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LA LEGENDE

D'UN PEUPLE

No 1340

LA LEGENDE

D'UN PEUPLE

No 1340

LOUIS FRECHETTE

POESIES CHOISIES

PREMIÈRE SÉRIE ,^ ^ y

LA LÉGENDE

D'UN PEUPLE

Aviïc UNE Préface de Jules CLARETIE

(lie l'Aeailéniie Française)

Dans l'Inde on avait pu admirer quelques grands hommes ; ici ce fut tout un peuple qui fut grand.

Henri Martix. Hist. de France.

Vol. Kv, p. 554.

EDITION DEFINITIVE, REVUE, CORRIGEE ET AUGMENTEE

Illustrations de HENRI JULIEN

MONTRÉAL

LIBRAIRIE BE.-^UCHEMIN, Limitée

256, rue Saint-Paitl.

1908

A^o^^/

Enregistré coiiforniétnent à l'acte du Parlement du Canada,

en l'année mil huit cent quatre-vingt-dix, par Louis Fréchette,

au ministère de l'Agriculture.

)LLECTlj CANADIENNÊ^FRANÇAISE

A LA FRANCE !

Mère, je ne suis pas de ceux qui ont eu le bonheur d'être bercés sur tes genoux.

Ce sont de bien lointains échos qui m'ont familiarisé avec ton nom et ta gloire.

Ta belle langue, j'ai appris à la balbutier loin de toi.

J'ose cependant, aujourd'hui, apporter une nouvelle page héroïque à ton histoire déjà si belle et si chevaleresque.

Cette page est écrite plus avec le cœur qu'avec la plume.

Je ne te demande pas, en retour, un embrassement maternel pour ton enfant, hélas ! oublié.

Mais permets-lui au moins de baiser, avec attendrissement et fierté, le bas de cette robe glorieuse qu'il aurait tant aimé voir flotter auprès de son berceau.

L. F.

Le 5 août 1880, dans une séance |nil)liqne, ^I. Camille Doncet, parlant an nom de l'Académie, proclamait, anx applandissements de tons, le nom d'un poète canadien devenn, ce jonr-là, lanrêat de l'Académie française. Je me sonviens encore de la cnriosité éveil- lée dans l'anditoire tandis que le très éloquent secrétaire perpétuel racontait le passé du poète dont on couronnait les Poésies Canadi- ennes;— canadiennes, c'est-à-dire françaises. "Jeune encoi'e, di- sait M. Camille Doucet, M. Louis Frécliette, tour à tour avocat et journaliste, eut en dernier lieu, pendant cinq ans, l'honneur de représenter le comté et la ville de Lévis au Parlement fédéral. Il n'appartient plus aujourd'hui qu'à la littérature, et, pendant que ses vers nous apprenaient à le connaître, un o-rand drame de sa composition obtenait un succès retentissant sur le théâtre fran- çais de Montréal. C'est en français, Messieurs, qu'on parle et qu'on pense, dans ce pays jadis français que nous aimons et qui nous aime."

Et les regards cherchaient dans l'assemblée le poète dont parlait le rapporteur : " Est-il là, M. Eréchette ? Comment est-il ? Pou-

rez-vous me le montrer ? " M. Fréebette était là, en effet, mais caclié, modestement dissimulé dans la foule, et savourant déli- cieusement la joie de cette acclamation publique. Presque au lendemain de cette journée la récompense de l'Académie l'avait signalé à l'attention des lettrés (nous connaissions ses vers avant ce succès officiel), ^I. Fréchette quittait Paris, malade, et comme redoutant de ne pliLs revoir les siens au foyer de famille.

Il est resté sept ans sans revenir en France, et il nous arrive au- jourd'hui apportant, du pays qui l'a \-u naître, un nouveau livre écrit à la gloire de ses aïeux. La Légende d'un Peuple! Quel plus beau titre et quelle plus noble idée ! Ce peuple canadien, dont le sang est le nôtre, le voici qui nous déroule, par la voix inspirée d'un de ses fils, les gloires, les sacrifices, les douleurs, les espéran- ces de son histoire.

0 notre histoire, écrin de perles ignorées !

dit admirablement ^I. Fréchette.

Et cet écrin, dont voici des joyaux historiques, c'est aussi notre histoire à nous, Français ; oui, c'est l'histoire de nos pères morts. la richesse morale de nos frères vivants. La Légende d'un Peuple, cest la légende de cette terre qui porta pour nom la Xouvelle- France, et qui l'a gardé, ce nom, canme un titre de fierté. Et. de Colomb à Riel, ^L Louis Fréchette recueille pierre à pierre le col- lier des souvenirs. Après avoir évoqué les solitudes des jours pré- historiques, il suit d'un cœur ardent, sur leur navire, les compa- gnons de Jacques Cartier, dans la marche de cet esquif dont on regarde avec piété les reliques à demi pourries dans une salle du musée de Saint-Malo ; il assiste, avec son imagination de poète, à

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la première moisson de la terre vierge, à l'éclosiou de Montréal, pui;5 aux luttes longue?, incessantes, acharnées, entre V Anglais et les colons de France, à cette guerre tenace et superbe nos sol- dats abandonnés disputent aux régiments de la Grande-Bretagiie ce pays découvert par les matelots malouins, et la France avait planté son épée à côté de la croix.

Quelle guerre ! Et comme la France d'alors l'ignore ! D'Argen- son nous a tracé le tableau cruel de cette cour la Pompadour pérore et pécore, tandis que le roi dit avec Voltaire, liélas ! qu'on n'a guère à se soucier de quelques arpents de neige. On meurt cependant, là-bas, sur cette neige rougie. On y tombe bra- vement, élégamment, à la française. Xos soldats y vont au rem- part en sortant d'un bal. et si les officiers portent des manchettes, c'est pour mieux étancher le sang de leurs blessures.

Tout dans cette lutte est épique. Les deux chefs d'armée ex- pirent le même jour, sur le même champ de bataille, et tandis que les Anglais s'empressent autour du général "Wolfe mortellement frappé, Montcalm rentre à Québec, pâle et déjà mourant sur son cheval ; et les femmes, en le voyant passer, livide, ensanglanté, disent en se signant : *' Grand Dieu ! le Marquis est mort !. . ." le marquis qu'on enterrera bientôt dans le trou creusé par une bombe anglaise. Chose plus inconnue : au siège de Québec, l'épée de La Pérouse a pu rencontrer celle du capitaine Cook. Ces deux artisans de civilisation se combattirent, et la destinée les rapprocha dans le péril comme elle devait les faire se ressem- 'bler dans la mort.

On connaît la fin de l'aventure : le Canada perdu, le duc de Lévis arrachant une fois encore, dans les plaines d'Abraham, la

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victoire aux généranx anglais, i^uis tout un peuple livré à la con- quête :

Et notre vieux drapeau, trempé de pleurs amers, Ferma son aile blanche et repassa les mers ! . . .

C'est cette Légende, cette épopée que raconte en beaux vers, vi- brants et sincères, le poète canadien Louis Fréchette. Je ne doute pas de l'accueil que réserve à ce livre le public français. Voilà certes un volume de poésie d'une valeur toute spéciale. C'est une page d'histoire qui est en même temps une œuvre inspirée. Très érudit, connaissant notre langue comme un Français lettré du temps de Louis XIV, et nourri, en outre, des lyriques du XIX^ siècle, M.Fréoliette est un indépendant, c'est-à-dire qu'il osera vo- lontiers, qu'il risquera tel hiatus ou telle rime voulue ]iour donner plus d'accent à un vers ou plus d'harmonie à une rime. Il tient à séduire l'oreille avant les yeux.

Il écrira ce vers :

On entendit partout ce cri : " A Notre-Dame ! "

quand il lui serait très facile de mettre ces cris; c'est que volontai- rement il cherche le mouvement, la vie, et ne s'astreint pas servile- ment à la règle, quand il croit que d'une émancipation quelconque doit résulter une beauté. Et en cela encore il est du libre pays qui fut une autre France.

Qui fut ! disons : qui est. Aux jours de la Saint- Jean, lors- qu'au soleil des fêtes nationales, dans son étui de soie, passe le vieux drapeau, le draj^eau de Montcalm à la bataille de Carillon, le drapeau fleurdelisé troué de balles, le cœur des Canadiens bat

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au nom de la France. C'est la France encore que les Canadiens évoquent dans la vieille chanson saintongeoise, Claire fontaine, qui est leur air national :

Au bord d'une fontaine, Je me suis reposé ! . . .

