Goupil sur qui les cannibales De leur instinct féroce épuic>ent tout le fiel ; Plus loin c'est Lalemaud, Brébeuf, d'autres encore, Qui, sous le fer cruel et le feu qui dévore. Meurent les veux levés au ciel. — 87 — Bien plus, ce même Joî^ue, iiiclomptable nature, Après mainte agonie au poteau de torture. Réussit par miracle à tromper ses bourreaux ; Mais, perclut^, mutilé, vers ces lieux où l'attire La soif du sacrifice ou l'amour du martyre. Il revient mourir en héros. Et puis, à chaque instant, nouvelles découvertes ! Jour après jour, ce sont (Vautres routes ouvertes A travers la i^avane ou leis fourrés épais ; Et l'homme primitif, quc^ tant de zèle touche. Devenu par deg-rés moins sombre et moins farouche, Offre le calumet de paix. De nouveaux dévoiiments ces preux toujours en quête, Cent ans marchent ainsi de conquête en conquête. Distribuant l'aurore à toute cette nuit. . . Et l'Europe applaudit ces sublimes cohortes Qui d'un monde inconnu brisent ainsi les portes Devant le ])rogrès qui les suit. — 88 — O mon pays, au cours des siècles qui vont naître, Puissent tes fiers enfants ne jamais méconnaître Ces humbles ouvriers de tes futurs destins 1 Ils furent les premiers défriclieurs de la lande : Qu'on réserve toujours la plus fraîche guirlande Pour ces vaillants des jours lointains ! Et nous, qui recueillons — oui, croyants ou sceptiques — Les éternels bienfaits que ces âmes antiques Sur notre terre vierge ont semés en passant, N'oublions pas qu'un jour Tarbre aux palmes sans nombre Qui protège aujourd'hui nos enfants de son ombre A germé dans leur noble sang! C') v^'^^ J.-^r:*^- J'ai bien connu jadis le vieux Baptiste Auclair. C'était un grand \ieillard jovlail, ayant l'air Déluré d'un ancien capitaine en retraite. Autrefois au Nord-Ouest il avait fait la traite, Et sa fortune aussi, disait-on dans le temps ; Mais cela n'était pas bien sûr, car à trente ans Il était retourné, sans le moindre étalage. Reprendre la charrue et sa place au village, Héritier de la terre et du toit paternels. — 90 — C'est là que je l'ai vu, dans les jours solennels, Rieur, et se faisant craqueter les jointures, Nous raconter ce qu'il nommait ses aventures. Il avait élevé seize enfants : huit g-arçons — l^;i-(lcssus je ne sais plus combien de bessons — Et huit filîes, tous seize installés en ménage. Il n'en portait pas moins gaillardement son âge. — J'ai, disait-il, bon pied, bon œil, et sapristi ! Sans me vanter, jamais je ne me suis senti Si jeune et si ■dispos que lorsque la cohorte De mes petits-enfants vient frapper à ma porte. Et j'(^n ai. Dieu merci, cent dix-sept, bien comptés ! Beau chiffre, n'est-ce pas ? Tenez, vous ])laisantez, Vous autres, ]ors(iue vous discutez politique, Nation, avenir ; r(euvre patriotique. Jeunes gens, c'est la mienne ! Un homme est éloquent. Et peut se proclamer bon patriote. . . quand ? Quand il a cin(iuante ans labouré la prairie, Et donné comme moi cent bras à la Patrie. Mettez cela dans vos papiers, beaux orateurs ! — Et, parcourant des yeux son cercle d'auditeurs, Il éclatait de rire, attendant la réplique. — 91 — Le vieillard coDservait nue étrange relique Au fond d'un vieux bahut à moitié ruiné ; Il tenait ce trésor de son père, et l'aîné De ses enfants devait en avoir l'iiéritage. . . Il ne lui plaisait pas d'en dire davantage. Un beau soir cependant qu'on le sollicitait, Il exhiba l'objet devant nos jenx ; c'était Un petit vêtement de gros chanvre, une espèce De chemise d'enfant, lourde, grossière, épaisse, Mal cousue, et portant sur son tissu taché Quelques traces d'un brun noirâtre et desséché. — C'est là du sang, Messieurs, du sang de race fière ! Dit le vieillard. Et puis, roulant sa tabatière EntTe ses doigts noueux, il nous fit le récit De la simple et navrante histoire que voici : — C'était bien avant nous, au temps où les sauvages Faisaient dans le pays tant de sanglants ravages, — 92 — Commença tristement le vieux Baptiste Auclair. Au peucliaut du coteau baigné par le flot clair Où le beau Xicolet, à deux pas du grand fleuve, Mire aujourd'hui gaîment sa cathédrale neuve, A Fombre d'un bouquet de pins au faîte altier, Que les siècles n'ont pu terrasser tout entier. Trois hardis pionniers, en ces jours de tourmentes. Avec l'espoir prochain de saisons plus clémentes, Avaient planté leur tente à la grâce de Dieu. L'un d'eux se nommait Jacque. Il avait dit adieu Aux droits, à la corvée, à la taille, aux gabelles, Pour s'en venir chercher avec d'autres rebelles, Sous des cieux où le fisc n'eût pas encore lui. Un peu de liberté pour les siens et pour lui. Sa femme, une robuste enfant de Picardie, Trois fois avait doté leur famille agrandie D'un nouveau-né gaillard, alerte et bien portant. Et l'œil des deux époux allait à chaque instant, Avec un long regard, hélas ! souvent morose, Des aînés tout brunis au bébé frais et rose. Or ce dernier n'avait que six mois seulement Lorsque se dérouJa l'affreux événement Qui sur un lit d'horreur le jeta seul au monde. Pour les colous Tannée avait été féconde. La pente des coteaux et le creux des valions Etalaient, souple et lourd, ui: manteau d'épis blonds, Qui, comme un lac doré que le soleil irise, Flottait luxuriant au souffle de la brise. L'heure de la moisson était venue ; aussi Le cœur des défricheurs, oubliant tout souci. Montait reconnaissant vers Celui dont l'haleine Enrichit les sillons et fait jaunir la plaine. Un soir, notre ami Jacque, aprècs miir examen, Prépara sa faucille, et dit : — C'est pour demain ! — Puis il pria longtemps, et dormit comme un juste. Hélas 1 si par hasard, ce soir-là même, juste A l'heure où les colons se livraient au sommeil. En amont du courant, prêt à donner l'éveil, — 94 — Quelqu'un eût côtoyé la rive solitaire, Il eût sans doute vu, furtifs, rasant la terre Dans Fombre de la berge, et pagayant sans bruit, Trois longs canots giiisiser lentement dans la nuit. C'étaient les Iroquois, ces maraudeurs sinistres. Dont les premiers fenillete de nos anciens reg:istres Racontent si nombreux les exploits meurtriers. Eendus non loin des lieux où nos expatriés Avaient fortifié leur petite bourgade. Dans un enfoncement propice à l'embnscade, Ils prirent pied, masqués par un éi)ais rideau De branchages touffus inclinés à fleur d'eau ; Puiis sur le sable mou lialèrent en silence Leurs pirognes au fond le phis obscur de l'anse. Et, sous les bois, guettant et rampant tour à tour, Taipis dans les fourrés, attendirent le jour. Oelui-ci se leva radieux et superbe. C'est fête aux champs le jour de la première gerbe ; — 95 — Aussi nos moissonneurs, les paniers à la main, Dès Faube, tout joyeux, se mirent en chemin. Les aînés, que la mère avec orgueil regarde, S'avançaient tapageurs en piquet d' ayant-garde, Tandis que Jacque, ému, riait d'un air touchant Au petit que sa femme allaitait en marchant ; Car, suivant la coutume, on était en famille. Bientôt, au bord d'un champ où l'épi d'or fourmille, On fit halte. Partout, des prés aux bois épais, Xul bruit inusité, nuls indices suspects. Rien qui troublât la paix des vastes solitudes. Du reste on n'avait nul sujet d'inquiétudes : Pas une bête fauve, et, quant aux Iroquois, Ils n'osaient plus tirer leurs fléchies du carquois, Eefoulés qu'ils étaient au fond de leurs repaires. On pouvait donc compter sur des jours plus prospères. Enfin, l'espoir au cœur, et ne redoutant rien, Jacque — après avoir fait le signe du chrétien — Près du inaiinot qui dort au creux d'une javelle, Commença les travaux de la moisson nouvelle. — 96 — Un ravissant tableau ! Dans le cadre aissombri De l'immense forêt qui hii prête un abri, Une calme clairière où l'on voit, flot mouvant, Les. blés d'or miroiter sous le soleil levant ; A genoux sur la glèbe, et tête découverte, Les traivailleurs penchés sur leur faucille ailerte; Deux enfants poursuivant le vol d'un papillon ; Et puis ce petit ange, au revers d'un sillon, Parmi les épis mûrs montrant sa bouche rose . . . C'était comme idylle au fond d'un rêve éclose. Qu'iadvint-il ? On ne l'a jamaiis su tout entier. Ce matin-là, quelqu'un, en suivant le sentier Qui conduisait du fort à la rive isolée, Entendit tout à coup, venant de la vallée Où Jacque était allé recueillir sa moisson. Quelque chose d'horrible à donner le frisson. C'étaient des cris stridents, aigus, épouvantables; Et puis des coups de feu, des plaintes lamentables. Appels désespérés et hurlements confus Frappant lugiibrement l'écho des bois touffus. Les farouches rumeurs, longtemps se prolongèrent ; Longtemps dans Le lointain des clameurs s'échangèrent : — 97 — Et puis, sur la rivière où le bruit se confond, Succéda par degrés un silence profond .... Le soir, lorsque les deux colons du voisinage Osèrent visiter la scène du carnage. Un spectacle hideux s'offrit à leurs regards : Trois cadavres sanglants, défigurés, hagards, Jacque et ses deux enfants, pauvre famille unie Dans une même atroce et fatale agonie. Mutilés, ventre ouvert, le crâne dépouillé, Grisaient là sur le sol par le meurtre souillé. Quant à la mère, hélas ! elle était prisonnière, Sans doute condamnée à mourir la dernière A quelque affreux gibet par l'enfer inventé. On plia le genou sur le champ dévasté ; Et, de ces cœurs naïfs glacés par l'épouvante, La prière des morts allait monter fervente, Lorsque au De prof midis clamavi — faiblement. Une plainte, ou plutôt un long vagissement Se fit entendre ainsi qu'un appel d'âme en peine. — 98 — Les colons étonnés retinrent leur liialeine. . . C'était comme un sang'lot d'enfant ; et, stupéfait, Quelques instants plus tard, on trouvait en effet. Dans le creux d'un sillon, la face contractée, Perdu souiS un amas de paille ensanglantée, Un enfant de six mois suffoquant à demi. Sans doute que la mère avait de l'ennemi Par cet ingiémeux moyen trompé la rage, Et, dévoûment sublime ! avait eu le courage De marcher à la mort d'un cœur déterminé, Sans trahir d'un regard le pauvre abandonné ! Or ce pauvre orphelin, ce pauvre petit être. Dit le vieux, plus ému qu'il ne voulait paraître. Voici le vêtement qu'il portait ce jour -là ; Et, si je le conserve avec respect, cela Ne surprendra bien fort personne ici, j'esipère, Car cet enfant. . . c'était mon arrière-grand-père. (^^) i^ JQLLIET j Le grand fleuve dormait couché dans la savaue. Dans les lointains brumeux passaient en caravane De farouches troupeaux d'élans et de bisons. Drapé dans lee»; rayons de l'aube matinale, Le désert déployait sa splendeur virginale Sur d'insondables horizons. Juin brillait. Sur les eaux, dans l'herbe des pelouses, Sur les sommetÉ^, au fond des profondeurs jalouses, — 100 — L'Eté fécond chantait ses sauvages amours.. Du Sud à l'Aquilon, du Couchant à l'Aurore, Toute l'immensité semblait garder encore La majesté des premiers jours. V Travail mystérieux ! les rochers aux fronts chauves.. Les i^mpas, les bagous, les boits, les antres fauves, Tout semblait tressaillir sous un souffle effréné ; On sentait palpiter les solitudes mornes, Comme lau jour où vibra, dans Tespace sans bornes, L'hjimne du monde nouveau -né. L'Inconnu trônait là dans sa gTandeur pa'emière. Splendide, et tacheté d'ombres et de lumière, Comme un reptile immense au soleil engourdi, Le \4eux Meschacébé, vierge encor de servage, Déployait ses anneaux de rivage en rivage Jusques aux golfes du Midi. *=#^ Echarpe de Titan sur le globe enroulée, Le grand fleuve épanchait sa nappe immaculée V / — 101 — Des régions de rOiirse aux plages d'Orion, Baignant le steppe aride et les bosquets d'orange, Et mariant ainsi dans un hymen étrange L'Equateur au Septentrion. Fier de sa liberté, fier de ses flots sans nombre, Fier des grands bois mouvants qui lui versent leur ombre, Le Roi-des-Eaux n'avait encore, en aucun lieu Où l'avait promené sa course yagabonde, Déposé le tribut de sa vagiie profonde, Que devant le soleil et Dieu ! . . . Jolliet I Joiliet ! quel spectacle féerique Dut frapper ton regard, quand ta nef historique Bondit sur les flots d'or du gTand fleuve inconnu ! Quel sourire d'orgueil dut effleurer ta lèvre ! Quel éclair triomphant, à cet instant de fièvre, Dut resplendir sur ton front nu î Le voyez- vous, là-bas, debout comme un prophète, L'(eil tout illuminé d'audace satisfaite. — 102 — La main tendue au loin vers rOceideut bronzé, ^ Prendre poissession de ce domaine immense, Au nom du Dieu vivant, au nom du roi de France, Et du monde civilisé ? Puis, bercé par la houle, et bercé par ses rêves. L'oreille ouverte aux bruits harmonieux des grèves. Humant l'acre parfum des grands bois odorants, Rasant les îlots verts et les dunets d'opale. De méandre en méandre, au fil de l'onde pâle. Suivre le cours des flots errants! A son aspect, du sein des flottantes ramures, Montait comme un concert de chants et de murmures ; Des vols d'oiseaux marins s'élevaient des roseaux. Et, pour montrer la route à la pirogue frêle. S'enfuyaient en avant, traînant leur ombre grêle Dans le pli lumineux des eaux. Et pendant qu'il allait voguant à la dérive, On aurait dit qu'au loin les arbres de la rive. — 103 — En arceaux parfumés penchés sur sou chemin, Saluaient le héros dont Téuergique audace Venaient d'inscrire encor le nom de noti'e race Aux fastes de l'esprit humain ! G grand Meschacébé ! — voYageiu' taciturne, Bien des fois, aux rayons de l'étoile nocturne, Sur tes bords endormis je suis venu lu'aseeoir ; Et là, seul et rêveur, peixlii sous les grands ormes, J'ai souvent du regard sui^i d'étranges formes Griissant dans les brumes du soir. Tantôt je croyais voir, sous les vertes arcades, Du fatal De Soto passer les cavalcades En jetant au désert un défi solennel ; Tantôt c'était Marquette errant dans la prairie, Impatient d'offrir un monde à sa patrie. Et des âmes à l'Eternel. Parfois, dans le lointain, ma prunelle trompée Crevait voir de La Salle étinceler l'épée, — 104 — Et parfois, morne essaim sortant je ne sais d'où, Devant une humble croix — ô puissance maoiqne ! De farouicheis gnerriers à l'œil sombre et tragique Pa«ser en pliant le genou ! Et puis, berçant mon âme aux rêves des poètes, J'entrevoyais aussi de blanches silhouettes, Doux fantômes flottant dans le vague dets nuits Atala, Gabriel, Chactas, Evangeline, Et l'ombre de Eené, debout sur la colline, Pleurant ses éternels ennuis. Et j'endormais ainsi mes souvenirs moroses. . . Mais de ces visions poétiques et roses Celle qui plus souvent venait frapper mon œil, C'était, passant au loin dans un reflet de gloire, Ce hardi pionnier dont notre jcuiic histoire Redit le nom avec oroueil. Jolliet ! Jolliet ! deux siècles de conquêtes. Deux fiiècles sans rivaux ont passé sur nos têtes, — 105 — Depuis riieure sublime, où, de ta propre main, Tu jetas d'un seul trait sur la carte du monde Ces castes régions, zone immense et féconde, Futur «renier du seure humain ! Deux siècles sont passés depuis (lue ton génie Xous frava le chemin de la terre bénie Que Dieu fit avec tant de prodigalité. Qu'elle garde toujonrs dans les plis de sa robe. Pour les déshérités de tous les points du globe, Du pain avec la liberté î Oui, deux siècles ont fui î La soilitude vierge N'est plus là ! Du progrès le flot montant submerge Les vestiges derniers d'un passé qui finit. Où le désert dormait gTandit la métropole ; Et le fleuve asservi courbe sa large éx)aule Sous l'arche aux piles de granit! / Plus de forêts sans fin ! la vapeur les sillonne ; L'astre des jours nouveaux sur tous les points rayonne — 106 — L'enfant de la nature est évangélisé ; Le soc du laboureur fertilise la plaine ; Et le surplus doré de sa gerbe trop pleine Nourrit le vieux monde épuisé ! Des plus purs dévoûments merveilleuse semence ! Qui de vous eût jamais rêvé cette œuvre immense, O Jolliet, et vous, apôtres ingénus, Vaillante soldats de Dieu, sans orgueil et sans crainte. Qui portiez le flambeau de la vérité sainte Dans ces parages inconnus ? Des volontés du ciel exécuteurs dociles, Vous fûtes les jalons qui rendent plus faciles Les durs sentiers où doit marcher l'humanité. . . Gloire à vous tous ! du Temps franchissant les abîmes, Vos noms environnés d'auréoles sublimes Ont droit à l'immortalité ! — 107 — Et toi, de ces héros généreuse patrie. Sol canadieu, qu'on aime avec idolâtrie, Dans raceompJisisement de tous ces grands travaux, Quand je pèse la part qne le ciel t'a. donnée, Lee jeux sur l'avenir, terre prédestinée, J'ai foi dans tes destins nouveaux ! % '■? V- T. Sou âme avait la soif des grands aventures. Il tenait par la race à ces hautes natures Qui de riiuananité sont lei^ porte-flambeaux. Mais dont, souvent aussi, la pierre des tombeaux Marque lugubrement l'âpre route des âges. Ceux-là trompés d'abord par d'éclatants présages, Peuvent, lutteuris vaincus d'un combat surhumain, Wnv la fatalité leur barrer le chemin, — 110 — Ait moment de toucher à la palme suprême. . . Ecrasés sons leur tâche, ils triomphent quand même Leur œuvre, dont le fruit ne peut s'anéantir, En sacrant le héros sait isurvivre au martyr ! Il se nommait Robert Cavelier de La Salle. Déjà, l'esprit hanté par l'ombre colossale De Cartier, jeune encore il fuit le sol normand Pour notre Canada, cher pays iuclément Qu'alors les plus hardis n'abordaient qu'a.yec crainte. Il rêve d'embrasser le (»lobe en son étreinte, De consacrer sa yie à d'immortels travaux, Et, ravissant aux mers des continents nouveaux — Miracle de courage et de persévérance — De donner à lui seul un empire à la France ! A son ambition rien ne semble trop g-rand. En remontant les flots perdus du Saint-Laurent, Il veut réaliser ce projet chimérique : Arriver jusqu'en Chine à travers l'Amérique. — 111 — C'est tout lin monde étrange, insonmie, menaçant, Qu'il lui faut conquérir et dompter en passant. Où sont s&s bataillons ? Quelles sont ses re^îsources ? Qui le dirio^era dans ces lointaines courses ? Pour franchir ces déserts — solitudes sans fin Où l'attendent le froid, les fatigues, la faim — Ces lacs tempétueux, ces pics inabordables. Ces repaires peuplés de hordes formidables. Ces abîmes sans fond, ces tragiques forêts Pleines de pièges sourds et de mornes secrets, Qui soutiendra l'espoir en son âme meurtrie ? — Une seule pensée, un seul mot : la Patrie ! L'impossible, à ce nom, pour lui n'existe point Le mousquet à l'épaule ou la pagaie au poing. En route ! Et devant lui, de l'aube au crépuscule, Le vaste horizon s'ouvre et le disert recule. Perçant les fourrés noirs où le sombre Iroquois Sur son torse bronzé fait sonner son carquois, — 112 — n va. Des lacs géants, rivaux des mère géantes, Le menacent en vain de leurts vagues béantes ; Au chant du 7V Deum il lance le Griffon; Et, colosse vaincu, l'Ontario profond Voit le premier haut-bord se cabrer «ur ;son onde. Il avance, il découvre, il colonise, il fonde. Au loin, derrière lui, dans le bruit deis rameurs, Du Niagara grondant, s'éteignent les clameurs ; Il avance toujours. Monotonie immense, Où la plaine finit, la forêt recommence. C'est partout l'inconnu, partout l'illimité, Dans leur hideur farouche ou leur sublimité. Enfin de JoUiet la trace encor récente Le conduit sur la rive où, nappe incandescente, Dans son lit sablonneux, le grand Mississipi Déploie en serpentant son long cours assoupi. Alors — universelle erreur géographique — La Salle croit tenir son rêve: — Au Pacifique ! Dit-il ; ceci n'est pas un fheuve, c'est un pont Que Dieu jette entre nous, la Chine et le Japon. En avant donc ! et si nous gagnons la bataille. — 113 — Nous aurons découpé le monde à notre taille ! — Et le hardi coureur d'aventurée partit, Trouvant presque, à son gré, l-e monde trop petit. O doigt divin ! bien loin des grands pays d'Asie Qu'il cherchait — sous des cieux vibrants de poésie. Que parfument l'orange et le magnolia. Doux paradis j)erdu que la France oublia. Dans un berceau de fleurs, de mousses, de lianes, C'est vous qu'il découvrit, vierges Louisiancsî Et puis la mer I la mer ! le beau golfe du Sud ! Ecroulement fécond d'un grand rêve déçu. Poètes, haut les cœurs !. . . Les Muses ont des rides Changez vos luths ! Le vrai jardin des Hespérides Vous tend ses rameaux verts par le temps rajeunis, i Tout chargés de fruits d'or, de parfums et de nids. Apollon s'exilait; — ces féeriques asiles. Ces bois harmonieux et ces flottantes îles, Bosquets bercés au flot du grand Meschacébé, C'est un temple plus neuf offert an dieu tombé. — 114 — De poèmes en fleur un essaim se révèle, Plein de jeunes frissons et de fraîcheur nouvelle , Adieu le faux éclat des Idylles d'antan ! La légende moderne au corsaige tentant, Ouvrant l'aile au milieu de blanches silhouettes, Prend son vol sur ces bords ; haut les cœurs, ô poètes ! Et La Salle, charmé, contemple en souriant Cet éden où viendra rêver Chateaubriand ! Plus tard, sur des vaisseaux de France — triste épreuve — La Salle cherche en vain la bouche du grand fleuve. Battu par la tempête, envié des jaloux — Les lions sont parfois tracassés par les loups — Entouré de périls qu'il brave tête haute. Avec deux cents colons il se jette à la côte. Pour atteindre son but il veut tout affronter ; Deux ans contre le sort on le voit s'arc-bouter, Et corps à corps lutter avec l'inexorable; Révoltes, guet-apens, misère inénarrable; L'Indien au dehors, les fièvres au dedans; La trahison dans l'ombre ouvrant ses yeux ardents ; — 115 — Tous les malheurs isur lui viennent fondre avec raoe. Presque seul contre tous, il tient tête à l'orage; Jusqu'à ce que pour vaincre, il n'ait plus qu'un recours: Franchir le continent pour chercher du secours. Il part. Des noirs bayous côtoyant les rivages, A travers les grands bois ou les pa.uipae sauvages, La savane fangeuse ou le sable mouvant, Sur un sol ennemi, sous un ciel énervant. Il marche, il marche encor, sans un mot qui console, N'ayant que deux amis : son chien et sa boussole. Il revoit l'Arkansas, le lointain Missouri, L'Illinois méandreux et l'Ohio fleuri, Le blond Mississipi, tous ces sillons immenses Où son bras a jeté d'immortelles semences ; Et c'est le cœur toujours à son œuvre acharné, Que le héros, malade, errant, abandonné. Tombe, le crâne ouvert par la balle d'un traître. Tl expire ; et la main pieuse d'un vieux prêtre Plante une branche en croix sur sa fosse. En quel lieu Hélas ! c'est le secret du désert et de Dieu. — IIG — La Salîe, dors en paix, perdu comme Marquette! Au moins tu n'auras pas yu ta noble conquête. Le radieux pays (lui t'avait tant coûté, Pour quelques millions follement brocanté ! Oui, dors en paix au fond de ta tombe nerdue^ O Cavelier ! Ta «;;loire, un soldat Ta vendue ; Le Saint-Laurent, déjà dès longtemps déserté, Avait dii d'un roi vil i)ayer la lâcheté. Abandonnée autssi l'héroïque Acadie ! Le fier -drapeau français, qui dans ta main hardie Avait porté si loin son éclat triomphal, S'est incliné devant un orgueilleux rival ; Son vol ne plane plus au ciel du nouveau monde. . MaiLS son ombre, en passant, ne fut pas inféconde Sur ce sol où couvaient touteis les libertés. Des germes pleins de force après lui sont restés. Ces germes ont produit une race fidèle, Qui, ravie à la France, a isu garder loin d'elle, Ainsi qu'un legs pieux à jamais vénéré. Sa mémoire, sa langue et son culte sacré. C'est un arbre robuste aux racines vivaces, Qui, cramponné d'abord à toutes les crevasses, Balance désormais, au vent du ciel serein. Les mille et un rameaux de son tronc souverain. 117 Sa force et sa fierté, ses fruits et son ombrage, C'est à TOUS qu'on les doit, ô Français d'un autre âge ! Phalange de martyrs et de héros chrétiens. Des grands projets de Dieu si longtemps les soutiens, Et dont La Salle en lui résume la légende. Donc, gloire à toi, Rouen, noble cité noiimande ! Dresse une fois de plus ton beau front triomphant, Et vois, pour rendre hommage à ton illustre enfant, Sous tes antiques murs, dans un transport lyrique. S'embrasser aujourd'hui la France et l'Amérique ! {^*) ^^'"^^ ^/^"^ C'est l'hiver. rA])rt^ hiver, et la tempête enibonche Des grands vents boréanx hi trompette farouche. Dans la rafale, au loin, la neige à Ilots; pressés Rouit' 8ur le désert ses tourliilli»ns glacés, Tandis que la tourmente ébranle en ses colères Les vieux chênes rugueux et les pins séculaires. L'horrible giboulée aveugle ; le froid luurd ; La nuit s'approche aussi — la sombre nuit du Xord Apportant son siirn-nir ih- iiKinn's r-jimn-antes. — 120 — Et pourtant, à travers les spirales mouvantes Que l'ouragan soulève en bondis désordonnés, Luttant contre le choc des blizzards déchaînés, Des voyageurs, là-bas, affrontent la bourrasque. L'ombre les enveloppe et le brouillard les masque. Qui sont-ils ? Où vont-ils ? Quels Titans oi-gueilleux Peuvent narguer ainsi tant d'éléments fougueux ? Oe sont de fiers enfants de la Nouvelle-France. Sans songer aux périls, sans compter lia souffrance, Ils vont, traçant toujours leur immortel sillon. Au pôle, s'il le faut, planter leur pavillon ! Au mépris des traités, la hautaine Angleterre, Contre la France armant sa haine héréditaire. Sur les côtes d'Hudson — dangers toujours croissants Avait braqué vers nous ses canons menaçants. Il fallait étouffer les oursons au repaire ; Et d'Iberville, un fort que rien ne désespère. Avec cent compagnons armés jusques aux dents. Malgré la saison fauve et ses froids corrodants, A travers des milliers d'obstacles fantastiques., Avait pris le chemin des régions arctiques . . . — 121 — Pour reprendre à rAii<;lais ces postes importants, Il fallait prévenir les seconrs du printemps. Et c'est ce groupe fier, avec son chef en tête, Qu'on voit marcher ainsi le front dans la tempête. Sans un sentier battu, sauis guides, sans jalons, Ils franchissent les gués, les ravins, les vallons; Précipice ou torrent, forêt ou fondrière, Rien ne peut entraver leur course aventurière ; Les canots sur Tépaule et la raquette aux pieds, Ces fiers coureurs des bois, ces chasseurs, ces troupiers, Tramant munitions, bagage, armes et vivres, Courbés sous la courroie et tout couverts de givres. Semblaient, dans les brouillards de ce ciel nébuleux. Les fantômes errants d'un monde fabuleux. Les semaines, les mois s'écoulent ; les débâcles A l'expédition offrent d'autres obstacles. Les rayons du soleil, de plus en plus troublants, Ont sur le sol blanchi des reflets aveuglants ; Puis le verglas fangeux que le printemps fait fondra Change en marais glacé la route qui s'effondre- . . — 122 — Nul ne faiblit ; plié sous les fardeaux trorp lourds, Dans l'eau jusqu'à mi-janiibe, on avance toujours. Une rivière est là de banquises couverte: Vite, canots à flot, la rame aux poings, alerte ! Quelquefois il leur faut descendre en pagayant Quelque effrayant rapide au remous tournoyant ; Nul ne recule ! Un jour, dans un torrent qui gronde, D'Iberville lui-même est englouti sous l'onde ; Un miracle l'arrache à la mort. En retour, Deux braves qu'il aimait, emportés à leur tour Par le choe d'une vague au fond du gouffre traître. S'enfoncent sous les flots pour ne plus reparaître. La nuit, il faut camper le plus souvent sans feu. Et puis recommencer la corvée, au milieu De fatigues sans nom, jusqu'à la nuit suivante. Et qu'il pleuve ou qu'il gèle, et qu'il grêle ou qu'il vente, A travers le désert tragique, ces Titans, Sordides, harassés, trempés et grelottants. Mais que le dévoûment patriotique enflamme, L'enthousia'sme au cœur, le délire dans l'Ame, Pour atteindre leur but marchent sans sourciller ! — 123 Plus tard, quand les liérois rentrèrent au foyer, Ils avaient arraché trois forts à l'Angleterre, Conquis toute une zone, et sur mer et sur terre Humilié vinot fois nos rivaux confondus. . . Ce sont ces hommes-là qu'un monarque a vendus! (^^) Il semblait à nos veux un pilier des vieux âges, Ce vieux tronc qui brava tant de vents en courroux. II avait sur nos bords vu les Pâles-Visages Remplacer les grandis guerriers roux. Aigrette énorme au front du vaste promontoire, Colosse chevelu dans le roc cramponné, Il avait vu passer bien deis jours sans histoire Au sommet de Sta-daconé. — isn — Son ombre avait coiTvert bien des bivouacs sauvages, Abrité bien longtemps des hordes aux flancs nus, Tandis que le grand fleuve à ses mornes rivages Jetait ses sanglots inconnus. Il savait des secrets que nul o'il ne devine; Quand, un jour, face à face, il vit — aspect troublant Sur le même roclier surgir la croix divine Et la lia 111] le d'un drapeau blanc. Et puis, de siècle en siècle et d'année en année, L'arbre antique vécut — flux et reflux du sort — La légende sublime où notre destinée A pris son incroyable essor. Il vit tous nos héros ; il vit toutes nos gloires ; Il vit nos fiers travaux et nos saints dévoûnients ; Il vit notre abandon, nos stériles victoires, Avec leurs sombres dénoûments. — 127 — Et, sur ses derniers jours, dans ses décrépitudes, Comme une harpe où tremble un vieux lambeau d'accord, On croyait voir, au vent les vieilles solitudes. Ses rameaux frissonner encor. Et, lorsque le géant quatre fois centenaire Courba sa tête où tant de soleils avaient lui, Ce fut triste ; on comprit que c'était toute une ère Qui disparaissait avec lui. O frêne ! ô grand témoin des choses envolées ! On a sacré, depuis, le sol où tu tombas ; Et sur ta place vide, en bruyantes mêlées. Des enfants prennent leurs ébats. Oui, des enfants, des jeux, des rires, des fronts roses, A l'endroit même d'où, colosse aux flancs rugueux, ïu vis se dérouler en tes ennuis moroses La rude histoire des aïeux ! — 128 — Des cris de joie après le toI des oriflammes, Le clairon, les obus et le tambour battant !. . . Si comme l'être liumain les arbres ont des âmes, O o ranci mort, n'ee-tu pas content? l*oiir moi, quand, de l'antique enclos des ursulines, Pour la première fois, tout ému, j'entendis Monter ces voix d'enfants, fraîches et cristallines Comme un écho du paradis. Soudain, sous les arceaux dépouillés du vieux frêne, Longue chaîne héroïque évoquée à la foie. Mes regards crurent voir passer Tombre sereine Des saintes femmes d'autrefois ! De nos martyre chrétiens immortelles rivales. Par tous les dévoûments grands cœurs fanatisés, Que la France d'alors jetait sans intervalles Sur ces bords incivilisés ! — 129 — Dames de haut parage ou filles des chaumières, Qui laissaient tout, famille, amis, brillants partis, Pour venir apporter les divines lumières Aux petits d'entre lee petits ! Et mon cœur tressaillait; car jamais, ô viel