Lorsqu'ils parlent de notre patrie à un étranaer qui débarque, ils disent : "Vous venez de chez nous? '^ Le temps passé, le temps de la France, c'est pour eux le temps du temps de nos gens. Dans leurs cérémonies publiques on voit flotter par les airs cent drapeaux tricolores pour un étendard antrlais, et quand, en 1870, sonna l'heure de la défaite, chaque malheur de la patrie était mar- qué, là-bas, par un plus grand nombre de volontaires qui deman- daient à s'embaiiquer pour venir défendre la France, notre France et leur France.

Car elle continiu'. la Légende d'un peuple que nous chante Louis Fréchette. Elle a trouvé au Canada son poète insfpiré, elle trou- vera ici son historien. Toute une littérature française germe et grandit par delà les mers, et je suis des yeux plus d'un ami qui nous envoie, en bon français, des maîtres livres.

La Légende d'un Peuple est un de ces livres-là.

Ce noble volume n'est pas un banal recueil de vers qui se fane en une saison ; ce livre est de ceux qui ajoutent une ligne, un cha- pitre à une histoire littéraire.

M. Louis Fréchette ne me pardonnerait pas de le comparer à Victor Hugo ; mais sa dédicace pourtant, à la mère patrie, m'a fait songer à l'envoi du poète exilé :

Li\Te, qu'un vent t'emporte En France je cuis né. . .

1 -i

C'est en France sont nés ses ancêtres, et c'est à la France dont il enseigne le nom vénéré à son fils, que le poète canadien apporte son volume de vers. Tous ceux qui aiment les hauts sentiments, les accents fiers, les beaux vers et les grands souvenirs lui dir.iut : Merci !

Et il m'a semblé, en lisant cette Légende d'un Peuple, non pas respirer une gerbe de plantes exotiques, mais aspirer le parfum de fleurs des champs français, cultivées là-bas dans quelque arpent de neige, dans la terre canadienne, la terre fraternelle, où, si nous n'avions plus de patrie, nous retrouverions encore la patrie, com- me les bras d'une aïeule en cheveux blancs rendent parfois à l'or- phelin les caresses de la mère.

Mais quoi ! la France est là, vivante, renaissante, militante, et le battement de son cœur a son écho jusqu'au pays d'où revient M. Louis Fréchette, pour nous consoler et pour nous charmer.

Jules Claretie.

Paris, 13 octobre 1S87.

PROLOGUE

''^^^«i^

Quand, dans ses haltes indécises, Le genre humain, tont effaré, Ebranlait les vastes assises Du monde mal équilibré ;

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Etouffaut les vieilles doctrines, Quand le ferment des jours nouveaux Montait dans toutes les poitrines, Et germait dans tous les cerveaux ;

Quand l'homme, clignant la paupière Devant chaque rayon qui luit, De son crâne frappait la pierre Qui toujours retombait sur lui;

Quand le siècle, dans son délire. Passant la main sur son front nu, Désespéré, tâchait de ]ire Le problème de l'Inconnu ;

Quand, sentant sa décrépitude. Enfin, l'univers aux abois De l'éternelle servitude Songeait à secouer le poids ;

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Sons ta baguette qui féconde, Colomb, puissant magicien, Tu fis surgir le nouveau monde Pour rajeunir le monde ancien.

Oui, l'humanité vers Fabîme Marchait dans l'ombre en chancelant, Lorsque, de ton geste sublime. Tu l'arrêtas dans son élan.

Tu lui montrais, comme Mo'ise, Au bout de ton doigt souverain, La moderne terre promise: Un univers vierge et serein !

Hémisphère aux rives sauvages, Etalant, comme l'Hélicon, Libre des antiques servages, Sous Foeil des deux son flanc fécond.

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Oui, toute une moitié du g-lobe Dénouant, spectacle Inouï, Les plis flamboyants de sa robe Aux veux du vieux monde ébloui !

Quel moment ! quelle phase immense ! Ce pas, mavqué par Jéhova, C'est tout un passé qui s'en va, Tout un avenir qui commence !

ly

H

Amérique I salut à toi, beau sol uatal ! Toi, la reine et Torgueil du ciel occidental ! Toi qui, comme Ténus, montas du sein de l'onde, Et du poids de ta conque équilibras le monde î

Quand, le front couronné de tes arbres g-éants,

Vierge, tu secouais au bord des océans,

Ton Yoile aux plis baignés de lueurs diaphanes ;

Quand drapés dans leurs flots de flottantes lianes.

Tes grands bois ténébreux, tout pleiuis d'oiseaux chanteurs

Imprégnèrent les vents de leurs acres senteurs;

Quand ton mouvant réseau d'aurores boréales

Kévéla les splendeurs de tes nuitts idéales ;

Quand tes fleuves sans fin, tes monts aux tiers sommets,

Si sauvages jadis et si beaux désormais,

Déployèrent au loin leurts grandeurs infinies,

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Niagaras grondants. ! blondes Californies î

Amérique ! au contact de ta jeune beauté,

Ou sentit reverdir la vieille humanité !

Car ce ne fut pas tant vers des rives nouvelles

Que l'austère Colomb g-uida ses caravelleei,

Que vers uu port tranquille tout le genre humain

Avec fraternité pût se donner la main ;

Un port chacun pût, sans remords et sans crainte.

Vivre libre, au soleil de la liberté sainte !

C'etst ce port idéal que Colomb a trouvé.

Mais qui croira jamais que Colomb ait rêvé

L(^s bienfaits inouïs dont il dotait notre ère ?

Ah non ! même en luttant contre le sort contraire,

lîaillé par l'ignorance, eu butte au préjugé.

Rebuté mille fois, jamais découragé,

Ce Génois immortel ou ce Corse sublime

Entrevoyait à peine une lueur infime

Quand à San Salvador il pliait les genoux

Du radieux soleil (ju'il allumait pour nous.

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Le héros, qui rêvait d'enricliir un royaume, De l'immeuse avenir ne vit que le fantôme. Sans doute il savait bien qu'un éternel fleuron Dans les âges futurs brillerait à son front ; Que l'univers entier saluerait son génie; Mais Colomb, en cherchant la moderne Ausonie, Ne fut le fier chrétien en fit souvent l'aveu Qu'un instrument passif entre les mains de Dieu. Et, quand il ne crovait que suivre son étoile, La errande main dans l'ombre orientait sa voile!

III

Oh ! qu'ils sont loin ces jours le globe étonné Ecoutait, recueilli, d'un monde nouveau-né

L'hymne d'amour puissant et calme. Et voyait, au-dessus de l'abîme béant, L'Amérique à l'Europe, à travers l'Océan,

Des tempis nouve^lux tendre la palme !

22

Que de <i,Taiid8 buts atteints, d'horizons élargis, De cliemiius parcourus, depuis que tu surgis,

Terre radieuse et féconde, Au bout des. vastes mers comme un «oleil levant. Et que ton aile immense, ouverte dans le vent.

Doubla l'envergure du monde !

Qu'il est beau de te voir, en ta virilité, Aux antiques abus offrir la liberté

l'our contrepoids et pour remède. Et, ver« tous les progrès les bras toujours ouverts, Tout entière au travail, remuer l'univers

Avec ce levier d'Arcbimède !

Améri<iue, en avant ! prodigue le laurier Au courage, au génie, à tout mâle ouvrier

De l'œuvre civilisatrice. Point de gloire pour toi née au bruit du canon ! Ce qu'il te faut un jour, c'etst le noMe surnom

De «rrande réoénératrice !

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Tous les peuples alors t'appelleront : ^la s(eur î Et tu les sauveras! car déjà le penseur

Toit en toi l'ardente fournaise Ofl bouillonne le flot qui doit tout assainir. L'auguste et saint creuset du saint avenir

S'élabore l'âpre genèse î

PREMIERE EPOQUE

^\STo

O notre Histoire ! écrin de perles ignorées ! Je baise avec amour tes pages vénérées.

O registre immortel, poème éblouissant

Que la France écrivit du plus pur de son sang !

Drame ininterrompu, bulletins pittoresques,

De hauts faits surhumains récits chevaleresques,

Annales de géants, archives Ton voit,

A chacun des feuillets qui tournent sous le doigt,

Resplendir d'un éclat sévère ou sympathique

i;8

Quelque nom de héros ou d'héroïne antique ! Ton voit s'embrasser et se donner la main Les vaillamtK de hi veille et ceux du lendemain; le glaive et la croix, la charrue et le livre Tout ce qui fonde joint à tout ce qui délivre - Brillent, vivant trophée l'on croit voir s'unir Aux gloires d'autrefois cellcis de l'avenir.

Lee gloires d'autrefois, comme elles sont sereines Et pures devant vous, vertus contemporaines !. . .

Salut d'abord à toi, Cartier, hardi marin Qui le premier foulas de ton pais souverain Les bordis inexplorés de notre immense fleuve ! Salut à toi, Champlain ! à toi, de Maiisonneuve ! Illustres fondateurs des deux fièreis cités Qui mirent dans nos flots leurs rivaleis beautés !.

Oe ne fut tout d'abord qu'un groupe, une poignée De Bretons brandisisant le sabre et la cognée.

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Vieux loups de mer bronzés au veut de Saiut-Malo. Bercés depuis l'enfance entre le ciel et Teau, Hommes de fer, altieris de cœur et de stature, Ils ont, sous Tonl de Dieu, fait voile à l'aventure. Cherchant, dans les secrets de l'Océan brumeux, Non pas les bords dorés d'eldorados fameux. Mais un sol planter, dans leur sainte vaillauce, A côté de la croix le drapeau de la France.

Sur leurs traces, bientôt de robustes colons, Poitevins à l'œil noir, Normands aux cheveux blonds, Austères travailleurs de la noble corvée. Viennent offrir h urs bras à l'œuvre inachevée. . . Le mot d'ordre est le même, et ces nouveaux venus Affrontent à leur tour les dangers inconnus Avec des dévoiîments qui tiennent du prodige. - Ils ne comptent jamais les obstacles ; que dis-je ? Ils semblent en chercher qu'ils ne rencontrent pas. En vain d'affreux périls naissent-ils sous leurs pas, Vainement autour d'eux chaque élément conspire : Ces enfants du sillon vont fonder un empire!

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Et puis, domptant les flots des grainds lace orageux, Francliissant la savane et ses marais fangeux, Pénétrant jusqu'au fond des forêts centenaires., Voici nos découvreurs et nos missionnaires ! Apôtres de la France et pionniers de Dieu, Après avoir aux bruits du monde dit adieu. Jusqu'aux confins perdus de l'Occident immense, Ils vont de l'avenir prodiguer la semence. Et porter, messagers des éternels décrets, Au bout de l'univers le flambeau du progrès !

Appuyé sur son arc, en son flegme farouche, L'enfant de La forêt, l'amertume à la bouche, Un éclair fauve au fond de ses regards perçants, En voyant défiler ces étranges passants Embusqué dans les bois ou campé sur les grèves Songe aux esprits géants qu'il a vus dans ses rêves. Pour la première fois il tressaille, il a peur . . . Il va sortir pourtant de ce calme trompeur; Il bondira, poussant au loin son cri de guerre, Défendra pied à pied son sol vierge naguère,

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Et, féi*Oice, sanglant, tomahawk à la main, Aux pas civilisés barrera le chemin !

Bien plue : prêtes toujours à s'égorger entre elleis, Et trouvant l'ancien monde étroit dans leurs querelles, Pour donner à leur haine un plus vaste champ clos, Les vieilles nations ont traversé les flote. Albion, de la Gaule éternelle rivale, Albion contre nous s'allie au cannibale. Et durant tout un siècle, ô mon noble pays ! Veut ravir la victoire à teis destins trahis.

N'importe! sur la vague, au fond des gorges sombres. Par les gués, sous les bois, jusque sur le« décombres Des villages surpris, combattant corps à corps, Avec la solitude et le ciel pour décors, Mêlant, prêtre ou soldat qu'un même but attire. Les lauriers de la gloire aux palmes du martyre, Le bataillon est là, toujours ardent et fier; Et, jaloux aujourd'hui des prouesses d'hier,

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Il ne veut s'arrêter dans sa lutte immortelle Qu'an jour le drapeau de la France nouvelle Flottera, libre et calme, étalant dans ses plis Le légitime orgueil des saints devoirs remplis !

Mais le nomibre devait triompher du courage. Un roi lâche, instrument d'un plus lâche entourage, Satyre au Parc-aux-cerfs, esclave au Trianon, Plongé dans les horreurs de débauches sans nom. Au gré des Pompadour jouant comme un atome Le sang de ses soldats et l'honneur du royaume. De nos héros mourants n'entendit pas la voix. Montcalm, hélas ! vaincu pour la première fois. Tombe au champ du combat, drapé dans sa bannière. Lévis, dernier lutteur de la lutte dernière, Arrache encor, vengeant la France et sa fierté. Un suprême triomphe à la fatalité !

Puis ce fut tout. Au front de nos tours chancelantes, L'étranger arbora ses couleurs insolentes;

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Et notre vieux drapeau, trempé de pleurs amers, Ferma sou aile blanche et repassa les mers!

L'enfant avait donné tout son sang g^outte à goutte:

On lui fit du Calvaire alors prendre la route.

Trompée en son amour, blessée en son orgueil,

La pauvre nation, sous se<s voiles de deuil,

Les yeux toujours tonrnés vers la France envolée,

Berça de souvenirs son âme inconsolée.

Il lui fallut vider la coupe des douleurs. . . Comme dans ses succès, noble dans ses malheurs, Elle pleura longtemps, victime résignée ; Mais, un jour, on la vit se roidir indignée. Et défier soudain du geste et de la voix Les tyrans acharnés aux lambeaux de ses droits. La lutte, qu'on croyait à jamais conjurée, Renaissait plus terrible et plus désespérée : Il fallait renier la France ou bien mourir !

Si- Alors, las de porter le joug et de souffrir, Ces rudes payisans, les yeux brûlés de larmes, Ces opprimés sans chefs, sans ressources, sans arme; Osèrent, au grand jour, pour un combat mortel, Jeter à l' Angleterre un sublime cartel ! . . .

O Dieu ! vous qui jugez et réglez toutes choses, Vous qui devez bénir toutes les saintes causes. Pourquoi permîtes-vous, sinistre dénoûment, Après cette victoire un tel écrasement ? Après cette aube vive un lendemain si sombre? Après ce rêve, hélas ! tout cet espoir qui sombre? Tant de sang répandu, tant d'innocents punis? Pourquoi tant d'échafauds? Pourquoi tant de bannis?

Pouîrquoi ?. . . Mais n'est-ce pas la destinée humaine ? N'est-ce pas toujours l'éteniel phénomène Qui veut que tout s'enfante et vienne dans les pleurs ? Le froment naît du sol qu'on déchire; les fleurs

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Les plus fraîches peut-être éclosent sur les tombes ; L'Eglise a pris racine au foncl des catacombes: Pas une œuvre le doigt divin s'est fait sentir Qui n'ait un peu germé dans le sang d'un martyr !

Nos franchises, à nous, viennent du sang des nôtres.

Oui, ces persécutés ont été des apôtres !

Quoique vaincus, ces preux ont pour toujours planté

Sur notre jeune sol ton arbre, ô Liberté !

Ils furent les soldats de nos droits légitimes ;

Et, morts pour leur pa3's, ces hommes les victimes

De ces longs jours de deuil pour nous déjà lointains -

Ont gaoné notre cause et scellé nos destins 1

Et maintenant, paisible en sa course intrépide. Voyez cing'ler là-bas la corvette rapide, Toujours le pavillon de France à son grand mât î Elle navigue enfin sous un plus doux climat; Une brise attiédie enfle toutes ses voilée: Sou's sa proue, un flot clair jaillit, gerbe d'étoiles;

3G

Les reflets du printemps ar.çentent ses huniers;

Sur sa poupe, au soleil, paisibles timoniers

Car la eoncorde enfin a complété son œuvre -

Consultant l'horizon, veillant à la manoeuvre,

Se prêtent tour à tour un cordial appui

Les ennemis d'hier, les frères d'aujourd'hui !

Deux vaisseaux de haut bord, à la vaste carène, Promenant sous les cieux leur majesté sereine, Avec son équipage échangent, sotlennels, De moments en moments des signaux fraternels. Du haut de la vigie, un mousse a crié : Terre ! Et, sous les étendards de France et d'Angleterre, Fiers d'un double blason que rien ne peut ternir, Xos marins jettent l'ancre au port de l'avenir! O

/ . /

LUCEf^

^-^:

Qui pourrait raconter ceis âg^es sans annales?