arbre! A nul fronton superbe, au seuil, de nul tombeau, Je n'ai rien vu, fouillé dans le bronze ou le marbre, De plus touchant et de plus beau. Que celle qui porta le nom de La Peltrie, Sainte veuve, enseignant, sous tes ombrages frais, Avec le nom de Dieu le grand mot de Patrie Aux petits enfants des forêts! {^^) DAULACD[SORM[AUX Quelle plume il faudrait pour rendre a^ec des mots Ton héroïque histoire, ô Daulac des Ormeaux ! Montréal, qui, superbe entre nos métropoles, Dres.se aujourd'hui son front couronné de coupoles. N'était qu'une bourgade, et n'avait pas viniit ans. Un soir, le bruit courut parmi ses habitants Si souvent harassés par les hordes sauvages, Que, voulant couronner leurs incessants r^avages — 132 — Par nii affreux massacre inouï jusqu'alors, Les Iroquois devaiient réunir leurs efforts Afin d'exterminer toute la colonie. Dans l'ombre du conseil, leur infernal génie Avait tout combiné pour un sanglant succèfi ; Bref, il ne devait pas rester un seul Français Pour porter le récit du désastre à la France. . . Attaque à l'improviste, et carnage à outrance ! l'ranîsportons-nous au bord de l'Ottawa fougueux. Dans les étranglements de ses rochers rugueux, Eu flots échevelés tordant ses lourdes vagues, La cataracte au vent hurle ses clameurs vagues. Dont les échos perdus semblent d'étranges voix Qui s'appellent au loin dans la nuit des grands bois — 133 — Le jour tombe ; an Couchant, le soleil qui rouo-eoie Saigne sur l'horizon, comme ces feux de joie Qui, le soir, en Bretagne, à la vSaint-Jean d'été, S'éteignent en jetant leur mourante clarté Sur les coteaux lointains que leur pourpre ensanglante ; Puis, bientôt, par degTés, la nuit sombre et troublante, La nuit des grands déserts, ténébreux conquérant, Envahit la forêt les monts et le torrent. Quelqu'un veille pourtant sur ces bords solitaires. Holocauste joyeux et martyrs volontaires, Plutôt que de la voir saccager et piller. Seize colons s'étaient offerts sans sourciller Pour couvrir de leurs corps la patrie en détresse ; Et, bien armés, joignant la bravoure à l'adresse, Avant que l'ennemi pût les envelopper, Ils étaient venus là s'embusquer pour frapper. Dans cet affreux péril, la colonie en transe N'avait plus qu'une seule et suprême espérance — 134 — Gagner du temps. Et dans un vieux fort, où jadifî Des Algonquins avaient combattu les bandits, Au-deseous de la chute, au pied d'un long portage, Sur un point qui domine avec quelque avantage Un défilé par où, dans sa soif d'égorger, L'Iroquois ne pouvait manquer de s'engager, Daulac et les vaillants compagnons qu'il commande, Héros de sang breton ou de race normande, Avec quelques Hurons recrutés en cliemin, Gruettent l'envahisseur le mousquet à la main î Pas un ne reviendra ; tous le savent ; n'importe ! Ils sont là du pays pour défendre la porte ; Ils ont fait le serment d'en garder les abords : Il faudra pour entrer leur pasiser sur le corps ! Et, tandis qu'autour d'eux l'ombre épaissit ses voiles, Leur prière du soir monte vers les étoiles. Tout à coup, du rapide au loin couvrant le bruit. Un hurlement sauvage é€late dans la nuit. Peuple entre tous habile au jeu des embuscades. Les Iroquois, rôdant en deçà des cascades, — 135 — Avaient vu le chemin que Daulac avait pris ; Et c'était l'embnequé qui se trouvait surpris. Sept cents démons fondaient ensemble sur le poste. Mais Daulac était brave et prompt à la riposte. Sans reculer d'un pas, solide comme un roc, La faible garnison tint ferme sous le choc. Ce fut en un instant une horrible mêlée. Les Peaux-Rouges, chargeant en bande échevelée, Avec des gestes fous et des cris furibonds, Se ruaient sur le fort, et par d'horribles bonds, MalgTé les sabres nus ■et les arquebusades, Recommençaient sans fin l'assaut des palissades. Ils n'avaient presque plus l'aspect d'êtres humains. On leur fendait le crâne ; on leur hachait les mains ; On leur jetait aux yeux des cendres enflammées ; Quand même ! reformant leurs masses entamées, Sous la crosse qui tombe ou le brandon brûlant. Ces tigres enra.g-és s'élançaient en hurlant ; Et toujours, et partout, la balle et l'arme blanche Refoulaient dans le sang la terrible avalanche. Et cela, sous les bois, dans la nuit, au milieu Du désert frissonnant sous le regard de Dieu ! C'était un cauchemar à donner l'épouvante. — 136 — On se battit ainsi jusqu'à la nuit suivante ; Puis on recommença. Cela dura dix jours. Les Iroquois vaincus se recrutaient toujours. Quant à la garnison, bien qu'à moitié réduite Par ces dix mortels jours de lutte, et par la fuite De tous ou presque tous ses Indiens alliés, Malgré l'effort de tant d'assauts multipliée;, Devant ses ennemis qui redoublaient de rage, Elle ne sentait pas amollir son courajge. Et, pour sauver les siens, décidée à périr. Voulait plus que jamais triompher ou mourir. Un soir que le combat triplait de violence, Daulac prend un baril de mitraille, et le lance. Mèche allumée, en plein milieu des assaillants. Par malheur un rameau l'arrête, et nos vaillants Voient retomber sur eux la machine infernale. Oe fut le dernier coup de la lutte finale. Aux lueurs que jeta la fauve explosion. Dans des flots de fumée, une âpre vision. — 137 — Scène horrible, ù la fois sublime et repoussante, Arrêta snr le senil la horde envahissante. Sur un monceau de morts et dans le sanii" qui bout, Un seul des assiégés était resté debout, Et, tragique, hagard, devenu fou, farouche, Les yeux fixes d'horreur et l'écume à la bouche. Afin de les soustraire aux vainqueurs courroucés, Une hache à la main achevait les blessés ! Puis, le crâne entrouvert, et criblé par vingt balles, Lui-même alla tomber aux pieds des cannibales. Le lendemain matin, les monstrueux bourreaux, Redoutant un pays peuplé de tels héros. Décimés et réduits à moins d'une centaine, Reprenaient le chemin de leur forêt lointaine, (^") -^*i*ihwnfltiiMiiii;-yTr : CADIEUX — C'est le Grand-Calumet, porta.ge des Sept-Clmtes ! Cria José. Campons! — En deux ou trois minutes, Nous étions sur la rive, et, près du flot ronflant, Notre canot halé reposait sur le flanc. Le soir tombait ; au loin, sur les collines chauves, Un beau soleil couchant versait des lueurs fauves ; Pas un sonffle de vent au fond des bois touffus ; Du rapide prochain les grondements confus De cet endroit désert troublaient seuls le silence. 1-10 Bientôt, dans nn état de demi-somnolence, Après avoir, d'abord, mis le couvert auprès. D'un bon feu de bois sec allumé sans apprêts, Nous écoutions José, qui, sur notre demande, Xous contait du pays la tragique légende. — Demain matin, dit-il — je traduis son récit — Nous pourrons visiter, à quelques pas d'ici, Un humble monument dressé sur une tombe. C'est une croix de bois vermoulue, et qui tombe En ruine parmi des touffes de sureaux. Cette tombe, Messieurs, c'est celle d'un héros ! C'était à cette époque orageuse et lointaine. Où des Cinq-Nations la j)uissance hautaine De massacres sanglants désolait le pays, Où, dressé sur le seuil de nos bourgs envahis. Le spectre menaçant d'un infernal génie Dans l'angoisse tenait toute la colonie. — 141 — Un jour, tout un parti de francs coureurs des bois, Dans des canots aux flancs affaissa sous le poids De riches cargaisons, voyag-eurs intrépides, Descendait l'Ottawa de rapide en rapides. Un brave, que ces fiers trappeurs nommaient Cadieux, Héros qu'on devinait à leclair de ses yeux, Connaissant l'algonquin, leur servait d'interprète. C'était un cœur viril, une âme toujours prête A s'exposer à tout pour le salut d'autrui. Nul d'entre eux ne savait raconter mieux que lui. Ni rendre, avec des chants rythmés sur la pagaie, De voyage plus court et la route plus gaie. Il était même un peu père de ses chansons ; Et, poète illettré, sans aucunes leçons Que les strophes du vent qui berce la feuillée, Le jour sur l'aviron, le soir à la veillée. Dans la naïveté d'une âme sans détours, Aux échos du désert il chantait ses amours. 10 Un soir du mois de mai, l'interprète et ses hommes Campaient précisément à l'endroit où nous sommes. — 14'^ — Auprès (rim feu pareil, ils apaisaient leur faim D'uu rustique souper qui touchait à sa fin, Et chacun s'apprêtait, pour réparer ses forces, A s'en aller dormir tsous les huttes d'écorces, Lorsqu'un jeune sauvaj^e, au parti dévoué, Arriva tout à coup, criant : — Xuttaoué ! En rôdant sous les bois à la faveur des ombres, Il avait entrevu les silhouettes sombres De nombreux guerriers roux rampant dans les fourrés. C'étaient des Iroquois, par la proie attirés, Qui venaient pour cerner les trappeurs. . . Chose grave, — Chacun de ces coureurs des bois était un brave, Vn vaillant toujours prêt, dans un danger pressant, A vendre au plus haut prix sa vie avec son sang — Mais ils avaient prêt? d'eux des enfants et des femmes, Qui ne pouvaient tomber aux mains de ces infâmes • Il fallait les sauver. Le parti découvert. Il ne leur restait plus qu'un seul chemin ouvert : Le rapide — la nuit — trombe d'eau furibonde Heurtant sur les rochers sa masse vagabonde. Et qui, cachant la mort dans ses traîtres détours. 143 — Epouvante les bois de ses hurlements sourds. C'est dans ce gouffre affreux que luit la délivrance ! Si ce n'est le salut, c'est au moins l'espérance. Mais l'abîme franchi, le problème renaît ; Les cruels Iroquois dont l'esprit se connaît En ruses de combats, d'espaces en espaces S« sont échelonnés et surveillent les passes. Il faut ici quelqu'un pour tromper l'ennemi. Il faut absolument qu'on choisisse parmi Tous ces désespérés un homme qui consente A couvrir de son corps la terrible descente : Qui se dévouera ? — Moi, dit simplement Cadieux. Le temps presse. On se fait de rapides adieux. Les canots sont parés ; on invoque la Vierge ; Et, tandis que Cadieux, qui remonte la berge, Jette un coup de fusil aux cent échos du soir, On lance les canots dans le tourbillon noir. — 144 — Tout disparaît soudain dans l'ombre et dans l'écume. Emportée au courant qui tournoie et qui fume, Dans le bouillonnement des lames en rumeurs, Chaque embarcation fuit avec ses rameurs. Les hardis canotiers luttent dans la tempête ; Le coup d'œil en arrêt, le bras sûr, tenant tête Au choc tumultueux des flots échevelés, Ils guident sans pâlir les canots affolés, A travers les écueils qui sans cesse surgissent. Bondissant au sommet des vagues qui mugissent, Ou plongeant tout à coup dams les écroulements Des remous en fureur, ces dompteurs d'éléments Sur l'abîme fougueux passent comme des rêves ; Pendant que, derrière eux, sur la pente des grèves. Les grands pins chevelus, pleins de brume et de bruit. Comme des spectres noirs s'enfoncent dans la nuit. — Ah ! Messieurs, fit José, je ne crains pas les luttes De l'aviron; mais là, descendre les Sept-Ohutes. . . Tar la mort ! aussi vrai que je suis de Sorel, Je l'ai dit bien des fois, ça n'est pas naturel. — 145 — Aussi raconte-t-on qu'une femme sauvage, Pendant que les canots s'éloignaient du rivage, Avait vu, dans le pli des gTands brouillards douteux. Un long fantôme blanc qui fuyait devant eux. Quoi qu'il en soit, après ce hardi pilotage. Qui les avait conduits jusqu'au pied du portage, Nos fugitifs étaient à l'abri du péril. Attirés en amont par les coups de fusil Que le vaillant Cadieux répétait à distance, Les Iroquois avaient manqué de surveillance ; Et, désertant leur camp sur la rive embusqué, Dans le gouffre écumeux n'avaient rien remarqué. Les braves vovageurs étaient sauvés. Sans doute Que le pauvre Cadieux, égaré sous la voiîte Des bois épais, longtemps dut errer au hasard. De fourrés en ravins traqué comme un renard ; Et sans doute qu'aussi, de devoûment prodigue, Bien qu'épuisé de faim, de soif et de fatigue, Longtemps, à la façon de nos rudes chasseurs, Il avait harcelé ses lâches agresseurs. Qui de dépit enfin battirent en retraite ; — 146 — Toujours eet-il qu'un jour l'héroïque interprète, Abandonné de tous, sans espoir désormais, S'arrêta. Que fit-il ? On ne le eut jamais ; On le devine. Après une longue semaine, Ses anciens compagnons que le devoir ramène Remontaient le portage, apportant des secours. Ils battirent les bois durant quatre ou cinq jours ; Et, fatigués enfin de recherche impuissante, Ils allaient, l'âme en deuil, reprendre la descente, Lorsque, sous un abri d'épaisse frondaison, Une croix de bois brut qui sortait du gazon Attira leurs regards. C'était dans ce lieu même. Les chercheurs, à l'aspect de ce funèbre emblème, Accoutumés à tout, ne furent pas surpris ; Dans leur mâle douleur ils avaient tout comipris. Ils s'approchèrent. Là, dans une fosse ouverte. De quelques branches d'arbre à demi recouverte, Un cadavre gisait, à peine refroidi. C'était Cadieux ; son front par la mort alourdi Gardait comme un reflet de l'oraison suprême. — 147 — Dans sa maiu décharnée un rustique poème, Que, sans doute déjà couché dane; son tombeau, Le doux martyr avait écrit sur un lambeau D'écorce, reposait sur sa poitrine éteinte. C'était son chant de mort et sa dernière phiinte. Ici se termina le récit de José. Le lendemain matin, alerte, et reposé Par une nuit d'été fraîche et réconfortante, Pendant qu'on déjeunait -et qu'on pliait la tente, J'allai, l'émotion dans l'âme et le front nu, Saluer le tombeau du héros inconnu. Cinq minutes après, nous dansions sur la vague ; Et, sur son aviron penché, le regard vague. Notre guide, aux échos du matin radieux, A pleine voix chantait hi Coiiipldiiife à Cadieux. C^) DEUXIEME EPOQUE LÂlâSE Phipps bombardait Québec. Du haut de son nid d'aigle, Frontenac tenait ferme et ripostait en règle. La veille, un envoyé de l'amiral anglais Avait, signaux en mains, pris pied sur les galets Où du cap Diamant l'escarpement se dresse, — 152 — Et, porteur d'iiu message insolent dont l'adresse Ne dissimulait point l'orgueilleuse teneur, S'était fait introduire auprès du gouverneur. Celui-ci, digne et fier comme un guerrier de Troie, Calme, avait répliqué : — Dite à qui vous envoie — Xul besoin, n'est-ce pas, d'en faire un parcliemin - Que ce sont mes canons qui répondront demain! (^®) Et Pliipps de ses vaisseaux, Québec de ses murailles. Echangeaient, acharnés, des trombes de mitrailles. C'était un imposant spectacle en son horreur. Le bronze inconscient, comme pris de fureur. Dans ce cirque bordé de forêts séculaires. Semblait de l'âme humaine emprunter les colères. Tandis que l'assiégeant, de ces boulets rougis, Démantelait les murs, éventrait les logis. Et menaçait enfin de tout réduire en poudre, La faible garnison, tonnant comme la foudre. Criblait les lourds vaisseaux jusqu'à leur flottaison. Enfermée au milieu de ce vaste horizon De grands rochers à pic, de gorga-5 ténébreuses. — 153 — De longs coteaux boisés, de montagnes ombreuses, Dont les cent mille échos portaient jusqu'au désert Les sauvages accords du farouche concert Qui du fleuve groudaut montaient jusqu'à leur cime. Si sombre qu'elle fût, la scène était sublime ! Soudain un cri se mêle aux rumeurs du canon : Du navire amiral la corne d'artimon. Qu'a coupée un boulet bien pointé de la rive, Avec son pavillon culbute à la dérive. Aussitôt, à ce cri de colère éperdu Du haut de nos remparts un autre a répondu ; Une acclamation de triomphe et de joie. . . Ce drapeau que le flot emporte, quelle proie î Un canot du navire anglais s'est détaché ; Mais un autre boulet juste à temps décoché, Avant même qu'un quart de minute s'écoule. Va lui crever le flanc, le renverse, et le coule. . . — Allons I dit Frontenac, ce drapeau c'est la croix ! Qui sera chevalier ? — Moi I répond une voix. — 154 — Et, dans les mille bruits du vent et du carnage, Sainte-Hélène s'avance et se jette à la nage. — Bravo! bravol bravol. . . ^Maintenant tous les yeux, Tournés vers un seul bnt, concentrés, anxieux. Vont suivre désormais le tout petit sillage Qui trahit du héros l'audacieux voyag'e. Lui, nage avec vigueur, tête haute, ou plong-eant, Sous le feu des Anglais, qui jurant et rageant. Pour sauver leur drapeau, de loin, sans intervalles, Tout autour du point noir font crépiter les balles. La vague est suffocante et le courant est fort : N'importe ! sans faiblir, et redoublant d'effort, L'homme rit du péril et s'avance quand même. A de certains moments, anxiété suprême, On n'aperçoit plus rien. Est-ce fini ?. . . Mais non ! Le nageur reparait aux éclairs du canon, Et s'avance toujours haletant et farouche Vers le drapeau flottant. Il l'atteint, il le touche. . . Hourra 1 . . . Trois jours plus tard, quand, après maint échec Plus ou moins désastreux, du bassin de Québec — 155 — Pliippe dut battre en retraite avec sa flotte anglaise, Le drapeau prisonnier flottait sur la falaise. (^°) Oui, :\letssieinïs, j'ai vu ça, vu t-ouinie je vous vois, Fit l'houime, un tremblement sincère dans la voix. C'était par un matin brumeux du mois d'octobre ; J'étais bien éveillé, dans mon bon sens, et sobre. . . Ah ! pour ça, parlez-en au capitaine Auge, (2ui me vit revenir pâle et le sang figé, Quasiment comme un mort sorti du cimetière. 11 J'étais allé parer ma chaloupe côtière, — 158 — ^ur la pointe, là-'ba«, en amont des brisants, Pour un voyage au Bic. D'après les médisants, Dieu voulut me punir, car c'était un dimanche. . . Pas plus de vent que sur la main ; mais en revanche Un brouillard, mes amis, à couper au couteau. J'avais à peine mie le pied sur le plateau, Boum! un coup de canon. " Allons, me dis-je, qu'est-ce? Et puis des roulements lointains de grosse caisse. De brefs commandements en anglais, des jurons. Des sifflements aigus, des appels de clairons, Des bruits de porte-voix et d'armes qu'on décharge. . . Le diable ! Et tout cela venant tout droit du large. Indistinct, indécis, mystérieux, confus. Un vrai rêve ! et sortant du grand brouillard diffus, Comme un charivari parti de l'autre monde. Alors, Messieurs — tenez, que le ciel me confonde Et me punisse aussi longtemps que je vivrai. Avec tous mes enfants, si je ne dis pas vrai — — 159 — Par un trou du brouillard qu'on ne soupçonnait guère, J'aperçus tout à coup huit gros vaisseaux de guerre. De voilure inconnue et d'ancien o-abarit. Qui, poussés par un vent dont l'effet m'ahurit, Pavillons à la corne et tout couverts de toile. Vers les rochers du bord cinglaient à pleine voile. Cette apparition dura bien peu d'instants ; Mais, dans les déchirés des brunies, j'eus le temps lyentrevoir à peu près comme de vagues formes D'anciens soldats couverts d'étranges uniformes, Qui, par masses, groupés sur les gaillards d'avant, Jetaient mille clameurs sinistres dans le vent. Naufrage inévitable, horrible. . . — Sainte Vierge! M'écriai-je. Et, ma foi, j'allais promettre un cierge — 160 — Mais je n'eus pas le temps de marmotter mon vœu : Cric ! crac ! . . . dans un fracas du tonnerre de Dieu, Je vis là, devant moi, tous ensemble, et tout proches, Les. huit «-rands voiliers noirs s'abîmer sur les roches. Et puis? — Et puis plus rien ; tout comme auparavant, Moins le brouillard chassé par le soleil levant. Messieurs, par mon patron, le grand saint Ohrysostome, J'avais vu les vaisseaux de l'amiral fantôme ! Ne soyez pas surpris si mes pas sont tremblants ; C'est depuis ce jour-là que mes cheveux sont blancs ! — Celui qui nous parlait était un vieux pilote, Qui jurait ses grands dieux, son âme et sajprelotte. Que jamais il n'avait, même en vidant son broc, Fait à la vérité le plus petit accroc. — ICI — Quoi qu'il eu fût, cliacuu, même le plus sceptique De ceux qu'intéressait ce récit fantastique, En écoutant cela conté de bonne foi, Se sentait frissonner sans trop savoir pourquoi. Tout s'y prêtait un" peu, du reste ; la chaloupe Qui nous portait avait, à son tribord, le gTOupe Des Sept-Iles ; et là, tout près, devant nos yeux, Moutonnaient les fatals brisants de l'Ile-aux-Œufs, Témoins d'un des plus grands naufrages de l'histoire. Par tout ce que la guerre a de plus vexatoire, L'Angleterre, depuis plus de cent ans déjà, Harassait le pays. Un jour, elle jugea Qu'il était enfin temps d'en finir. Bonne aubaine, Des colons haletaient et respiraient à peine. Un gTand coup, hardiment et brusquement porté, Lui conquérait un sol trop longtemps convoité, Ruinant pour jamais la France au nouveau monde. Sa force l'enhardit, la saison la seconde: 162 Vite, une grosse flotte, une armée î . . . Et bientôt Québec déisespérée, aux abois, ou plutôt Comme fatalement écrasée à l'avance, Apprend avec effroi que l'ennemi s'avance, Et, vainqueur sans merci, sillonne en conquérant. De ses nombreux vaisseaux le golfe Saint-Laurent. Devant cet horizon de tempête qui gronde, On peut se figurer l'anxiété profonde Qui, gagnant les plus forts, bientôt régna partout Dans le pays surpris, cerné, manquant de tout. Québec, le boulevard, était à l'agonie ; Et Québec prise, adieu toute la colonie ! Enfin, la garnison était au désespoir. Quand de la citadelle on entendit, un soir, Dans le bruit du tambour et du tocsin qui clame, Monter de tous côtés ce cri: — A Notre-Dam^' î C'était la ville entière, bommes, femmes, enfants, Qui, fidèles pieux ou chrétiens peu fervents. Procession d'instinct que la foule improvise, En masse suppliante envahissait l'église. . . — 163 — Et, pendant que, dans l'ombre, an pied de l'Eternel, Résnmant sa prière en nn vœn solennel, Québec s'agenouillait danis son modeste temple, Catastrophe inouïe, horrible, sans exemple. Sur ces rocs où, .vlr<^ Le nom I i\ ni de < Min t enuuiin v ! — 2'M) — \'i('(<»iro inespérée, elle fui (lé'cie^ivc. Quand on siiina In paix, nous avions rollVnsivr Nous i-('\ înics (les jours plus Imm u\ ; l']( noN Im'I'os, n'avunl pluis de niirarlr à ("niro, Après a\()ir lixc le noj-I. (Tuii licniisplirrc, IJcIoiirncrcnl à I<'Ui-s sahols. MainfcnanI, sur nos murs, (|u:in(l un ^cslc iroui(pi(' Nous nionirc, ;i nous l'iuncuis, rdcndurd hril:Nini(|U(- (^uc le san^ lie WolCc V Ncclhi, N<»us pou\oiiN (•( cela sullK. pour vous couroiulrc Indiquer ccifc dato, A raillourH! ci répondre: — Sans nous il ne si -ru il plus !;i ! TTonuMir a vous, cou^scrils, (pii d;ins ce lier poéuio, VoulûL-N de noii\c;ni, sous la hunnicrc niéuic 1)"- nos oi^îijcillfux roiKjui tjuiIh, Kîlicunir sur nos bords !;i lé(.r('ndc d<- gloire Q'ii dil <)uc, l<.r,i(ii rr;ipp«- l'orl diins l'IiiHloiiw-, (yani. I ou jours |);ir l;i uiuiu lupart recrutés dans les bouges. S'approchaient, et de loin les uniformes rouges Semblaient, mouvants replis, au front des coteaux blancs. Comme un serpent énorme aux longs anneaux sanglants. Ces reîtres sont joycMix; déjà leur creur savoure Le plaisir qu'a le nombre à vaincre la bravoure. En revanche, le ciel est triste et nuag'eux. Ce matin-là, le jour, à l'horizon neigeux. — 261 — Tardif, n'avait jeté qu'une lueur blafarde. Chénier toute la nuit avait monté la garde, Et puis, n'attendant plus que le fatal moment, Longtemps, les yeux fixés au pâle firmament, Tout rêveur, il se tint debout à sa fenêtre. — Pleurez-vou«? fit quelqu'un. Il répondit: — Peut-être! J'aurais, ajouta-t-il sans trouble dans la voix, Voulu voir le soleil pour la dernière fois. (^^) A midi le canon tonna. Silence morne, Nul bruit ne répondit au salut de Colborne. Pour combattre avec chance, équipés à demi. Il valait mieux laisser s'approcher Tennemi. Les insurgés s'étaient retranchés dans l'église; Cent hommes tout au plus, groupe que paralyse Le manque de fusils et de munitions. Qu'importe ! dans leurs rangs nulles défections ! Armés ou désarmés, du premier au centième, Tous sont prêts à mourir, et combattront quand même. — 262 — — C'est bien, leur dit Chénier un éclair aux sourcils, Les mourants céderont aux autret< leurs fusils: Nous en aurons bientôt assez pour tout le monde! — (^^) Cependant au dehors la canonnade gronde; Le bourg- est envahi, tou« les chemins bloqués; Les affûts destructeurs sur l'église braqués, Faisant sauter les ais, déchirant les murailles. Lancent la foudre avec des paquets de mitrailles; Derrière un bataillon, un bataillon surgit. Mêlant sa fusillade au canon qui mugit; L'église n'est bientôt qu'une vaste masure. Mais, du haut des clochers et de chaque embrasure, Les hardis assiégés ripostent fièrement. Repoussant chaque assaut par un redoublement D'efforts et de sang-froid, d'adresse et de courage, Chénier se multiplie et tient tête à l'orage. Sanglant, éehevelé, noir de poudre, on le voit Grandir en même temps que le danger s'accroît; Un officier anglais le somme de se rendre: Le héros souriant lui répond: — Viens me prendre! — — 263 — Et rétend raide mort d'un coup de pistolet. Mais, presque au même instant, un énorme boulet Fait voler en écdats la orand'porte de chêne. Alors dee assiégeants la borde se déchaîne. On envahit Tégliéie armé jusques aux dents, Et l'assaut du dehors recommence au dedans. — Hourra! criait Chénier; hardi! sut< aux despotesl Montrons-leur ce que c'est que des francs patriotes!. Et des jubés croulants, du haut des escaliers, A l'abri de l'autel, derrière les piliers, De partout corps à corps s'engagea la mêlée. La lutte fut sauvage, implacable, affolée. Nul temps de recharger les armes, à ce point Qu'on se prend aux cheveux, qu'on se frappe du poing. Ils sont deux mille au moins contre cent, mais n'importe! On se tue au balustre, on s'écrase à la porte; La masse ondule; on va, poussant et repoussant, Pou de rage, assoiffé de carnage et de sang. . . Enfin l'Anglais recule, et Colborné en furie — 264 — Est forcé de plier devant Ohénier qui crie: — Victoire, mes enfants! victoire, grâce h. Dieu Un cri désespéré lui répondit : — Au feu ! Ces forts, voyant contre eux tourner la tragédie, Avaient à leur secours appelé l'incendie. Ou promenait la torche, et régiise brûlait: L'espoir, l'espoir dernier des héros s'envolait. Il ne leur restait plus qu'à succomber en braves. Du portail à l'abside et des clochers aux caves, Les flammes faisaient rage. Alors l'œil ébloui Vit là se dérouler un spectacle inouï. Pendant que du brasier les spirales rampantes Sapaient les murs noircis et rongeaient les charpentes Et que, dans les horreurs d'un vaste embrasement, L'édifice flambait, — de moment en moment, Du haut de la bâtisse à demi consumée, Aux lueurs des éclairs, perdu dans la fumée, — 265 — Dans les crépitements et le» conps de fusils, Aux clameurs des Anglais d'épouvante saisis, Ensangianté, farouche, au bord d'une fenêtre, On voyait tout à coup comme un spectre apparaître, Et lancer aux vainqueurs, dont «a haine fait fi, Un dernier coup de feu dans un dernier défi! II en périt beaucoup dans les flammes. Le reste Des vaincus dut subir un sort non moins funeste. Sitôt que, poursuivi par le feu qui le mord. Quelque insurgé tentait de s'échapper: — A mort! Il tombait fusillé par une balle anglaise. Ohénier, dernier de tous, sortit de la fournaise. La scène ne dura que deux minutes, mais Ceux qui purent la voir ne l'oublieront jamais. Le héros, en sautant du haut d'une croisée. S'affaissa sur le sol une jambe brisée. Ce n'est rien! sous le plomb qui grêle à bout portant, Chénier sur un genou se relève un instant; — 200 — Il ee dresse, avenolé de sang, l'habit sordide, Défiguré, hagard, effroyable, splendide; Et, pour suprême imsulte à la fatalité, Le fier mourant cria : — Vive la liberté ! Puis dauvS le tourbillon, la poudre, le vacarme, Par un dernier effort il déchargea son arme. Un nouvel ennemi tomba, mais ce fut tout: Colborne et ses soudards étaient vainqueurs partout! Ce qui suivit eût fait rougir des cannibales. On traîna de Chénier le corps criblé de balles; Un hideux charcutier l'ouvrit tout palpitant; Et par les carrefours, ivres, repus, chantant, Ces fiers triomphateurs, guerriers des temps épiquee, Promenèrent sanglant son cœur au bout des piques. , Puis la torche partout! les braves en avant! — :207 — On brûla les maisons, on brnla le couvent; Si quelque humble demenre échappait mi-détrnite, C'est que l'on pourchassait quelques femmes en fuite. De quartier nulle part, nulle compassion; Partout pillage, vol et dévastation! Les vieux citent encor des traits épouvantables: On sabrait (]nnt< les lits, on sabrait sous les tables; Tuer des prisonniers, éventrer des mourants, C'étaient nobles exploits. Un enfant de quatre ans Est là tout étonné qui regarde et qui flâne; Un des braves l'ajuste et lui brise le crâne. . . Ce brave eut un procès, mais il fut acquitté, N'ayant au fond puni qu'un petit révolté! (■'°) Enfin, le lendemain, ces nobles Alexandres Laissaient par derrière eux trois villages en cendres! C'est à ces durs prix-là — sombre nécessité! — Que tout peuple naissant t'achète, ô Liberté! Ils étaient innocents! oni, mais il fallait bien Qn'on n'eût pas ériyéce tribnnal ponr rien. D'ailleurs, c'est entendu, quand riiomme s'émancipe, On doit toujours sévir pour sauver le principe. Redresser les griefs, reconnaître son tort, C'est très bien; mais il faut des exemples d'abord! Parmi les prisonniers d'élite on en prit douze; Certes, le choix fut fait par une main jalouse; 18 —270 — Et, tandis que le reiste — à quoi bon tant trier? Allait languir là-bas sous un ciel meurtrier, Les juges — oh! de vrais modèles de droiture — Dirent à récliafaud : — Toi, voici ta pâture ! Et ces juges, choyés, approuvés, applaudis, Qui peut-être eussent eu pour de réels bandits Dans leurs coeurs de torys plus de miséricorde, Osèrent d'une main ferme passer la corde Au cou de citoyens dont le crime devait, Comme dans le passé celui de Du Calvet, Confondant des bourreaux l'éternel égoïsme, Dans la bouche de tous s'appeler héroïsme! Oh! cet échafaud-Ià, malgré son nom brutal, Ne fut pas un gibet, ce fut un piédestal! L'injustice des lois en fut seule flétrie. Et, tandis que, plus tard, on verra la Patrie — Oh! l'avenir toujours donne à chacun son rang — 271 — Venir aux yeux de tous s'incliner en pleurant Devant ces champions d'une cause sacrée, Cherchez qui défendra la mémoire exécrée De ces juges sans cœur dont l'orgueil crut pouvoir Flétrir en meurtriers ces martyrs du devoir! (^) 4 ^d^ 10 / /^# Il avait vingt-trois ans, une taille atMétique, Un grand front sillonné d'un éclair poétique. Son esprit et «on cœur, rarement en défaut, Plaisaient à tous. Lorsqu'il monta sur l'échafaud, Ses frères d'infortune et ses compagnons d'armes Tombèrent à genoux et fondirent en larmee. Lui leur fit ses adieux, souriant à demi; Puis il dit au bourreau : — Je suis prêt, mon ami ! — 27-i — C'était un noble enfant de la mère patrie; Un enfant doux et bon. Un