Quel œil déchiffrera ces pages virginales

Dieu seul a posé son doigt mystérieux ?

Tout ce passé qui git sinistre ou glorieux,

Tout ce passé perdu qui dort au fond de l'ombre,

dans la nuit des temps tout s'écroule et tout sombre,

Quel est-il?

A ce sphinx immobile et sans nom, Plus muet que tous ceux des sa'bles de Memnon,

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Et qui, de notre histoire encombrant le portique, Entr'ouvre dans la nuit son œil énigma tique, A tant de siècles morts, l'un par l'autre effacé, Qui donc arrachera le grand mot du passé?

Hélas ! n'y songeons point ! En yain la main de l'homme

Joue avec les débris de la Grèce et de Rome,

Nu/1 bras n'ébranlera le socle redouté

Qui depuis si longtemps, rigide majesté,

Plus lourd que les menhirs de l'époque celtique,

Pèse, ô vieux Canaila, sur Je sépulcre antique

Où, dans le morne oubli de l'engloutissement.

Ton tragique secret dort éternellement !

Oe secret, ô savants, ni vos travaux sans nombre.

Ni vos soirs sans sommeil n'en découvriront l'ombre.

Pas un jalon au bord de ce gouffre béant !

Pas un phare au-dessiis de ce noir océan !

Point d'histoire!. . . Une nuit sans lune et sans étoiles,

Dont jamais œil humain ne peroera les voiles !

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Et Ci^pendant le globe au loin fermente et bout.

Là-bas, au grand soleil, riiumanité debout,

Un reflet d'or au fer de sa lance guerrière,

Dans l'éclair et le bruit dévore sa carrière.

tout germe, tout naît, tout s'anime et grandit;

Du haut des pantliéons dont le front resplendit,

La trompette à la bouche, on voit les Renommées,

Dans l'éblouissement des gloires enflammées,

Pour l'immortalité jeter aux quatre vents

Le nom des héros morts et des héros vivants.

Pour que dans le passé l'avenir sache lire,

Des poètes divins ont accordé leur lyre.

Et mêlent, dans l'éclat de leurs chants souverains,

Les clameurs d'autrefois aux bruits contemporains.

Le ProgTès, dams son antre maint flambeau s'allume,

Sous son marteau puissant fait résonner l'enclume

se forge déjà la balance des droits,

pèseront plus tard les peuples et les rois.

La Science commence à voir au fond des choses.

Les Arts, ces nobles fleurs au vent du ciel écloses,

Entr'ouvrent leur corolle au fronton des palais.

Que dis-je? La Xatiu'e elle-;même, aux reflets

Des nouvelles clartés que chaque âge lui verse,

Sourit plus maternelle en s^a grâce diverse;

40

La mamelle épuisée à nourrir ses enfants,

Dans des élans de joie et d'amour triomphants,

Elle s'ou^a'e le tlane pour sa progéniture ;

Et, dans son noble orgueil sainte et grande Nature!

Mêle son cri sublime à l'hymne solennel

Qui monte tous les jours de l'homme à l'Eternel.

Pourquoi cette antithèse et ce contraiste immense?

Celui par qui tout meurt et par qui tout commence.

Par qui tout se révèle ou tout reste scellé,

Celui qui fit les fleurs et l'azur constellé.

Qui veut que tout renaisse et veut que tout s'effondre.

Arbitre sans appeil, pourrait seul nous répondre !

Aux bords ensoleiliés de ton beau Saint-Laurent, Ou sous l'ombre des bois au rvthnie murmurant Qui te prêtent leur sombre et riche draperie. Quand le désœuvrement conduit ma rêverie, O cher pays dont j'aime à sonder le destin. Je remonte souvent vers ce passé lointain.

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Je parcours en esprit tes vastes solitudes ;

Je toise de tes monts les flères altitudes ;

Je me penche au-deissus de tes grands lace sans fond;

Je mesure les flots dii rapide profond;

Et, devant ce spectacle, impondéi'able atome,

De ces jours sans soleil j'évoque Le fantôme.

Tout change à mes regards ; le présent disparait ;

Nos villes à leur tour foint place à la forêt ;

Tout retombe en oubli, tout redevient sauvage;

Nul pas civilisé ne fouile le rivage

Du grand fleuve qui roule, énorme et gracieux,

Sa vague immaculée à la clarté des cieux !

De ton tiède Midi jusqu'aux glaces du pôle,

Tes hautis pics n'ont encor porté sur leur épaule,

O Canada, connu du iseul oiseau de l'air,

Que l'ombre de la nue et le choc de l'éclair !

Tout dort enveloppé d'un mystère farouche.

Seul, parfois, quelque masque à l'œil tragique et louche.

Effaré, menaçant comme un fauve aux abois.

Apparaît tout à coup dans la nuit fies grands bois ! . . .

Je m'arrête ! Et devant cette nature immense,

42

Dans un rêve ébloui qui souvent recommence, s Je crois entendre encor bourdonner dans les airs Les cent bruits que le vent mêle, au fond des déserts, Au tonnerre que roule au loin la cataracte. . . .

Puis je tombe à genoux : sublime et dernier acte, Ou prologue plutôt du drame éblouissant Qui va donner un peuple à ce pays naissant Sur ces bords inconnus pour le reste du monde. Sur ces flots que jamais n'a pollués la sonde, Sur ces parages pleins d'une vague terreur, Sur cette terre vierge plane en son horreur Le mystère sacré des ténèbres premières. J'ai vu surgir, foyers de toutes les lumières, Dans un rayonnement de splendeur infini, Le soleil de la France et son drapeau béni ! ^

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^' f'T^

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^V.

Un vent de renouveau sur la France sonfflait.

Son diadème d'or se nimbait an reflet

Dn radieux soleil qui fut la Renaissiance.

Le roi François-premier, par sa magnificence,

N'ayant pu. dans sa soif ardente de jouir,

Vainci'« l'Europe au moins tâchait de réblonir.

Chez lui le goût des arts à la grandeur s'allie. Il attire à prix d'or, du fond de l'Italie,

-1-i

Pour les combler d'iiouneiins, peintres napolitains, Architectes; lombards et sculpteurs florentins. De Vinci, del Sarto, liosso sont à Pouvrage ; Et l'on surprend souvent, le matin, sous l'ombrage Des grands massifs touffus ilort Fontaineblearii, Le monarque ^ -j'ai vu quelque part ce tableau Beau com.ime Louis-neuf à son lit de justice, Bras dessus brais dessous avec le Primatice !

Un monde de spilendeuris germe dans son cerveau. Il rêve tous les jours quelque projet nouveau. Rêve que le génie à l'instant réalise. Avec ces étrangers la France rivailise; Artistes merveilleux, architectes hardis, Satiristes profonds, raisonneurs érudits Surgissent à la voix du prince galant homme. Delorme va cueillir des lauriers jusqu'à Eome ; Celui-ci c'est Bontemps, celui-là Raibelais ; Paliss}' fouille l'or, et Leecot des palais ; Ici Jean Cousin lutte avec Jean de Bologne; Tandis qu'au fond d'un bois de la verte Sologne,

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Bâti par le Xepveu, sculpté par Jean Goujon, Foi'teresse royale au féerique donjon, De tant de rois suprême et dernier apanage, Epave d'un passé dont seul l'éclat surnage, Chambord, hymne de pierre et rêve de granit, Chef-d'œuvre que le temps, chaque jour rajeunit, Entr'ouvre, dans un jet d'une grâce inconnue, Sa fleur de Ivs de marbre au milieu de la nue !

Les Artis ont eu leur tour, la Science a le sien. Tous les jours ou résout quelque problème ancien; Enfin, tout se réveille et se métamorphose. . . C'était le temps marqué pour une grande chose !

De l'Occident lointain venaient d'étranges bruits Qui du roi chevalier parfois troublaient les nuits. On parlait à la cour de vastes découvertes De cieux toujours sereins, de plaines toujours vertes, Paradis merveilleux, édens sans fruits amers. Qu'un Génois avait fait surgir du fond des mers.

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Oi^ avait retrouvé la source de Jouvence.

Et, de Strasbourg- à Brest, de Champagne en Provence,

Les raconteurs faisaient de saisissants tableaux

De fleuves sans pareils roulant l'or dans leurs flots,

De peuples primitifs plongés dans l'ignorance,

Et qui tendaient les bras, disait-on, vers la France.