jour, l'âme meurtrie Par un de ces chagrins qui brisent les plus forts, Vaincu, désespéré, lutteur à bout d'efforts, Ne pouvant arracher l'épine ensanglantée Qu'en son cœur une main cruelle avait plantée, Il avait essayé, pour tromper son ennui, De mettre la distance entre sa peine et lui. Et le nouveau R-ené partit pour l'Amérique. C'était juste au moment de la lutte homérique Que nos pères, courbés sous un joug écrasant, Transformant en épieu la faux du paysan. Avaient, sous les regards de l'Europe surprise. Pour défendre leurs droits vaillamment entreprise. Le jeune homme entendit ce cri de liberté Jusqu'au port de New-York par la brise porté. Quoi, des Français, armés contre la tyrannie, Avec le désespoir d'un peuple à l'agonie, A tous demanderaient vainement du secours! Point de retard! pour lui les moments sont trop courts; — 275 — 11 arrive; et, recrue à la hâte enrôlée, L'arme au poing, il se jette au fort de la mêlée! C'était près d'Odeltown, oii, partout débordés, Les insurgés tentaient un dernier coup de dés. Il fut un dee géants de la lutte infernale, L>Iais, blessé, quand survint la déruute tiuale, Dans la fuite oublia de chercher son salut. Hélas! son dévoûment touchant ne lui valut Qu'une tombe parmi nos martyrs patriotes. Victimeis des sabreurs et des Iscariotes. Les armes à la main et de sang encor chauds. Les vaincus furent pris et jetés aux cachots. Et bientôt, sur son front livré sans résistance, L'enfant sentit peser la suprême sentence. . . Quand on le vit, ainsi que sur un piédestal. Se dresser, calme et fier, sur le tréteau fatal: — Grâce î fit une voix qui partit de la foule. — Grâce? non pas! dit-il; il faut que mon sang coule. — 276 — Frères, dans Ta venir ce jour sera compté: C'est dans le sano- toujours que naît la Liberté! — Et, comme pour narguer la populace aui^laise, Le martyr entonna gaîment la Marsfillnise. Le chant, au mot P;ères; Et (jui vient de chez elle est parmi nous chez soi! (■**) VIVE FRANCE C'était après lecs jours .sombres de (Ti-avelotte: La France agonisait. Razaine Ist-ariote, Foulant aux jiit^ds hoiineui- et jintrie et iSernients, Venait de livrer .Mntz anx reîtres alleniamls. Comme un troupeau de loups sorti des steppes russes, Une armée, on iilntôr des hordes de Borusses, Féroces, l'œil en feu. sabro aux dents, viuur contre un. Après mille razzia de Strasbonr*;- à \'e]-duii. Incendiant levs bourgs, saccageant les villages, Ivres de vin, de sang, de haine et de pillages. — 298 Et ne laissant partout que carnage et débris, Xonveaii tléan de Dieu, s'avançaient sur Paris. V(ds, attentats sans nom, horribles hécatombes, Kien ne rassasiait ces noirs semeurs de tombes. La province, à demi morte et saignée à blanc, Se tordait et râlait sous leur talon sanglant. Seule! et voulant donner un exemple à l'histoire, Paris, ce boulevard de dix siècles de gloire, Orgueil et désespoir des rois et des césars. Foyer d(^ la science et temple des beaux-arts, Folle comme Babel, sainte comme Solyme, En un jour transformée en guerrière sublime. Le front haut, Tarme au bras, narguant la trahison. Par-dessus ses vieux forts regardait l'horizon! Au loin le monde ému frissonnait dans l'attente: Qu'allait-il arriver ? L'Europe haletante 299 — Jetait, soir er marin. f>ni- nos bords atterré; Ses biilletiiif^ (le plus en ]^]us artirons tous; Car la France, ^fonsicur. . . la France, voyez-vous. . , Il se tut; un sanj;lot rt'tic^iiiuait à la j:>orge. Puis, de (Son ])oin«;' In-nni ]f.ir le feu de la forge Se frappant la i»oitrine, où (diacun eût ])u voir D'un scapulaire neuf flotter le cordon noir: — Oui, monsieur le coiiisnl, reprit-il, nous ne sommes (^ue cinq cents aujourd'hui; mais, tonnerre! des hommes? Nous en aurons, allez!... Prenez toujours cinq cents, Et dix mille demain vous ré])ondront : — Présents ! — 303 — La France, nous voulons éi)ouser sa querelle; Et, lier d'aller combattre et de mourir pour elle. J'en jure par le Dieu que j'adore à genoux, On ne trouvera pas de traîtres parmi nous!. . . Le reste se perdit, car la foule en démence Trois fois aux (piatre vents cria: — Vive la France! Hélas! pauvres grands cœurs! l^ur instinct filial Ignorait que le code international, (^ui pour l'âpre négoce a prévu tant de choses, Pour les saints dévoûmeuts ne confient pas de claus-^s. Et le consul, qui m'a conté cela souvent, En leur disant merci, pleurait comme un enfant. (^"') Donc tout est consommé. Dans notre lière époque, Quand de tous les côtés s'ébranle et se disloque L'enchevêtrement noir des préjugés boiteux; Quand des anciennes lois les vieux codes honteux, Devant l'éclat vainqueur des lumières modernes, Eteignent un à un leurs fumeuses lanternes; Quand on voit tous les jours se dissoudre sans bruit Quelque étai vermoulu d'un régime détruit; Quand de l'humanité la caravane en marche Voit poindre à l'horizon la colombe de l'arche Apportant dans son bec le rameau fraternel; — 306 — Quand, secouant partout le joug originel De l'antiqAje union des erreurs et des haines, Les peuples, Tœil tourné vers les aubes lucuhaines, Semblent «e dire enlin, dans un commun accord. Qu'il est un droit plus saint que celui du plus fort; Oui, dans ce siècle où tout s'élève et s'émancipe, Chez nous, au plus flagrant mépris de tout principe De clémence, d'amour, de paix et d'équité, A la face du monde et de la liberté. Sur le classique sol de toute indépendance, Pris de férocité, gonflés d'outrecuidance, On a vu des guerriers et des hommes d'Etat, Juges, bourreaux, unis dans un même attentat, Au-dessous d'un gibet (pi'un peuple entier renie. Groupés pour savourer un râle d'agonie! Et voilà ce qu'on fait (piand on est bax)tisé. Qu'on e«t bon orangiste, et bien civilisé! "-^--^ci^t^jd %$î^ W'^^':à LE DERNIER MARTYR Loin de tout ce qui brille et de tout ce qni tente, TTn brave petit peuple avait i)lanté sa tente Au désert, sur les bords de j^randts prés oiboyeux, iPour labourer le sol où chassaient ses aïeux. (^") Bons, paisibles, naïfs, ne lisant (prau ^rand livre De Dieu, ne demandant rien que le droit de vivre Et mourir à l'abri de toute agTession, Ils travaillaient avec la seule ambition De lé.guer à leurs fils le petit coin de terre Qu'ils arrosaient de leurs sueurs de prolétaire... —308 — La persécution lets attaqua chez eux, Et, sang même invoqner de prétextes oiseux, Sur leurs biens, au soleil qui luit pour tout le monde, S'en vint effrontément poser sa patte immonde. Alors ces paysans, sans fusils, sans canons. Retranchés sous les bois et dans leurs cabanons, Défendant corps à corps leur franchise usurpée. Furent tout simplement des. géants d'épopée. Ils vainquirent d'abord, mais on les écrasa. Contre ces quatre-vingts rebelles on osa — Deux héros ont depuis, sans morgue et sans faiblesse, Reçu pour cet exploit des lettres de noblesse — Risquer, durant trois jours de combats imprudents, Cuui mille hommes de troupe armés jusques aux dents. Mais on avait la ruse. . . et des parlementaires!. . Confiant dans riionneui' et la foi militaires, Le chef, pour protéger les femmes, les enfants, ■Se livra de lui-même aux vainqueurs triomphante. — 309 — Lee fatigiies, la faim, les anxiétés sombres Avaient sur sa pensée, hélas! jeté leurs ombres. Les épreiivee l'avaient vaincu; la trahison Dans son âme acheva de tuer la raison. Sa vue eût attendri des loups ; mais l'Orangisme Fut-il jamais suspect de sentimentalisme? On fut clément pourtant: Riel, à son pied nu, Ne dut traîner qu'un seul boulet. Du reste, on eut La générosité d'épargner la torture; On ne lui disloqua ni muscle ni jointure; Nuls brodequins, nuls fers rougis, nul chevalet ! Rien qu'une chaîne avec un tout petit boulet! Puis, vite un tribunal! vite un jur^- complice! Un juge bien choisi! puis là, dans la coulisse, La lèvre torse et Toeil tout injecté de sang, Le Fanatisme avec son museau grimaçant! — Mais cet homme n'a fait que défendre ses frères Et leurs fovers. — A mort! — 310 — — Mille actes arbitraires Ont fait un drapeau saint de son drapeau battu. . . — A mort ! — Mais songez-y, cet honiuie eut revêtu Du respect que Ton doit aux prisonniers de guerre: You8 avez avec lui parlementé naguère. — A mort ! — Mais tout rayon en lui s"e«t éclipsé ; Allez-vous de sang-froid tuer un insensé? C'est impossible. — A mort! — Mais c'est de la démence; Le jury même fait appel à la clémence. . . — A mort ! — Mais tout un peuple implore son pardon ; Son supplice peut être un terrible brandon — 311 — De discordes sans fins et d'iiof^tilités vaines. . . — A mort! à niortl il a du sang franyais anx veines! — Ah! voilà son vrai crime! eh bien, vous avez tort: l^n martyr ne meurt pas! — ^A mort! à mort! à mort!. . , A mort, soit. ^Fais la mort a des formes nombreuses. Pourquoi ne pas prouver, en âmee généreuses, Par de^ raffinements eneore innsités, Que l'on peut être artiste en fait d'atrocités? C'est là qui fut fait. De semaine en semaine, De sursis en sursis, la justice inhumaine Laissa flotter la corde au cou du condamné. Tuer, c'est peu de chose; un homme assassiné, C'est bientôt fait; — i)our mieux jouir de sa souffrance, N'était-il pas charmant de laipîser l'espérance — 312 — Luire un peu tous les jours au fond du noir cachot? Pour qu'un cœur souffre bien, il faut le tenir chaud; Il faut multiplier les plaisirs que l'on goûte; Une belle agonie est superbe sans doute, Mais trois ou quatre, c'est un spectacle de rois . . . Lâches buveurs de sang! pieds-plats et fronts étroits! Quand vous assouvissiez cette noble vengeance, Là-bas, près d'un foyer éteint par l'indigence, Qiue n'avez-vous aussi vu cette mère en pleurs. Ecrasée à genoux sous le poids des douleurs ! Cette épouse mourante, et, dans cette humble bière. Cet innocent d'un jour, mûr pour le cimetière! Quelle scène pour vous, magnanimes vainqueurs! Mais vous n'avez pas vu tout ce deuil, ô grands cœurs! Vous n'avez pu goûter le poignant de ce drame; Et la potence seule a réjoui votre âme. . . Quel dommage !. . . Ce fut un beau jour ; le soleil Au loin s'était levé radieux et vermeil; — 313 — Des reflets mordorés inondaient la prairie; L'horizon flamboyait comme un ciel de féerie; Dans les lointains rosés, le vent des grands déserts Dormait silencieux dans le calme des airs; Tout s'était revêtu d'un aspect grandiose; La nature semblait fêter l'apothéose D'un héros malheureux, d'un saint et d'un martyr! Quand la trappe s'ouvrit, le choc dut retentir Avec un bruit lugubre en mainte conscience. Mais nul besoin d'avoir le don de prescience, Pour savoir que, parmi les coupables, beaucoup Subiront de ce choc le fatal contre-coup. Il aura son écho funèbre dans l'histoire. Elle fera subir un interrogatoire Terrible, à ceux d'abord dont l'orgueil tout-puissant 'Mit sur notre blason cette tache de sang; Puis à ceux-là surtout qui, par instinct servile. Par froide convoitise ou par lâcheté vile. En permettant ce crime ont offert notre front Au stiginate brûlant d'un éternel affront! — 314 — Ah! nos nobles aïenx endormis sons la pierre En s'éveillant ont dn refermer lenr panpière, Quand ils ont vu ih-s tils. ])arjnre6 à lenr nom, Les laisser sonfUeter sans oser dire non. Si lenrs rejj;ards ont pn tsuivre ce drame sombre, Comme lenrs cœurs si tiers ont dû saigner dans l'ombre! ('(tmme ils ont di'i d'horrenr vous mamlire, liomnii^s fanx, (^ni ponr leis opprimés dressez des échafauds ! Ah! tremblez! ces grands morts, qne tronble dans lenrs Le sanii <|'ii «"iilc ainsi des diandes hécatombes, [tombes Ont des voix qni sauront remuer les vivantis! (^') Les crimes ont toujours des effets dissolvants; Pourquoi des vieux liriefs ]-(Hivrir l'ère fermée? L'expérience est là qui le dit. la fumée Des btichers trop souvent sait propager le feu. Tremblez, vous dont Taudace ose ainsi tenter Dieu! Tremblez, aveugles fous dont la haine et la ratxe Préparent pour nos ti^s un avenir d'orage! — 315 — Celui dont Je regard gouverne l'univers Avait, dans sa sagesse, à des peuples divers Donné ce sol fécond, en patrimoine libre. L'esprit chrétien devait maintenir l'équilibre Entre tous les enfants de ce commun berceau. Leur paix dure depuis ciniiuanTe ans; l'arbrisseau Est devenu grand arbre, et couvre au loin la ] daine; Malheur à ces serpents dont la néfaste haleine Répand dans ses rameaux les souffles empestés Des haines, des conflits et des rivalités! Le dernier des martyrs?. . . Non pas; le plus récent! Les oppresseurs se sont toujours trompés: le sang Des héros en produit infailliblement d'autres. Le bon droit n'en est pas à ses premiers apôtres ; Il n'en est p-us non plus à ses derniers martyrs. Avant que luise enfin le jour des repentirs, Avant que le isoleil de jutstice se lève, Avant que la rancune ait émoussé son glaive, Le sang bien sûr encor rougira notre sol. Le bourreau n'a pas dit son dernier mot; un vol Sinistre de corbeaux sur les têtes tournoie; 21 —318 — Vn cadavre, c'est pen pour leur faim, et la proie (^u'oii vient de leur livrer les met en ai)pétit. Ecoutez la clameur (pii là-bas retentit, Ou plutôt cette voix betstiale qui beui;le; C'est le rugissement du fanatisme aveugle, Le hurlement du monstre encore inassouvi. Tant que, isous son pii^l-bot, notre peuple asservi N'aura pas mis son front et plié son échine; Tant que uouis n'aurons pas, insensible machine, Sans luttes, pour pâture à ses instincts étroitis. Abandonné, joyeux, le dernier de nos droits; Tant que nous n'aurons pas, à son intolérance, Sacrifié jusqu'au souvenir de la France; Tant que notre foi sainte, à l'abri des lacets, Gardera nos enfants, fiers, libres et français; Tant que par droit d'aînesse et par droit de conquête. Notre race, chez soi, marchera haut la tête, On entendra rugir le dragon. Il lui faut Notre asservissement, ou sinon. . . l'échafaud! ('*^) Kegarde, me disait mon père, Ce drapeau vaillamment porté; Il a fait ton pays prospère. Et respecte ta liberté. C'est le drapean de l'Angleterre; Sans tache, sur le firmament, Presque à tons les points de la terre Il flotte p-lorieusement. — 320 — Oui, sur un huitième du «>lobe C'est l'étendard officiel; Mais le coin d'azur qu'il dérobe Nulle part n'obscurcit le ciel. Il brille sur tous les rivages; 11 a semé tous les progrès Au bout des mers les plus sauvages Comme aux plus lointaines forêts. Laissant partout sa fière empreinte, Aux plus féroces nations Il a ])orté la flamme sainte De nos civilisations. Devant l'esprit humain en marche Mainte fois son pli rayonna, Comme la colombe de l'arche, Ou comme l'éclair du Sina. — 321 — Longtemps ce glorieux insigne De notre gloire fut jaloux, Comme s'il se fût cru seul digne De marcher de pair avec nous. Avec lui, dans bien des batailles. Sur tous les points de l'univers, Nous avons mesuré nos tailles Avec des résultats divers. Un jour, notre bannière auguste Devant lui dut se replier; Mais alors s'il nous fut injuste, Il a su le faire oublier. Et si maintenant son pli vibre A nos remparts jadis gaulois. C'est au moins sur un peuple libre Qui n'a rien perdu de ses droits. — 322 — Oublions les jours de tempêtes; Et, mon enfant, puisque aujourd'hui Ce drapeau flotte sur nos têtes, Il faut s'incliner devant lui. — Mais, père, pardonnez si j'ose. . N'en e«t-il pas un autre, à nouiS? — Ah! celui-là, c'est autre chose: Il faut le baiser à srenoux! NOS (il /'■'li TROIS COULEURS A MON FILS Regarde, mon eufant, ce chifïou souverain Qui mêle — avec l'azur du tirmament serein — Dans l'éclat radieux de son pli tricolore, Aux rougeurs du Couchant les blancheurs de l'aurore! Ces trois couleurs. dra]»aiit de leurs pures clartés Trois principes féconds dans un seul reflétés, C'est, insigne éternel de toute indépendance, — Chapeau bas, mon enfant! — le drapeau delà France! — 324 — Ecoute! ce drapeau n'a ]»as eiicor cent ans; Et, isnr iinLs batailloms aux paiiaclies Hottants, Se l'iiaiit noir de pondre an niili(Mi de;< mêlées; 8nr nnl rempart crachant les bonibets par volées; A nnl niât d'artimon seconant sons les cienx Le pavillon vainqnenr d'nn penple ambitieux; Snr la tei-re on les flots, jamais Tâpre rafale, — Non, jamais, même anx jonrs de clameur triomphale N'a déroulé de plis, aux yeux de l'univcns, Par des noms immortels plus noblement couverts! Non, il n'a pas cent ans. (}uand l'humanité sainte, — Après avoir vidé plein sa coupe d'abtsinthe — Dans le trouble orj;neilleux de «a maternité, Sentit naître en son flanc la vierj>e Liberté, (Comme un aistre porteur de consolants préisages. Il monta radieux à l'horizon des âges. Les peuples, gouvernés en troupeaux de moutons, Vers le progrès divin s'avançaient à tâtons; — 3•.^-) — La France monarchiqTie, un soufflet sur la joue, AvauT vu sa jiraudeur sVerouIer dans la boue, Les bras levée au ciel, attendait en chemin Le solennel moment ilu urand réveil humain. Le labarum nouveau dissipa les ténèbres. Le vieux monde frémit jusiiue dans seiS vertèbres. Ecrasant du talon tous les nids de vautours, Balayant d'un seul coup la Bastille et ses tours, Le peuple se leva sombre et vendeur; la France, Poussant aux quatre vents son cri de délivrance, Ebranla pour toujours les trônes délabrés Du retentissement des vieux pouvoirs sombres î Epouvantés, les rois vont se liguer contre elle. . . Xe crains rien, mon enfant, la France est immortelle! Vois défiler là-bas tous ces joyeux conscrits, Enfants de leur village ou jiamins de Paris, Sans vivres, sans souliei'S, chantant la MarsrilJdise; Ils vont des temps nouveaux proclamer la genèse, — 326 Et, sons le drappan neuf, symbole de leurs droits, Fonder la République en bousculant les rois ! Puis commence, géante, incroyable, inouïe. Se déroulant aux yeux de l'Europe éblouie. L'héroïque légende où l'univers entier Au sublime haillon dut demander quartier. Oui, ce haillon troué, mais que la gloire inonde, A passé, mon enfant, sur le ventre du monde! Incline-toi devant ses lambeaux vénérés! Avec tout ton amour baise ses plis sacrés; Car ce drapeau sans peur, digne des chants d'Homère, Ce drapeau, mon enfant, c'est celui de ta mère! Il fut vaincu, c'est vrai; plus tard, la trahison Déshonora son aigle et souilla son blason; Mais lui, sans tache, même au jour de la défaite, Toujours fier, toujours pur, il brille encore au faîte De tout ce que le siècle a produit de plus grand; C'est l'emblème sacré, c'est le témoin flagrant Des conquêtes du droit contre la tyrannie! — 327 — O drapeau! si jamais un Français te renie, Que dis-je ? si la France, oubliant tes splendeurs, Sous un autre guidon clierchait d'autres grandeurs, Nous, ses enfants lointains, nous l'aimerions encore; Mais, fidèles à toi, glorieux tricolore. Nous te clouerions au mât comme un cher souvenir Que nos vieillards viendraient saluer et bénir, En tournant leurs regards vers un temps plus prospère. Et toi, mon fils, toujours français comme ton père, Quand nous serons partis, ou que nous serons vieux, Ohl ne laisse jamais le lâche ou l'envieux Flétrir ce défenseur de toute cause juste. Et puis, ô mon enfant, si la bannière auguste Devait cesser de luire au soleil canadien, Sois son appui suprême et son dernier gardien ! la S t^ tue de Voltaire Ceci, c'eist dom* A'olTaire! Oui, je recomiais là (V " sourire lii;hMix " (jiie Musset flagella. Le bronze «^raiulit riioiimit^ et hii (loiiiie du torse; Mais c'est bi.Mi là tonjonrs la même lèvre torse, Qui, de miel ixiur les rois — ô rictus exécré! — Soixante ans insulta tout ce qui fut sacré, Et dont, ô mon pays, sur ta sainte blessure, Vint rejaillir un jour la lâche éclaboussure. — 330 — Donc te yoilà, Voltaire! eh bien, lève un instant La membrane qui bat sur cet œil clignotant; Dresse la tête, et puis laisse tomber le tome Que tu tiens à la main. Bien! maintenant, grand homme, De ta bouche détends un peu les plis amers, Et regarde là-bas, au bout des vastes mers! Vois-tu ces champs sans nombre où les moissons abondent? Ce fleuve sillonné par des flottes que boudent Les richesses des deux hémisphères? Vois-tu Ce progrès qui, sortant de tout sentier battu, Loin du pâle émeutier comme des cours serviles, Défriche la forêt pour y fonder des -^dlles? Vois-tu ces bourgs nombreux et ces fières cités. Où fleurissent en paix toutes les libertés. D'où les produits : sans borne et ses plaiues fécondes Deviennent à jamais le grenier des deux iiiondesl Enlin, vois tous ces grands territoires ouverts Aux avatars futurs d'un nouvel univers, Où serpente déjà la route colossale Qu'avait rêvée un jour Cavelier de La Salle, Empire qui, baigné par ses trois océans, Peut embrasser l'Europe enti-e ses bras géants! Et dis-moi maintenant, de ta voix satanique. Qui crut pouvoir flétrir par sa verve cynique. Dans un libelle atroce, ignoble, révoltant, L'héroïne qtie tout bon Français aime tanti De ta voix qui, mêlant l'ironie à l'astuce. Raillait la France afin de mieux flatter la Prusse, —332 — Et qui savait si bien, ô oaiant troubadour, En huant Jeanne d-Arc chanter la Poinpadour! Dics-moi, de cette voix tant de fois sacrilège, Ce que valaient pourtant quvUptv.s arpent.^ de nci(/e.' C'^) EPILOGUE •22 FRANCE ..■^ Quand (l(»s juitiiiiics jolies l'iminanité ee lasse, Quand il est (picliine ])art 1111 peuple à secourir, (^ui donc à riioiizon toycz-vous accourir? A g-enoux, opprimés ! c'e^t la France qui passe Sans espoir et fsier« leiuis victimes sans nombre, ]^es aveiio-le^ du jours et les liyoéti(]U(', Ainsi qu'un médaillon antique. Ton nulle ]m>fil resplendit ! Tu chantas nos exploits ; nos héros, tu les comptes ; Avec que! sentiment d'or<>-ueil tu nouis i^iicontes Le passé de ce peu]de héroïcpie et chrétien ! . . . Mais, parmi les grands noms exhumés par ta plume, Jl en nianque un dans ton volume. Et ce nom, Garneau, c'est le tien ! 348 Eh bien! nous ly mettrons, nous, tes humbles disciples! Ton génie a tressé des couironnes multiples Pour tous nos ]\Iarius et pour tous nos Catons : Xous voulons — droit sacré, dettes nationales ! — Que ton nom vive en nos annales, Et se lise à tous nos frontons ! (2) Cette pièce, adressée aux membres de l'Institut canadien de Boston, se terminait par cet envoi : Enfants du Canada, fils -de la noble France. Qui vivez étrangers sous un autre horizon, Yous pouvez réclamer de ce double blason La fière et franche indépendanee. Non seulement la France a porté la clarté Jusqu'aux confins perdus de funivers sauvage; Elle a jeté partout, terrassant resclavage, Le germe de la lil)erté. Vous avez, je le Siais, conservé ce prestige; Votre Institut s'en montre inflexible soutien; Vous portez pour devise un mot fier et chrétien : Ajoutez-y : — Noh lesse oblige ! (3) Cette parole de François I*""^ se trouve consignée presque ver- hatim dans Garneau. On trouvera, au commencement de cette pièce, une ressem- blance bien prononcée avec une autre pièce signée par un autre que moi. En comparant les dates, on verra lequel des deux a plagié l'autre. Du reste, il serait fastidieux de signaler chaque page de ce livre qui a largement servi à certain copiste en quête d'inspiration. "Le monarque, qui avait conservé le goût des entreprises loin- taines, se voyant en paix avec ses voisins, agréa le projet de son ami- ral (Philippe de Chabot), et en confia l'exécution à Jacques Cartier, habile navigateur de Saint-]\Ialo. Lorsque la nouvelle en parvint aux rois d'Espagne et de Portugal, ils se récrièrent. — '' Eh ! quoi, " dit en riant François 1er quand on lui rapporta leurs prétentions, " ils partagent tranquillement entre eux toute TAmérique sans souf- 34 'J — " frir que j'y premio part comme leur frère! Je voudrais bien voir " l'article du testament d'Adam qui leur lègue ce vaste héritage !" (Garneau, Hist. du Canada.) (4) "Après la célébration 'des saints mystères, toute la troupe s'a- vança jusque dauis le chœur de la cathédrale, et vint se ranger autour du trône, où l'évêque de Saint-^Ialo. ^Igr Bohier. revêtu des orne- ments pontificaux, a])pela sur eux et sur leur expédition toutes les grâces du ciel, et leur- donna sa bénédiction. Cet acte solennel fut le sacre de la France américaine à son berceau." (Iv'abbé H.-R. Casgeaix. Hist. de la M. Marie de V Incarnation.) (5) Jacques Cartier quitta Saint-]\[alo avec sa flottille, compasée delà GramJc-Ucrrninc. de la Pctite-IIermine et de VEnicriUon. le 19 mai 1535. (6) Les découvreurs entrèrent dans le bassin de Québec le- J-i septembre 1535. (7) Conmie les historieus ne sont pas d'accord sur l'endroit où s'est dite la première messe au Canada, l'auteur a préféré s'en rapporter à une vieille tradition, très plausible du reste, qui veut que cette cérémonie ait eu lieu au conlluent du Saguenay et du Saint-Laurent, oii s'élève aujourd'hui le village de Tadoiissac. Ce fut d'ailleurs à cet endroit que fut construite la première cliai)elle. (8) Louis Hébert, apothicaire de Paris, herboriste passionné, grand ami de l'agriculture, suivit Poutrincourt en Acadie dès 1604, et commença des cultures à Port-Eoyal. Cet établissement ayant été ravagé par les Anglais de la Virginie (1613), Hébert retourna eu France, puis repartit (KilT) avec sa famille pour aller se fixer à Québec, où il fut k' premier colon du Canada qui se nourrît du pro- duit de la terre. (Rexjamix Sulte, Sotes inédites.) (9) Ce fut le 17 mai 1042 que de Maisouneuve prit pied à l'en- droit que, trente et un ans auparavant. Champlain avait choisi pour y fonder l'établissement qui devait être plus tard :\Lmtréal. 23 — 350 Les détails de cette pièce .sont strictement liistoriques. Voici com- ment Parkman raconte ce curieux épisode : " Ils s'agenouillèrent dans un religieux silence au moment où riiostie s'élevait; et, quand la cérémonie fut tenninée, le prêtre se retourna et leur adressa ces parolas : — "Vous êtes un grain de séne- " vé, qui va germer et grandir jusqu'à oe que ses rameaux ombragent " la terre. Vous êtes peu nombreux, mais votre œuvre est celui de " Dieu. Son sourire est sur vous, et vos enfants rempliront la con- "trée." — L'après-midi s'écoula; le soleil sombra derrière les monta- gnes du Couchant, et la liunière fit place au crépuscule. Des lucioles voltigeaienit dans la plaine assombrie. On s'en empara, et on les at- tacha à des fils en festons étincelants qu'on suspendit sur l'autel, où le Saint-Sacrement était resté exposé. Alors" on planta les tentes, on alluma les feux de bivouac, on plaça les sentinelles, et chacun se reti- ra pour donnir. Telle fut la nuit où naquit Montréal." (The Jesuits m North America.) (10) Mlle de Verchères, l'héroïne de cet épisode, naquit en 1678. Elle s'appelait Madeleine; on comprendra que c'est par ra]>])roc]icm('nt (pic ranrcnr lui doiinc un autre prénom. Ce fut en liJSyi qu'elle acconqdit cet exploit. Plus tard, elle épousa Pierre-Thomas Tarieu do Lanaudière, seigneur de Sainte-Anne- de-la-Pérade. ! (11) "On était rendu aux premiers jours du mois d'août (1689), et rien n'annonçait un événement extraordinaire, lorsque, tout à coup, quatorze cents Iroquois traversèrent le lac Saint-Louis, dans la nuit du 5, durant unei tempête de grêle 'et de pluie qui les favorise, et dé- barquent en silence sur la partie supérieure de l'île de Montréal. Avant le jour, ils se sont placés par pelotons, à toutes les maisons, sur un espaice de plusieurs lieues. Les habitants sont plongés dans 1© sommeil. Les Iroquois n'attendent plus que le signal: il est don- né. Alors s'élève un effroyable cri de mort; les portes sont rom- pues, et le massacre commence j^artoiit en même temps. Les sauvages égorgent d'abord les hommes; ils mettent le feu aux mai- sons qui résistent, et lorsque la flamme en fait sortir les habitants, ils épuisient sur eux tout'ce que la fureur et la férocité peuvent inven- ter. Ils ouvrent le sein des femmes enceintes, pour en arracher le fruit qu'elles portent, et contraignent les mères à rôtir vifs leurs enfants. Deux cents personnes périssent 'dans les flammes. Un grand nondore d'autres sont entraînées dans les Cantons pour y souffrir le même supplice. L'île est inondée de sang et ravagée jus- 351 — qu'aux portes de la ville de Montréal. De là, les Iroquois pass^ent sur la rive opposée; la paroisse de La Ohenaie est ineemdiée tout entière, et une partie des habitants est massacrée." CGaexeau, Hist. du Canada.) (12) Les principaux martyrs de la foi au Canada sont : le P. Viel, nové par les Hurons, au Saut-au-Rçcollet, en 1630 ; — le missionnaire de îTouë, trouvé gelé dans les îles de Sorel, en 1646 ; — le P. Jogues, martyrisé par les Agniers, eu IG-tT; — les PP. Daniel, de Brébeuf, Lallemand, Chabanel, Ganiier, Butteux, Lié- geois, Gameau, Le Maître, massacrés par les Iroquois, de 1648 à 1661 ; — et enfin le P. Rasle, tué au seuil de sa chapelle, par les Anglais, en 1727. Les supplices que les sauvages faisaient subir à ces héroïques missionnaires étaient épouvantables. On les traî- nait pieds nus, durant des semaines, à travers la forêt, quelquefois sur le sol glacé, j^l^is on les forçait de marc>her sur des charbons ardents ; on les meurtrissait de coups ; on leur labourait la ohair avec des aiguillons enflammés ; on leur arrachait les ongles ; on leur coupait les phalanges avec les dents, puis on leur fumait les doigts ainsi mutilés dans des pijjes brûlantes ; on rouvrait leurs plaies et on les laissait béantes jusqu'à ce que les vers s'y missent ; on les attachait à des poteaux, de façon qu'ils ne pussent se reposer un seul instant, et dans cette position, on leur passait autour du cou des colliers de haches rougies à la flanmie, et autour du corps des ceintures d'écorce enduites de gomme et de résine en feu ; on leur arracbait la chevelure, puis on leur versait de l'eau bouillante sur le crâne, que l'on recouvrait ensuite d'une couche de braise; on leur enlevait des lambeaux de ohair, qu'on faisait griller et qu'on dévorait ensuite sous leurs yeux ; enfin tout ce que la plus horrible férocité pouvait imaginer était mis en œuvre par ces barbares ]X)ur torturer ceux qui leur apportaient, au prix de tant de peines et de sacrifices, les bienfaits du christianisme et de la civilisation. — 35? — (13) L'épisode qui fait le sujet de cette i)ièce n'est pas stricte- ment historique. ^Mais les faits analogues étaient d'occurrence journalière dans les premiers temps de la colonie. Le terrible souvenir s'en est peri)étué juscpi'à nos jours parmi la population canadienne. On n'y ])arle jamais de C'roquemitaine aux enfants récalcitrants; on dit: Les sauvages vont renir I (14) Cavelier de la Salle était natif de Rouen. Tl découvrit les bouches du ^Iississi])i en février 1682, et fut massacré par ses compagnons le 21 mai 1687. On lui a élevé un monument commé- moratif dans la cathédrale de Rouen, le 2(; mai is.st. C'est pour cette occasion qu'a été comjtosée la ])réseut(' ])iéce — ce qui ex- plique l'allusion qui la termine. (15) Cette fameuse ex]x'dition partit de Montréal en mars 1686 ; elle atteignit la baie d'IImlson le 18 juin. Sa nuirche avait donc duré trois mois. La petite armée se com]x>sait de soixante-dix Canadiens commandés par d'Iberville, et de trente soldats sous les ordres de M. de Troves. La description que l'auteur fait des difficultés, des fatigues et des dangers que cette petite armée eut à affronter n'a rien d'exagéré. Arrivés à la l)aie d'Hudson, ces héros s'emparèrent des forts Monsonis, Eupert et Sainte-Anne; ce der- nier était armé de quarante-trois pièces de canon. "Pendant que le chevalier de Troyes donnait l'assaut à ce fort, dit Garneau ]>arlant du fort Rupert, d'Iberville et son frère Maricourt, avec neuf hommes montés sur deux canots d'écorce, attaquaient un bâtiment de guerre sous la place et le prenaient à l'abordage. Le gouverneur de la baie d'Hudson fut au nondiie des prisonniers." (1<>) Mme de la Peltrie, fondatrice des ursulines de Quél)ec, fut l'une des plus belles figures de notre histoire. Elle s'ap]^elait de son nom propre Marie-Madeleine de Chauvigny, et appartenait à la haute noblesse normande. Elle épousa, i\ dix-sept ans, un jeune gentilhomme du nom de La Peltrie, qui mourut cinq ans après. — 353 — Alors elle déeitla de consacrer sa vie et sa fortune à rinstruction des petits sauvages du Canada. Mais son ])ère, qui Fadorait. vou- lait la marier à un certain M. de Bernières. Elle s'entendit avec ce dernier, qui lui-même avait fait vœu de chasteté, pour sinnder un mariage ; et, son père étant mort, elle s'embarqua à Dieppe, le 4 mai 1639, pour le Canada, avec cini] autres religieuses, au nombre desquelles se trouvait la fameuse Marie de rincarnation. En tou- chant la terre du Canada, toutes se jetèrent à genoux et baisèrent le sol. Le vieux frêne dont il s'agit iei se trouvait enclavé dans la cour du monastère fondé par la sainte veuve, et la tradition veut que ce soit sous son ombrage qu'elle allait s'asseoir de préférence pottr enseigiier la lecture et le catéchisme aux petites filles des Hurons. Quand il fut renversé par une tempête, le 24 juillet 1867, on l'appelait encore '' le frêne de Mme de La Peltrie ". (17) " En IGGO, seize jeunes Français, commandés par Daulac, furent attaqués par sept cents Iroquoi*, dans un méchant fort de pieux, au pied du Loug-Sault; avec l'aide d'une cinquantaine de Hurons et d'Algonquins, ils repoussèrent tous les assauts pendant dix jours. Mais. al)andonnés à la lin ])ar la phipart de leurs alliés, ils ne purent résister à une dernière attaque et succombèrent. L'un des quatre Français qui restaient encore avec quelques Hurons, lorsque l'emienii pénétra dans l'intérieur du fort, voyant tout perdu, acheva à coups de haches ses compagnons blessés, pour les empêcher de tom- ber vivants entre les mains du vainqueur. Le dévouement de Daulac arrêta les premiers efforts d'un orage qui allait fondre sur le Canada, car les ennemis, qui avaient essuyé des pertes très considérables, fu- rent si effrayés de cette résistance, qu'ils abandonnèrent une grande attaque qu'ils venaient de faire sur Québec, où la nouvelle de^ leur approche avait répandu la consternation. Après s'être emparés de cette ville, leur projet était de se rabattre sur les Trois-Eivières et sur Montréal, et de mettre tout à feu et à sang dans la campagne... En Huron. échappé par hasard au massacre du Long-Sault, annonça aux hal)itants la retraite de l'ennemi." (Gaeneau, Hist. du Ca- nada.) (18) Cette touchante histoire est strictement historique. La complainte ainsi trouvée sur le cadavre du pauvre Cadieux a 354 été longtenijjs })()pnlaii'o. La voici, telle que nous l'a transmise la tradition : Petit rocher clo la haute montagne. Je viens finir ici cette campagne; Ah ! doux échos, entendez mes isou]iirs ; En languissiant je vais bientôt mourir ! Petits oiseaux,, vos douces harmonies, Quand vous chantiez, me rattach'nt à la vie; Ali! si j'avais des ailes comme vous, Je s'rais heureux avant qu'il fût deux jours. Seul en ces hois que j'ai eu de soucis. Pensant toujours à mes si chers aanis; Je demandais: — Hélas! sont-ils noyés? Les Iroquois les auraient-ils tués? Un de ces jours que m'étant éloigné, En revenant je vis une fumée; Je me suis dit: — Ah! grand Dieu, qu'est ceci? Les Iroquois m'ont-ils pris mon logis? Je me suis mis un peu à l'ambassade, , Afin de voir «si c'était emlniscade; Alors je vis trois yisages français; M'ont mis le cœur d'une trop grande joie! Mes genoux pli'nt, ma faible voix s'arrête; Je tombe. . . Hélas! à partir ils s'apprêtent. Je reste seul ! Pas im qui uie console, Quand la mort vient par un si grand désole ! Un loup hurlant vint jirès de ma cabane Voir si mon feu n'avait pas de boucane; Je lui ai dit : — Eetire-toi d'ici, Ou, par ma foi, je perc'rai ton habit ! Un noir corbeau, volant à l'aventure, . Vint se percher tout près de ma toiture; Je lui ai dit: — Mantgeur de chair humaine. Va-t'en chercher autre viande que mienne ! 355 — Va-t'en là-bas, clans ces bois et marais. Tu trouveras plusieurs corps iroquois; Tu trouwras des chairs, aussi des os; Va-t'en plus loin, laisse-moi en repos î Eossignolet, va dire à ma maîtresse, A mes enfants qu'un adieu je leur laisse. Que j'ai g-ardé mon amour et ma foi. Et désormais -faut renoncer à moi! C'est donc ici que le mond' m'abandonne ; Mais j'ai recours à tous, Sauveur des hommes ! Très sainte Vierge, ne m'abandonnez pas ! Permettez-moi d'mourir entre vos bras ! (19) Voici les proprets paroles de Fronten?i.c: — Allez dire à *votre maître que je hii répondrai par la hoaclie de mes canons! Cela se passait le IG octobre 1690. (20) Ce drapeau, pris sur l'ennemi dans des circonstances si extraordinaires, resta jusqu'en 1759 suspendu aux voûtes de la cathédrale de Québec, et fut détruit avec elle dans l'incendie allumé par les bombes que la flotte de Wolfe faisait pleuvoir sur la ville assiégée. Ce M. de Sainte-Hélène, qui accomplit ce prodi- gieux exploit, était de la famille d'Iberville. Une médaille fut frappée en souvenir de cet échec de Phipps devant Québec. (21) Voici les noms des huit vaisseaux de sir Hovenden Walker, qui périrent, dans cette circonstance, sur les rochers de l'Ile-aux- Œufs, le 22 août 1711: — VI sabel la- A nn-Cathrin, le Chatam, le Marlborough, le Merchant of Smyrne, le Colchester, le Nathaniel- EUzaheth, le Samuel-A?in, et le Content. Les rapports constatent à peu près onze cents victimes. C'est à cette occasion que l'église de Îs^otre-Dame, dans la basse ville de Québec, reçut le nom de Notre-Dame-des-Victoires. (22) La bataille de Carillon, sur les bords du lac Saint-Sacre- ment, eut lieu le 8 juillet 1758. Montcalm, à la tête de trois mille — 356 — six cents Canadiens, après six lienres de Intte, y battit quinze mille hommes commandés par le général Abercromby. Pertes du côté .des Français. 377 ihoninies dont 38 officiers; du côté des An- glais, on avoua 2000 hommes, dont 126 officiers: mais toutes les relations françaises parlent de quatre ou six mille hommes tués ou blessés. Le soir de la bataille, l'heureux vainqueur écrivait à M. Doreil, son ami : '" L'armée, et trop petite armée du roi, vient de battre ses ennemis. Quelle journée ]inur la France! 8i j'avais eu deux cents sauvages pour servir de tête îi un détacheonent de mille hommes d'élite, dont j'aurais confié le comnumdement au chevalier de Lévis, il n'en serait pas échappé beaucoup dans leur fuite. Ah! (|nelles tr(iu])C's, nmn cher Doreil, cpie les nôtres! Je n'en ai jamais vu <1(' parciUes! " Fî le lendemain, il écrivait à ^F. de Vaudreuil : '' Je n'ai eu que la gloire de me trouver le général de troupes aussi valeureuses. . . Le succès de l'affaire est dû à la valeur incroyable de l'officier et du sohlat.'' (23) (V4te précieuse relique, qu'on a})})elle le "Drapeau de Carillon ", est aujourd'hui la propriété de l'université de Québec. File a fait le sujet d'nn célèV)re poème d'Octave Crémazie. (24) Wolfe avait, dans la nuit du 12 au 13 sejDtembre 175»j, par un sentier al)ru])t, ré])uté impraticable, pu faire atteindre à son armée le haut de l'escarpement, d'où ce qu'on appelle les ])laines d'Abraham dominent (Québec. Ce sentier était défendu par un poste commandé par un nommé Vergor, qui fut pris dans son lit. Ce même Vergor, trois ans auparavant, avait rendu sans combat le fort de Beauséjour dont il était commandant. Son nom est resté en exécration. " Accusé, dit Clarneau, devant une cour martiale, pour la reddi- tion de ce fort, il avait été aeqidtté, grâce aux intrigues 'de l'In- tendant. Il était capitaine dans les troupes de la marine. C'est à ce favori bien digne de lui que Bigot écrivait un jour en partant pour la France, d'où il ir'aurait jamais dû revenir: — "Profitez, mon cher "Vergor, de votre place ; taillez, rognez, vous avez tout ;pouvoir, afin "que vous puissiez bientôt venir nie rejoindre en France, et acheter " un bien à portée de moi." 357 (25) Montcalm avait écrit au ministre de la guerre: " Xous combattrons et nous nous ensevelirons, s'il le faut, sous les ruines de la colonie.'' A cette fameu.^^e bataille «rAlu-aliani, les Anglais étaient deux courre un. (2ii) "Bigot était l'intendant de la colonie. Margry dit de lui : "Bigot n'avait jamais assez d'argent pour le dissiper." — Ces employés publics, l'intendant Bigot à leur tête, parvinrent, à une époque suprême oii les conjectures ne permettaient point de porter remède aux maux, à accaparer toute la fourniture du roi : 'elle s'éle- va à plus de quinze millions à la fin de la guerre. . . Il (Bigot) fai- sait enlever au nom du roi les grains et le? bestiaux à bas prix, et les faisait revendre par la Société à des prix excessifs. Ainsi le pain, qui revenait à la compagnie à 3 sous la livre et la viande à 6, coûtait au public de 20 à 30 sous, et de 40 à 50 sous. On assure qu'il ré- duisit les habitants de Québec à deux onces de pain par jour, afin de hausser le prix des denrées... Les déprédations de cette Société étaient presque aussi funestes que les entreprises de l'ennemi .... T.a récolte avait entièrement manqué. Dans plusieurs paroisses, on avait à |x^ine recueilli les semences... Dans les maisons religieuses, la portion journalière fut réduite à une demi-livre de pain par tête; et il fut proposé de fournir aux habitants des villes une livre de bœuf, de cheval ou de morue sèche par tête, outre le quarteron de pain qui leur était distribué alors, et qui fut jugé insuffisant. . . En décembre 1758, la ration fut encore amoindrie... Il v avait long- temps que le j^euple, à Québec comme à ^lontréal. ne mangeait pres- que plus de ])ain. et que les officiers même, à Québec comme à Mont- réal, n'en avaient qu'un quarteron par jour. . . Au mois d'avril sui- A'ant (1759), on fut obligé de réduire encore la ration des habitants de Québec, et de la fixer à deux onces de ]>ain et à huit onces de lard ou de morue par jour. On vovait des homanes tomljer de fai- blesse dans les rues par défaut de nourriture. Plus de trois cents Aeadiens réfugiés moururent do misère et de faim."' (Garxeaf, Hist. du Canada.) (27) Bataille de Sainte-Foje, 28 avril 1760. Ce fut la dernière que se livrèrent chez nous les deux puissances ennemies — si l'on en exeepte le combat de VAfalanie, une résistance désespérée et non une l)ataille. Le chevalier de Lévis, plus tard maréchal de France, y sauva riuanieur du (li'a]i('au ])ar une dcruièi'c victoire. — 358 — (28) "Tout ce que les Français pouvaient faire, c'était de garder leurs lignes en attendant des secours d'Europe... De leur côté, les assiégés n'attendaient de salut que de l'arrivée de leur flotte. Ainsi, de part et d'autre, la croyance générale était que la ville resterait au premier drapeau qui paraîtrait dans le port . . . Aussi, tout le monde, ajsisiégés. et assiégeants, tournait-il, avec la plus xixe anxiété, les yeuz vers le bas du fleuve, d'où chacun espérait voir venir le salut. . . Le 9 mai 17G0, une frégate entra dans le port." (Garneau, Ilist. du Canada.) C'était une frégate anglaise, suivie bientôt par deux autres gros vaisseaux de guerre, appartenant à la même nationalité. Cette pièce fut écrite en 1883, à l'occasion du cinquantenaire de l'arrivée an Canada de M. le docteur Picault, ancien vice-consul de France à Montréal, — liélas ! disparu aujourd'hui. Elle était accom- pagnée de l'envoi suivant : Hier, en relisant cette navrante page Déjà par plus d'un -siècle effacée à demi. Je vous nommais. Monsieur; car, après ce naufrage. L'un des premiers Français que revit notre plage, Ce fut vous, ô mon vieil ami ! Cinquante ans vous avez vécu notre existence. D'exemples nous donnaiit tout ce qu'on peut donner: Merci ! Si de ces jours de deuil et de souffrance, Xotre amour avait pu tenir compte à la France, A'ous nous auriez fait pardonner ! (29) M. Faucher de Saint-Maurice a admirablement raconté cet épisode héroïque dans un important travail intitulé: Un des oubliés de notre histoire, et préparé pour la Société Royale du Canada. J'ai emprunté à ce travail certains détails dont nos autres historiens ne font pas mention. De retour en France, Yauquelain voulut entrer dans la marine royale. ]\[. de Berryer, secrétaire de la Marine, lui fit répondre qu'il ne pouvait donner aucun grade à un roturier, quand plusieurs fils de famille attendaient des promo- tions. ^Malgré l'avis du ministre, il obtint cependant un l)revet de lieutenant de vaisseau en 1703. Le mémoire cité par ^1. Faucher de Saint-Maurice ajoute : — 359 — " L ne grande imrtie de la marine royale ne le vit pas sans peine élevé à ce grade. M. de Praslin, ayant besoin d'un officier capable de s'acquitter d'une commission importante dans les grandes Indes, donna, par commission, le commandement d'un vaisseau de soixante canons à Yauquelain. Ce choix excita encore la jalousie de la ma- rine royale, qui opposa plu^ieure obstacles à son départ. Yaucpie- lain en triompha et sortit cle Kochefort pour se rendre aux grandes Indes. Pendant la traversée, cet officier de fortune essuya les plus grands désagréments delà part des officiers du vaisseau qu'il com- mandait. Enfin, il arriva heureusement à Pondichéry, remplit avec distinction sa mission, et revint en France. M. le 'duc de Praslin n'était plus alors ministre de la marine, et celui qui lui avait succé- dé, faute de connaître Yauquelain ne put se garer des rapports de la calomnie. Dès que ce brave marin eut mis pied à terre, on lui en- joignit de rester aux arrêts dans son département... Après trois à quatre mois de détention, Yauquelain reçut l'avis qu'on lui rendait sa liberté. Le premier usage qu'il crût devoir en faire fut d'aller à Versailles rendre compte de sa traversée des Inides. Mais, avant de partir, la reconnaissanc-e lui fit un devoir de saluer et de remercier plusieurs officiers de