Dans les enivrements d'un succès sans ég-al, L'Espagne et l' Angleterre, avec le Portugal, Par des redoublements de valeur surhumaine, Se taillant sur ces bords un immense domaine, Sur tout un hémisphère arboraient leurs drapeaux. Allons, se dit Franyois, plus de lâche repos ! Ces princes-là croient-ils se partager la terre? Je voudrais bien trouver l'acte testamentaire Qui leur asisure ainsi l'héritage d'Adam. S'il en est un, qu'on nous le montre ! En attendant, Le peuple franc se doit à son rôle historique: A la France, elle aussi, sa part de l'Amérique! f)

■ar^

Voici l'âpre Océan.

La houle vient lécher Les sables de la grève et le pied du rocher Saint-Malo, qu'un bloc de sombree tours crénelle, Semble veiller debout comme une sentinelle. Sur les grands plateaux verts, l'air est tout embaumé Des arômes nouveaux que le souffle de mai Mêle à râcre senteur des pins et des mélèzes, Qu'on voit dans le lointain penchés sur les falaises. Le soleil verse un flot de rayons printaniers Sur les toits de la ville et sur les blancs huniers

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Qui s'ouvrent dans le port, prêts à quitter la côte. C'est un jour solennel, jour de la Pentecôte. La cathédrale a mis ses liabits les plus beaux; Sur les autels de marbre un essaim de flambeaux Lutte dans l'ombre avec les splendeuris irisées Des grands traits lumineux qui tombent des croisées.

Agenouillés auprès des balustres bénits, Un groupe de marins que le hâle a brunis, Devant le Dieu qui fait le calme et la tempête, Dans le recueillement prie en courbant la tête. Un homme au front serein, au port ferme et vaillant. Calme comme un héros, fier comme un Castillan, L'allure mâle et Pœil avide d'aventure. Domine chacun d'eux par sa haute stature. C'est Cartier, c'est le chef par la France indiqué, C'est l'apôtre nouveau par le destin marqué Pour aller, à travers la grande mer qui gronde, Porter le verbe saint à l'autre bout du monde ! Un éclair brille au front de ce prédestiné. Soudain, dit sanctuaire un signal est donné.

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Et sous les vastes nefs, pendant que l'orgue roule Sou accord grandiose et sonore, la foule Se dresse, et délirante en son pieux essor, Entonne en frémissant le Veni, Creator!

De quels mots vous peindrais-je, ô spectacle sublime ? Jamais, aux jours sacrés, des parvis de Solyme, Chant terrestre, qu'un chœur éternel acheva, Ne monta plus sincère aux pieds de Jéhova î L'émotion saicsit la masse tout entière. Quand, du haut de l'autel, l'homme de la prière, Emu, laissa tomber ces paroles d'adieu: Vaillants chrétiens, allez sous la garde de Dieu ! (*)

O mon pavs, ce fut dans cette aube de gloire Que s'ouvrit le premier feuillet de ton histoire !

Trois jours après, du haut de ses mâchicoulis Par le fer et le feu mainte fois démolis,

50

Saint-Malo regardait, prompts comme des gazelles, Trois voiliers sur le flot tendre leurs blanches ailes, Et, dans les i-eflets d'or d'un beau soleil levant, Gagner la haute mer oriflammes au vent.

Le carillon mugit dams les tours ébranlées;

Du haut des bastions en bruyantes voiléee

Le canon fait gronder ses tonnantes rumeurs;

Et, salués de loin par vingl mille clameurs.

Au bruit de l'airain sourd et du bronze qui fume,

Cartier et ses vaisseaux s'enfoncent dans la brume! 0

^ê^ !'//.■

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Le voyage fut riule, et le péril fut gTancl.

Pourtant, après avoir, plus de deux mois durant,

Vogué dans les hasards de l'immensité fauve,

La petite flottille arriva saine et sauve

Auprès de bords peixius sous d'étranges climats . . .

Terre ! cria la voix d'un mousse au haut des mâts.

C'était le Canada mystérieux et sombre.

Sol plein d'horreur tragique et de secrets sans nombre.

Avec ses bois épais et ses rochers géants,

Emergeant tout à coup du lit dee >céans 1

52

Quels êtres inconnus, quels terribles fantômes De ces forêts isanss fin lianteut les vastes dômes, Et peuplent de ces monts les détours hasardeux ? Quel génie effrayant, quel cerbère hideux Va, louche Adamastor, de ces eaux diaphanes, Surgir pour en fermer l'entrée à ces profanes ? Aux torrides rayons d'un soleil aveuglant. Le cannibale est peut-être, l'œil sanglant. Comme un tigre embusqué derrière cette roche, Qui guette, sombre et nu, rimprudent qui s'approche. Point de guides ! Partout l'inexorable accueil ! Ici c'est un bas-fond, là-bas c'est un écueil; Tout semble menaçant, sinistre, formidable ; La côte, noirs rochers, se dresse inabordable. . .

Les fiers navigateurs iront-ils jusqu'au bout

En avant ! dit Cartier qui, front grave et debout, Foule d'un pied nerveux le pont de la dunette. Et, pilote prudent, promène sa lunette De tribord à bâbord, sondant les horizons.

Alors, défiant tout, naufrage et trahisons, Drapeaux au vent, la (Jninde et la Petite-Hermine, Avec VEinerUlon, qui dans leurs eaux chemine, Le Breton, qu'on distingue à son torse puissant, Jalobert, le hardi caboteur d'Oueesant, Qu'on reconnaît de loin à sa taille hautaine, Tous, au commandement du vaillant capitaine. Entrent dans l'entonnoir du «rand fleuve inconnu.

Morne aspect! De forêts un réseau continu Se déploie aussi loin que le regard s'élamce. Nul bruit ne vient troubler le lugiibre silence Qui, comme un dieu jaloux, pèse de tout son poids Sur cette immensité farouche des grands bois.

A gauche, des sommets perdus dans les nuées; A droite, des hauteurs qu'on dirait remuées Par quelque cataclysme antédiluvien ; En face, l'eau du fleuve énorme qui s'en vient Rejaillir sur la proue en gerbes écumantes ; Des îlots dénudés par l'aile des tourmentes ;

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De grands caps désolés ^'avançant dans les flots ; Des brisants sons-marins, effroi des matelots ; Des gorges sans issue le mystère habite ; Partout Taustérité du désert sans limite, La solitude vierge en sa sublimité!

Pourtant, vers le Couchant le cap orienté, La flottille s'avance ; et sans cesse, à mesure Que les lointains brumeux que la distance azuré Se dessinent plus clairs aux yeux des voyageurs, Rétrécissant aussi ses immenses largeurs, Le grand fleuve revêt un aspect moins sauvage; Son courant roule un flot plus calme; le rivage Si sévère là-bas devient moins tourmenté ; Et, tout en conservant leur fière majesté, Ces vastes régions que le colousse arrose. la forêt sommeille, et dont le regard ose Pour la première fois sonder les profondeurs, Se drapent par degrés d'écilatanteis isplendeurs.

55

Le coup d'oMl ooiistaiiiinent se transforme et varie. Enfin, la rive, ainsi qu'un décor de féerie. Sous le flot qui <s!e cabre en un brusque détour, S'entr'ouvre, et tout à coup démasque le contour D'un bassin gigantesque la Toute-Puissance Semble avoir mis le comble à sa masrnificence.

Un cirque merveilleux de plateaux inclinés ;

Un vaste amphithéâtre aux gradins couronnés

De pins majestueux et de grandis bouquets d'ormes;

Un promontoire à pic aux assises énormes ;

Au fond de l'horizon un bleuâtre rideau

Sur lequel se détache une avaJanche d'eau,

Avec d'âpres clainieurs croulant dans un abîme. . .

Partout, au nord, au sud, la nature sublime

Dans le cadre idéal d'un conte d'Orient !

Cartier est debout, glorieux, souriant.

Tandis que ses Bretons, penchés sur les bordages,

Groupés sur les tillacs, suspendus aux cordages,

Par un long cri de joie, immense, spontané,

Eveillent les échos du vieux Stadaconé î

56

Puis, pendant qu'on évite au courant qui dévire, Chacun tombe à genoux sur le pont du navire ; Et ces bois, ces vaiUo'Uis, ces long-s coteaux dormants. Qui n'ont encor vibré qu'aux fauves hurlements Des fauves habitants de la forêt profonde, Au milieu des rumeuris de la chute qui gronde, Retentissent enfin joair régénérateur ! Pour la pTemière fois d'un h} nine au Créateur.

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57

Le lendemain matin, au front de la montagne D'où Québec aujourd'hui domine la campagne, Une bannière blanche au pli fieurdelieé, Drapeau par la tempête et la mitraille usé, Flottait près d'une croix, symbole d'espérance. Le soleil souriait à la Xonvelle-France !

Ce jour est loin déjà ; mais gloire à toi, Cartier ! Gloire à vous, ses vaillants compagnons, groupe altier De fiers Breîtons taillés dans le bronze et le chêne ! Vous fûtes les pr-emiers de cette longue chaîne D'immortels découvreurs, de héros canadiene, Qui, de l'honneur français intrépides gardiens. Sur ce vaste hémisphère l'avenir ise fonde. Ont reculé si loin les frontières du monde! {^)

Chênes au front pensif, grands pins mystérieux, Vieux troncs penchés au bord des torrents furieux, Dams votre rêverie éternelle et hautaine, Songez-vous quelquefois à l'époque lointaine le sauvage écho des déserts canadiens Ne connaissait encor que la voix des Indiens,

60

Qui, groupés sous l'abri de vos branches compactes, Mêlaient leur chant de guerre au bruit des catanaotes?

i

Sous le ciel étoile, quand les vents assidus Balancent dans la nuit vos longs bras éperdus, Songez-vous à ces tempts glorieux nos pères Domptaient la barbarie au fond de vos ref>aires ? Quand, épris d'un seul but, le cœur plein d'un seul vœn, Ils passaient sous votre ombre en criant : Dieu le veut ! Défrichaient la forêt, créaient des métropoles ; Et, le soir, réunis sous vos vertes coupoles. Toujours préoccupés de mille ardents travaux. Soufflaient dans leurs clairons l'esprit des jours, nouveaux?

Oui, sans doute; témoins vivaees d'un autre âge. Vous avez survécu tout iseuls au grand naufrage. les hommes se sont l'un sur l'autre engloutis; Et, sans souci du temps qui brise les petits, Votre raimure, aux coupts des siècles échappée, A tous les vents du ciel chante notre épopée !

Voici du Sagiienay la gorge énorme et sombre î

Notre steamer, au fond d'une anse pleine d'ombre Dormait tout essoufflé comme un grand cacli'a.lot. Nous avions pris pour guide un jeune matelot Qui, nous avait-on dit, connaissait bien la côte. Nous gravîmes d'abord une berge assez haute ; Puis un sentier, perdu sous les arceaux géants De vieux ormes penchés sur des ravins béants Au fond desquels grondaient d'invisibles cascades. De détour en détours et d'arcade en arcades,

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Nous conduisit au bord d'un pilateau rétréci, le miide tit halte, et nous dit : C'etst ici !

Nous étions parvenus sur un coin de falaise, Angle de roc saillant d'où Ton pouvait à l'aise Contempler dans sa fière et rude majesté Du morne Tadoussac l'horizon tourmenté.

De ces hauteurs, au «ein de cette nuit tombante, L'ombre était solenmelle et la scène absorbante. Ici, le l^aint-Laurent qu'on entend bourdonner Vag'uement, et qui laiisse à peine deviner Ses lointains vaporeux noyés dans les ténèbres; Là, le SaoTiienay noir, avec ses pics célèbres Qui, jetant des flots d'(mibre opaque aux nlentoure, Semblent comme un amas de fabuleuses tours Pleines de je ne sais quel farouche mystère, Dressé pour garder la fantastique artère.

G3

A nos pieds le steamer bondé de voyageurs, Hissant de ses fanaux les sanglantes rougeui*«, Ainsi que des reflets de brûlante oriflamme, Dans la pénombre, au loin, fait brasiller la lame. Et puis, par-dessus tout, un beau ciel étoile Faisant, cintre d'azur de points d'or constellé. Comme un dôme féerique à ce scKmbre estuaire. . . .

Derrière nous, dans l'ombre, un petit sanctuaire, Temple paroissial de cet obscur canton, Ouvrait son humble seuil au lieu même oii, dit-on, Quatre siècles passés, sur un autel rustique, Pendant que le refrain de quelque vieux cantique Etonnait les échos de ces monts inconnus. Devant Oartier et ses bardis marins, venus Pour arracher ces bords anx primitifs servages. Pour la première fois sur ces fauves rivages, Un vieux prêtre breton, humble médiateur. Offrit au Dieu vivant le sang du Rédempteur. (J)

64

La lune me surprit là, plongé dans mes rêves, Seul, et prêtant l'oreille à la chanson des grèves. Qui m'arrivait mêlée aux cent bruits indistincts De la forêt voisine et des grands monts lointains ; " Car, après un coup d'œil, devant la nuit croissante, Mes compagnons avaient tous repris la descente, Sans jouir plus longtemps du nocturne concert ; Et j'étais resté seul sur le plateau désert.

Alors de souvenirs quelles vagues pressées

Envahirent soudain mo^n âme et mes pensées !

O sainte majesté des choses d'autrefois.

Vous qui savez si bien, pour répondre à ma voix.

Peupler de visions ma mémoire rebelle.

Que vous fûtes pour moi, ce soir-là, grande et belle !

Je vous revis, là, tous ensemble agenouillés, Buides marins bretons, dans vos cabans souillés

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Et raidis sous l'embrun des mers tempétueuses, Au milieu de ce cirque aux croupes montueuses, Au fond de ce désert, loin du monde connu, Offrant à l'Eternel, tête batsse et front nu, Sur le seuil redouté d'un monde ouvrant ses portes L'holocauste divin qui fait les âmes fortes.

Entre rbomme et le ciel sublime effusion ! C'était l'enfantement, c'était l'éclosion. Sur ces rives par Dieu lui-même fécondées, D'un nouvel univers aux nouvelles idées ; C'était l'éclair d'en haut perçant l'obscurité ; C'était l'esprit chrétien, l'esprit de liberté, Ouvrant, sur cette terre entre toutes choisie, L'aile de la prière et de la poésie !

Et quand, le cœur ému, rêvant et méditant, J'évoquais ce passé si loin de nous pourtant. Je croyais voir ce prêtre, en élevant l'hostie. Des conflits d'autrefois proclamer Tamnistie.

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Je croyais voir aussi, du fond das bois épais, Labarum bienfaisant de concorde et de paix, Comme une grande main f raterneLle ee tendre . . . Et, dans l'ombre du soir, iil me semblait entendre Une voix qui disait, venant on ne sait d'où :

Devant moi seul ici l'on pliera le genou !

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'il/

Ce site, t'est (Québec.

Au uord inoiiteut splendides Les écbelous lointains de» vastes Laiirentides. En bas, le fleuve immense et i)aisible, roulant Au soleil du matin siiu flot suiierbe et lent, Reflète, avec les pins des graujds rochers moroses, Le clair azur du ciel et ses nua^ies roses. Nous sommes en septembre ; et le blond fructidor. Qui sui- Lu i)laine verte a mis des teintes d'or, Au front des bois bercés par les brises flottantes Répand comme un fouillis de couleurs éclatantes ; On dirait les joyaux d'un oii!,anteS(pie écrin.

GS

Un repos solennel plein de calme serein Plane encor sur ces bords la chaste Nature, Anx seuls baisers du ciel dénouant sa ceinture, Drapée en sa sauvage et ruistique beauté, Garde encor les trésors de sa virginité.

Cependant un lambeau de brise nous apporte

Comme un refrain jovdix qu'une voix mâle et forte,

Mêlée à des éclats de babil argentin,

Jette dans Fair sonore aux écbots du lointain.

Ce sont des moissonneurs avec des moissonneuses.

Ils suivent du sentier les courbes sablonneuses.

Et, le sac à l'épaule, ils cheminent gaîment.

Ce sont des émigrés du doux pays normand,

Des filles du Poitou, de beaux gars de Bretagne,

Qui viennent de quitter leur lande ou leur campagm

Pour fonder une France au milieu du désert.