marine, qui n'avaient point rougi de le visiter dans sa disgrâce. Il sortit, à cet effet, sur le soir, et fut trouvé mort le lendemain matiii. percé de coups, sans qu'on en ait counu les au- teurs." Le héros fut soleunellenient réhabilité sous Louis XIV. (30) La famille Sauriol existe encore aux environs de ^Montréal, et c'est chez elle qu'a été recueillie, par un confrère journalisfie,, M. Stanislas Coté, la tradition qui forme le fond du sujet traité ])ar l'auteur. (31) Voici les noms des cinq exconnnuniés dont il s'agit dans cette pièce: — 1° Marguerite Eaciue, célibataire, âgée d'environ trente ans, morte au mois de mars 1784; 2° Laurent Racine, cou- ein germain de la i^récédente. et mort trois ou quatre semaines après, âgé aussi d'environ trente ans; 3° Félicité Doré, épouse de Charles Dubord, âgée de cinqnanteJiuit ans, morte environ trois mois après les précédents; 4° Pierre Cadrain, mort en 1786, à l'âge de soixante-dix ans; 5° Jean-Baptiste Racine, père de Lau- rent Racine, plu? haut nommé, mort eu 1788, à Vâge de soixante- — 3G0 — sept ans. — Ils fui-ent enterrés dans nn ohamp, an qnatrième rang ■deis concessions de la paroisse de Saint-Miclicd de Bellecliasse, à six mètres du chemin royal, sur la terre ai)partenant alors à nn nommé Cadrain, et aiijeau pays de gloire (^u'on appelle la France, et qu'on aime à genoux; Si l'on vous y parle de nous, Eaeontoz cette liistoire ! (.'3:>) Jean-Baptiste Cadot (on écrit aussi Cadau) était né à Batiscan en 1723. Il se mêle naturellement une bonne partie de légende dans cette histoire du Drapeau fantôme. Elle a ]dutôt été recueillie dans les traditions populaires que chez les historiens, qui en font à peine mention. Mais le fond en paraît on ne peut plus authentique. — 3G1 (33) "Il ( Montraliu ) fut enseveli, dit Garneau. à la lueur des flambeaux, dans l'église des religieuises ursulines, en présence de quel- ques officiers; il eut pour tombeau une fosse qu'une bombe en écla- tant avait creusée sous la chaire, le long du mur." Wolfe ]X)ssède un niagiiitique mausolée dans Fabbaye de West- minster, à Londres. L'obélisque de (Québec fut inauguré le 8 septembre 1828, jour anniversaire de la capitulation de Montréal. (34) ''L"n despotisme sourd s'étendait sur les villes et les cam- pagnes ... Le seeret des correspondances privées était violé . . . Cha- que jour, des citoyens imprudents étaient jetés en prison avec grand bruit pour effrayer le public: d'autres, plus dangereux, disparais- saient soudain, et ce n'était (|ue longtemps après que leurs parents ou leui-s amis apprenaient dans quel cachot ils étaient retenus.... Cette tyrannie inquiète, d'autant plus lourde qu'elle s'exerçait sur une population faible en noml)re, descendit du chef du pouvoir anx juges dans les tribunaux. Les aecuisés étaient atteints non seule- ment dans leur liberté ijersonnelle, mais dans leur fortune. Plu- sieurs furent ruinés par des dénis de justice ou par des jugements iniques, rendus sans scrupule, au mépris de toutes les lois et de toutes les formalités de la justice. De riches citoyens des villes fu- rent dépouillés de leurs biens par ce s^-stème de pei-sécution . . . Sans aucune forme de iirocès. les soldats arrêtaient les nns sous de vao-ue-; accusations de haute trahison, les auti^es pour des c^iuses moins gra- ves, d'autres enfin 'sans cause connne. On commença par les per- sonnes de moindre importîince, et l'on remonta à celles des premiers rangs de la société. Ainsi, MM. Joutard, Hay, Carignan. Dufort, négociants; M. de Sales-Laterrière, ' directeur des forges de Saint- Maurice, et ]\r. Pellion. furent détenus à bord des vaisseaux de guerre, à Québec, ou jetés dans les cachots, sans qu'on leur eût don- né connaissance des accusations portées contre eux... Les prisons ne pouvant bientôt plus suffii-e, le couvent des récollets fut ouvert pour recevoir les nouveaux siLS]3ect?. l'n nommé André y fut détenu dix-huit mois au pain et à l'eau, sans que sa femme sût ce qu'il était devenu. Les prisonniers demandaient vainement leur procès ou leur lil>erté: on était sourd à leurs prières; et quand enfin le gou- vernement avait reconnu leur innocence, croyait les avoir assez pu- nis, ou ne craignait pins leu.rs idées, il les élargissait sans leur don- ner aucune explication." (Garxeau, Hisf. du Ca)wâa.) Du Calvet fut arrêté le 27 juillet 1780. Après deux ans et huit mois de détention, il fut remis en liberté, sans qu'on lui eût même — 362 — dit quel était son crime. C'est en juillet 17s4 qu'il lança son livre à Londres, — livre écrit en prison probablement. '' Le c-ri poussé par Du Calvet, eut un tel retentissement que le ministère anglais fut forcé de faire mine de vouloir amener Haldi- niand à sa barre ; et Du Calvet quitta Londres pour aller chercher au Canada les pièces propres à instruire le procès. " Ce fut pendant ce second voyage, dans lequel il était accompagné de son fils unique, âgé de neuf ans, que tous deux disparurent du navire sans qu'on ait jamais pu rendre coiupte de leur disparition." (J. (t. Barthe, Canada reconquis.) " Je le regarde, dit B'enjainin Suite dans une note inédite, comme celui qui a le plus contribué à faire enti'er les ministres de Londres dans la voie qui aboutit à notre constitution de 1791." (35) " On n'avait que trois cent* Canadiens et quelques Ecossais et sauvages à opposer sur ce point (Chateauguay) aux sept mille Américains qui arrivaient avec Hampton. Mais le colonel de Sala- berry était un officier expérimenté et doué d'un courage à toute é]3reuve. . . Telle était l'ardeur de ces gens, qu'on vit des voltigem-s traverser la rivière à la nage,, sous les balles, pour aller forcer les Américains à se rendre prisonniers. Hanij)ton, dont toutes les me- sures étaient dérangées, et qui croyait les Canadiens beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient, prit aloi^ la résolution d'abandonner la lutte. Ainsi, trois à quatre cents hommes en avaient vaincu sept mille, après un combat opiniâtre de quatre heures ... La victoire de Cha- teauguay eut toutes les suites d'une grande bataille, et à la nouvelle de la retraite du général Hampton, Wilkinson, dont l'armée était à Cornwall et à Saint-Régis, sur le Saint-Laurent, convoqua aussitôt un conseil de guerre. 11 y fut décidé que l'attaque de Montréal se- rait abandonnée. . . Ainsi la résistance' heureuse de quelques com- pagnies de milice détermina la retraite d'une armée de quinze à vingt mille hommes, et fit manquer le plan d'invasion le mieux; com- biné que la république des Etats-Unis eût encore fonné pour la con- quête du Canada." (Garxeau, Hist. du Canada.) (38) Historique. (39) "Beaucoup n'avaient point d'armes; ils s'en plaignirent à Chénier, qui leur répondit froidement: — "Soyez tranquilles, il y "en aura de tués parmi nous; vous prendrez leurs fusils." (G-AR- XEAU, ll'ist. du Canada.) (40) Historique. — 3C3 — (41) Quatre-viiigt-dix-iieuf furent condamnés à mort, mais ou n'en exécuta que douze. Voici leurs noms: — Cardinal, député; De Lorimier, notaire; Diiquet. vingt et un ans, étudiant; Xirola.-^, TIamelin, Daunads, Robert, Narhonne, De Coigne, les deux San- guinet, et enfin Charles Hindelwng, jeune Français auquel l'auteur consacre une pièce en particulier. Les autres furent envoyés en exil, d'oii ils ne revinrent qu'au bout de six ans. (42) Les insurgés s'étaient fal)riqué des canons eu chêne cerclé de fer. Ils ne purent même pas s'en servir, un traître les avant encloués. (43) Un soir que l'auteur avait lu cette pièce en présence de quelques jDersonnes distinguées de liantes, où les lettres ont tant de fidèles, et le patriotisme tant d'admirateurs, il trouva, sur le dos de son manuscrit, les vers suivants, qui venaient d'y être crayonnés au courajit de l'improvisation : 0 Canada français, perle du nouveau monde. Toi qui fus notre enfant, espère en l'avenir; Dans nos esprits fougueux la mémoire est profonde, Et nous n'avons jamais perdu ton souvenir. Sur tous nos autres tils, fier de ton droit d'aînesse, Tu gardes notre empreinte avec un soin jaloux; Et, puisque sur ton front brille encor la jeunesse. Tu dois avoir aussi l'espérance : attends-nous ! A notre Alsace en deuil comme à notre Lorraine, Qui gémissent toujours aux serres des vainqueur, Denuande si le temps peut glacer notre veine, Si l'ombre de l'oubli peut envahir nos cœurs ! Vers la douce lueur de ta lointaine terre, La France jette aussi ses regards éperdus; Et dit, en te pleurant comme pleure une mère : — ]\Ies fils les plus aimés sont ceux que j'ai perdus ! Ces strophes étaient signées: Adine Rio)n, — un nom mieux — 3G4: — coiiim diin> les lettres françaises, sous les pseudoiiyines de Louise d'Isolé et de Comte de Saint-Jean. Celle qui les a tracées est au- jourd'hui disparue : à sa mémoire uu souvenir ému, au nom du petit peuple dont ce livre a la prétention d'esquisser la patriotique légende. M. Auguste-E. Aubrv. dont il est fait mention dans cette pièce, est mort professeur à l'université catholique d'Angers. (44) La Capricieuse, corvette commandée par ^L de Belvèze, et qui mouilla daus le port de Québec le 13 juillet 1855, était le pre- mier vaisseau de guerre français qui fût entré dans les eaux du Saint-Laurent depuis la cession du paya à l'Angleterre. Sa visite fut \v signal de fête? .■ntorniinables et des démonstrations les plus touchantes. Cette pièce était adressée aux marins de la Magicienne et du Dunionf d'Un-ilJe. qui visitèrent ^fontréal en 1882. (45) Cet épisode est absolument historique. (4(3) Les Métis du Xord-Ouest. qui avaient pour chef Louis Eiel, sont descendants de Français unis à des indigènes. Ils foruicnr une race Ti part. (47) La nation a répondu à cette attente de l'auteur. Les élec- tions d'octobre ISSH ont condamné le gouvernement de Québec, qui avait été tro]) faible jxiur ])rorester contre l'exécution de Louis Riel, et porté au pouvoir le chef libéral, ^L Honoré ^rorcier. que le gou- vernement français a fait officier de la Légion (riiouneur. ^I. ^Mer- cier était non seulenirnr uu oi'atcur l)rilhint et ])rofond. mais encore un homme d'Etat su])('i-icur et un vailhint caractère. Sous sa conduite, le Canada français a vu ses jours les plu- brillants. A quel(|ue chose malheur est bon. Le grand patriote s'est éteint le 30 octobre 1894, en laissant derrière lui un souvenir légendaire. (48) C'est sur l'insistance barbare des orangistes que Louis Riel a été exécuté, le IG novembre 1885. Il ne faut pas confondre — 365 — cette secte fanatique et intolérante, avec le reste de la population anglaise du Canada. (49) C'est ainslqne Voltaire désignait le Canada, nn ]m_vs qui couvre une superficie presque aussi considérable que celle de l'Eu- rope entière, et qui, à cette époque, comprenait en outre plusieurs des Etats les plus fertiles et les plus vastes de l'Union américaine. (50) Ces huit strophes sont de celles qu'im certain monsieur s'est permis, non seulemenr de paraphraser avec audace, mais encore, d'en réclamer la paternité en m'accusant de l'avoir plagié. La chose serait sans importance et je ne prendrais pas la peine d'y faire allusion, si le monsieur n'avait étajé sa prétention, non pas par une aflirmation sous serment suivant son habitude, dé- claration qui vaudrait ce qu'elle pourrait valoir, mais par extra- ordinaire sur un semblant de preuve. Sa paraphrase aurait été lue dans un certain banquet, en 1883, et la première édition de ina Lé(/eiide d'un Peuple n'avait j^aru qu'on 1887. Je ne conteste point ces dates et j'admets même que le cas serait probant, si ces huit strophes, qui servent de début à l'épilogue de mon volume, n'étaient pas antérieures au livre lui-même, et n'avaient pas été publiées un an avant le banquet dont il s'agit. Ce banquet eut lieu en juillet 1883 si l'on veut, mais ma pièce avait été publiée le 17 juillet de l'année précédente. Ceux que ces choses intéressent peuvent s'en assurer en feuille- tant, dans les biljliothèques puldiques, la liasse de la Patrie, nu- méro du 17 juillet 1882. Voici le texte même de la pièce : Pour le Toast a la Feaxce. Quand des antiques Jougs l'humanité se lasse; Quand il est quelque pai-t des larmes à tarir, Qui donc à l'horizon voyez-vous accourir? L genoux opprimés, c'est la France qui passe ! 24 — 366 Sans esiDoir et sans Dieu l'enfant de la forêt Traîne-t-il sa misère à l'autre bout du monde. Qui donc va lui verser, la lumière féconde ? Xations saluez ! Car la France apparaît ! De Timniense avenir resplendissant aurore, Pour \-ous joindre en faisceau, peuples de l'univers, Faut-il percer les monts ou rapprocher les mei-s ? Paladin du progrès, la France arrive encore. Faut-il protég-er riuiiiihle, écraser Attila, Faut-il humilier l'orgueilleux qui s'élève, Vaincre et civiliser par le livre ou le glaive? Vaillant soldat du droit, la France est toujours là ! La France est toujours là, même aux jours des naufrages, Comme un phare sublime aux rayons éclatants. Elle se dresse au l)ord des abîmes du temps. De son fliairdx'au superbe éblouissant les âges. La France est toujours là ! semeur des jours nouveaux, Elle va prodiguant la divine semence. Laissant par deri'ière elle une traînée immense D'exemples immoi'tels et d'immoi'tcls li'avaux. Xobles rives du iîhône, et vous bords de la Loire, Tolbiac, Marignan, CérisoUes, Eocroy, Denain, Ivry, Coutras, Bouvines, Fontenoy, Dites-nous si le monde a connu jilus de gloire ! Et vous, ô Friedland, Flm. Austerlitz, Eylau, Lodi, Wagram, orgueil du drajieau tricolore, Vous qui malgré Sedan éblouissez encore, Dites-nous si l'histoire offre un plus fier tableau ! La France, elle éclipsa tous les héros d'Homère ! Héritière d'Athène et du grand nom romain, C'est le cerveau par oii pense le genre humain. . . Et puis par-dessus tout. Fi-ançais, c'est notre mère ! Montréal. U juillet 1882. Donc le voleur, ce n'est pas moi, L. F. TABLE DES MATIÈRES XOTEE HISTOIRE. . An TE LU CE. M .. .. La Renaissance . . Saint-Malo Le Saint-Laurent PROLOGUE L'Amérique 5^"j| PREMIERE EPOQUE 27 37 43 47 51 La Forêt -q — 808 — Pages Première MESSE 61 Première MOISSON 67 Première NUIT 71 Premières SAISONS 77 Missionnaires ET Martyrs 83 Le Pionnier 89 JOLLIET 99 Cavelier DE LA Salle 109 A LA BAIE D'HuDSON 119 Le Frêne des Ursulines 125 Daulac DES Ormeaux 131 Cadieux 139 DEUXIEME EPOQUE A LA nage! 151 Apparition 157 Le dernier drapeau blanc 1(35 Les plaines dAbraham 1(59 Dernier coup de dé 175 U Atalante 181 Fors l'honneur ! 185 Jean Sauriol 195 — 369 — PAr.ES . . . . 205 Les Excommunies .. .. 211 Le Drapeau FANTOME . . . 223 Vainqueur et vaincu TROISIEME EPOQUE . . 229 UU Calvet . . . . 235 Chateauguay 241 Papineau (I) 245 Papineau (II) . . 253 Saint-jJenis Chénier 2^^ l'échafaud 269 HlXDELANG '-^'"^ Le A-IEUX PATRIOTE 277 Spes ultima 285 La (Capricieuse -9-^ A lYE LA France! 297 Le gibet de Eiel -"^Oo Le dernier Martyr -^^^ L'Orangisme , ^^ ' Le Drapeau anglais 319 Nos TROIS couleurs •'^23 q9Q Sous LA STATUE DE A OLTAIRE '^- — 370 — EPILOGUE France . Notes. . Pages . 335 , 347 ^PT ae book ly one ay on 470521 FRECHETTE, LOUIS POESIES CHOISIES LA LEGENDE D»UNl PEUPLE. 0. 819.1. F V.l COLLECTION! o ^- *• STORAGE 'GCLL. CANADIENNE FR/ ^^ m^