L'homme qui les conduit, c'est le robuste Hébert,

Un vaillant ! le premier de cette forte race

Dont tout un continent garde aujourd'hui la trace,

60

Qui, dans ce sol nonve.an par son bras assaini, Mit le grain de froment, trésor du ciel béni, Héritage sans prix dont la France féconde Dans sa maternité dota le nouveau monde. Ils vont dans la vallée les vents assoupis Font ondoyer à peine un flot mouvant d'épis Qu'ont mûris de l'été les tépides haleines.

Bientôt le blé jauni tombe à faucilles pleines; La javelle, bruit un essaim de gTillons, S'entasse en rangs preissés au revers des sillo'ns, Dont le creux disparaît sous l'épaisse jonchée; Chaque travailleur s'ouvre une large tranchée; Et, sous l'effort commun, le sol transfiguré Laisse tomber les plis de son manteau doré.

Le soir arrive enfin, mais les gerbes sont prêtes: On en charge à pleins bords les rustiques charrettes Dont l'essieu va ployant sous le noble fardeau; Puis, presque recueilli, le front ruisselant d'eau.

70

Pendant que, stupéfait, l'enfant de la savane Regarde défiler letrange caravane, Et s'étonne à l'aspect de ces apprêts nouveaux, Hébert, qui suit, ému, le pas de ses chevaux, Rentre, offrant à Celui qui donne l'abondance La première moiisson de la Nouvelle-France! (^)

C'était le désert fauve eu sa spleudnii- austère. Eieu u'auimait eucor le vieillie coiu de terre Moutréal devait plus tard dresser ses tours. En aval du courant, vx suiv:int les détours Qui creusent çà et les rives ombrag-ées. Sous les feux du midi, trois ]>irooues cliarjïées, Mirant leurs flancs plovt^s <lans le flot transparent, Ensemble remontaient le cours du Saintd.aun nt. Qui côtoyait ainsi les courbes du grand fleuve ?

C'était le foiitlateiir, c'était de Mais on neuve,

Avec de Montmagmy, le courageux soldat,

Vimont, l'apôtre saint, fier d'un double mandat,

Et, comme pour dorer cette ère qui comimence,

Deux femmeis, deux /grands cœurs : de la Peltrie et Mance î

Deux â-mes à l'affût de tous les dévoûments.

Ils sont accompaignés de laboureurs normands, De matelots bretons, fiers enfants de la Gaule, Travailleoirs qui devromt, le mousquet à l'épaule. Le poing à la charrue ou la hache à la main, S'ouvrir au nouveau monde un si large chemin.

Sur le calme des eaux une voix nous arrive; C'est un cantique saint qu'aux échos de la rive. Dans l'éclat radieux d'un soleil flamboyant, La petite flottille envoie eu pagayant.

Halte ! a crié quelqu'un.

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Et bientôt, sur la berge, Avec le dôme bien du ciel nu pour auberge, Nos hardis voyageurs dressent leur campement. Puis, ensemble, à genoux, dans le recueillement, Rappelant au Très-Uaut sa divine promesse, Naïfs ou fiers chrétiens vont entendre la messe, Au pied d'un tabernacle à la hâte élevé.

Vous êtes, dit le prêtre, un grain de eénevé Que Dieu jette aujourd'hui dans La glèbe féconde; La plante qui va naître étonnera le monde; Car, ne l'oubliez pas, nous sommes en ce lieu Les instruments choisis du gTand œuvre de Dieu ! -

Et pendant que l'hostie en sa châsse sacrée Illuminait l'autel de sa bilancheur nacrée. Un long Pange lingua s'élevait dans les airs Vers le Dieu des cités et le Dieu des déserts.

74

Auprès du drapeau blanc, la sainte Eucharistie

Kesta tout le jour. La tête appesantie,

Quand le soleil sombra dans le Couchant vermeil ^

Nos hardis voyageurs, accablés de isommeil,

Songeaient, prière faite, à chercher sous hi tente.

Dans une nuit de ])aix douce et réconfortante.

Le repos bien gagné qui doit les pi-émunir

Contre le lourd fardeau des tâches à venir;

Quand, tout à coup, dans r(unbre éparse des ramées,

Ils virent mille essaims de mouches -'uflammées,

Qui, croisant à l'envi leur radieux essor.

Comme un jaillissement de goutteh ttes d'or.

Ou plutôt comme un flot de flammèches vivantes,

Kavaient l'obscurité de leurs lueurs mouvantet^.

Alors chacun se met en chasse; l'cm poursuit Tous ces points lumineux voltigeant dans la nuit ; Puis, liant à des fils les blondes lucioles. On en fait des réseaux, flottantes auréoles, Qu'on fcjuspend sur l'autel en festons étoiles.

75

Quelques instants plus tard, dans les bivouacs voilés Par les grands pins versant leurs ombres fraternelles, Après avoir partout placé des sentinelles. Près du fleuve roulant sou flot siileneieux, La troupe s'endorniit «ons le regard des cieux.

Et pendant que ces forts, âpres à la corvée, Voyaient dans leur sommeil grandir l'œuvre rêvée, Astre pieux trônant dans le calme du soir. Sur Tautel, dans un pli du drapeau, l'ostensoir, Au vol phosphorescent d'étincelles isams nombre, Ouvrait son nimbe d'or et flamboyait dans Fombre.

O genèse sublime ! ô spectacle idéal !

Ce fut cette nuit-là que naquit Montréal, f)

^<&v,

Ce fut un temps bien rude et plein d'âpres angoisses.

Que les commencements de ces belles paroisses

Qu'on voit s'échelonner aujourd'hui sur nos bords.

Quand, du haut du vaisseau qui s'ancre dans nos ports,

Le voyageur charmé contemple et s'extasie

Au spectacle féerique et plein de poésie

Qui de tous les côtés frappe ses yeux surpris,

Il est loin, Oh ! bien loin de se douter du prix

Que ces bourgs populeux, ces campagiies prospères

Et leurs riches moissons coûtèrent à nos pères !

78

Chez nous, chaque buisson pourrait dire au passa.nt Ces «iUons ont nioims bu de sueurs que de sang. I*ar quel enchaînement de luttes, de souffrance, Nos aïeux ont conquis ce sol vierge à la Fnance, En V fondant son culte immortel désormais, La Fr'auce même, hélas ! ne le saura jamais !

Quels jours ensanglantés ! queiHe é])oque tragique ! Ah ! ce furent les fils d'une race énergique Que les premiers colons de ce pays naissant. Ils vivaient sous le coup d'un qui-vive iueessant: Toujours quelque surprise, embûche, assaut, batailles ! Quelque ennemi farouche émergeant des broussailles ! Habitants égorgés, villages aux abois. Prisonniers tout sanglants entraînés dans les bois !. . .

Les femmes, les enfants veillaient à tour de rôle, Tandis que le mari, le fusil sur l'épaule. Au pas ferme et nerveux de son cheval normiaind. Semeur de l'avenir, enfonçait haridiment

79

Dans ce sol primitif le soc de sa charrue. Et si, l'été suivant, l'herbe poussait plus drue Dans quelque coin du pré, l'on jugeait du regard Qu'un cadavre iroquois dormait quelque part.

Un jour, d'affreux forbans une bande hagarde. Auprès d'un petit fort que personne ne garde, Barbares altérés de pillage et de sang. S'élance tout à coup des fourrés, en poussant Je ne sais quel horrible et strident cri de guerre.

Les habitants du fort, qui ne soux>çonnaient guère

Le farouche Iroquois embusqué si près d'eux,

Croyant pouvoir courir ce risque hasardeux,

Pour travailler aux chaimps, avaient eu l'imprudence

De laisser tout un jour leurs logis sans défense.

Et voilà que le fruit de dix ans de sneurs

Va tomber au pouvoir de ces lâches tueurs.

80

Mais Jeanne Hachette est ! L'héroïne si chère A la France, chez nous c'est "Jeanne" de Verchère l Elle n'a pas seize ans. Voyant de toutes parts L'ennemi la cerner, elle monte aux remparts. Chaque porte est bien close, et les armes rangées Dans chaque bastion sont toutes chargées. Elle prend un mousquet, met en joue et fait feu. . . . Un homme tombe, un autre encore, et peu à peu Les sanglants agresseurs, pris d'une rage folle. Sous le canon qui tonne et la balle qui vole, Interdits, et croyant voir leurs rangs décimés Par une garnison de soldats bien armés. Laissent morts et mourants, et battent en retraite! {^^)

Hélas î en feuilletant ces pages, l'on s'arrête A des drames beaucoup plus froids et plus na\Tants. D'où viennent ces clameurs et ces cris déchirants ? C'est un bourg tout entier surpris dans la nuit noire Par quinze cents bandits, et lamentable histoire! Aux horreurs d'un massacre incroyable livré. Par la haine et le sang le regard enfiévré, De tous côtés la horde infernale se rue.

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On égorge partout, sous les lits, dans la rue;

On poignarde, on fusille, on écartèle, on fend

Le crâne du vieillard sur le corps de l'enfant;

On déchire le ventre à des femmes enceintes ;

Et plus loin, arrachés aux suprêmes étreintes,

On jette en pleins brasiers des petits au berceau ;

Enfin, quand le village est réduit en monceau

De débris calcinés et de cendres rougies,

Pour assouvir leur soif d'effroyables orgies.

Les démons tatoués s'en vont en tapinois

Recommencer plus loin leurs monstrueux exploits. (^^)

O France, ces hérous qui creusaient si profonde, Au prix de tant d'efforts, ta trace au nouveau monde. Ne méritaient-ils pas un peu mieux réponds-moi! Qu'un crachat de Voltaire et le mépris d'un roi !

Sceptiques on croyauts, oui, tous tant que nous sommes, Courbons ici nos fronts! Ceux-là furent des hommes, Des soldats du proorès, des héros et des isaînts. Peut-être surent-ils, mieux encor que les autres, Du Dieu dont ils s'étaient faits les humbles apôtres. Comprendre ici les grands desseins.

Jamaiis on n'avait vu ispectacle plus étrange Que cette courag'euse et modeste pha.lange

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Pleine d'ardeur mystique et de projets virils, Qui, nouveaux messagers de la parole sainte. Traversaient Tunivers ponr se jeter sans crainte Au-devant de tous les périls.

Sol natal, amitiés, rang, fortune, espérance, Famille, ils quittaient tout avec indifférence ; Pas un seul qui faiblît au moment de partir! Et pourtant qu'allaient-ils chercher sur ces rivage?. Sinon, après la vie errante des sauvages, La mort sanuiante du martvr ?

Oh! lorsque l'on parcourt nos annales naissantes, Et que, tournant du doigt ces pages saisissantes. On poursuit pas à pas par la pensée, au fond De la forêt immense encore inexplorée, Ces immortels semeurs de la moisson sacrée, On éprouve un trouble profond.

85

Vieux prêtres au front chauve ou lévites imberbes, Pieds nus mais souriants, liarassés mais superbes, Aux plus mortels dangers prodiguant leurs détis, Regardez ces héros, en'leur ardeur «ans borne. S'enfoncer à travers l'horreur du désert morne, Sans autre arme qu'un crucifix.

Fleuves, monts et torrents, chaleurs, pluie ou tempête. Rien ne les décourage et rien ne les arrête ; Nargiiant les jours sans pain, bravant les nuits sans feu, Poursuivis par les loups et guettés par les fièvres, L'Evangile à la main et le sourire aux lèvres, Ils vont sous le regard de Dieu.

Où? Qu'importe! leur zèle embrasse un hémisphère. Sous des cieux incléments si loin que vont-ils faire ? Quel but rêvent-ils donc qui les fait tant oser ? donc est le secret du feu qui les consume ? C'est que leur mission en deux mots se résume : Convertir et civiliser I

8G

Devant ces deux grands mots point d'obstacle qui tienne ! Oui, ces fiers envoyés de la France chrétienne N'ont qu'un vœu, qu'un désir et qu'une ambition : Conquérir, par l'effort de vertus surhumaines, Des âmes à l'Eglise, et de nouveaux domaines A l'héroïque nation.

Et l'un d'eux meurt de faim dans la forêt profonde ; Un autre, isur le seuil d'un village qu'il fonde, D'un coup de tomahawk a le crâne entr'ouvert; Celui-ci s'engloutit sous la vague écumante ; Celui-là disparaît, perdu dans la toui-mente D'une terrible nuit d'hiver.

Ici c'est Daniel expirant sous les balles ; c'est Jogue et Goupil sur qui les cannibales De leur instinct féroce épuic>ent tout le fiel ; Plus loin c'est Lalemaud, Brébeuf, d'autres encore, Qui, sous le fer cruel et le feu qui dévore. Meurent les veux levés au ciel.

87

Bien plus, ce même Joî^ue, iiiclomptable nature, Après mainte agonie au poteau de torture. Réussit par miracle à tromper ses bourreaux ; Mais, perclut^, mutilé, vers ces lieux l'attire La soif du sacrifice ou l'amour du martyre. Il revient mourir en héros.

Et puis, à chaque instant, nouvelles découvertes ! Jour après jour, ce sont (Vautres routes ouvertes A travers la i^avane ou leis fourrés épais ; Et l'homme primitif, quc^ tant de zèle touche. Devenu par deg-rés moins sombre et moins farouche, Offre le calumet de paix.

De nouveaux dévoiiments ces preux toujours en quête, Cent ans marchent ainsi de conquête en conquête. Distribuant l'aurore à toute cette nuit. . . Et l'Europe applaudit ces sublimes cohortes Qui d'un monde inconnu brisent ainsi les portes Devant le ])rogrès qui les suit.

88

O mon pays, au cours des siècles qui vont naître, Puissent tes fiers enfants ne jamais méconnaître Ces humbles ouvriers de tes futurs destins 1 Ils furent les premiers défriclieurs de la lande : Qu'on réserve toujours la plus fraîche guirlande Pour ces vaillants des jours lointains !

Et nous, qui recueillons oui, croyants ou sceptiques Les éternels bienfaits que ces âmes antiques Sur notre terre vierge ont semés en passant, N'oublions pas qu'un jour Tarbre aux palmes sans nombre Qui protège aujourd'hui nos enfants de son ombre A germé dans leur noble sang! C')

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J.-^r:*^-

J'ai bien connu jadis le vieux Baptiste Auclair. C'était un grand \ieillard jovlail, ayant l'air Déluré d'un ancien capitaine en retraite. Autrefois au Nord-Ouest il avait fait la traite, Et sa fortune aussi, disait-on dans le temps ; Mais cela n'était pas bien sûr, car à trente ans Il était retourné, sans le moindre étalage. Reprendre la charrue et sa place au village, Héritier de la terre et du toit paternels.

90

C'est que je l'ai vu, dans les jours solennels, Rieur, et se faisant craqueter les jointures, Nous raconter ce qu'il nommait ses aventures. Il avait élevé seize enfants : huit g-arçons

l^;i-(lcssus je ne sais plus combien de bessons Et huit filîes, tous seize installés en ménage.

Il n'en portait pas moins gaillardement son âge.

J'ai, disait-il, bon pied, bon œil, et sapristi ! Sans me vanter, jamais je ne me suis senti

Si jeune et si ■dispos que lorsque la cohorte De mes petits-enfants vient frapper à ma porte. Et j'(^n ai. Dieu merci, cent dix-sept, bien comptés ! Beau chiffre, n'est-ce pas ? Tenez, vous ])laisantez, Vous autres, ]ors(iue vous discutez politique, Nation, avenir ; r(euvre patriotique. Jeunes gens, c'est la mienne ! Un homme est éloquent. Et peut se proclamer bon patriote. . . quand ? Quand il a cin(iuante ans labouré la prairie, Et donné comme moi cent bras à la Patrie. Mettez cela dans vos papiers, beaux orateurs ! Et, parcourant des yeux son cercle d'auditeurs, Il éclatait de rire, attendant la réplique.

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Le vieillard coDservait nue étrange relique Au fond d'un vieux bahut à moitié ruiné ; Il tenait ce trésor de son père, et l'aîné De ses enfants devait en avoir l'iiéritage. . . Il ne lui plaisait pas d'en dire davantage.

Un beau soir cependant qu'on le sollicitait, Il exhiba l'objet devant nos jenx ; c'était Un petit vêtement de gros chanvre, une espèce De chemise d'enfant, lourde, grossière, épaisse, Mal cousue, et portant sur son tissu taché Quelques traces d'un brun noirâtre et desséché.

C'est du sang, Messieurs, du sang de race fière ! Dit le vieillard. Et puis, roulant sa tabatière EntTe ses doigts noueux, il nous fit le récit De la simple et navrante histoire que voici :

C'était bien avant nous, au temps les sauvages Faisaient dans le pays tant de sanglants ravages,

92

Commença tristement le vieux Baptiste Auclair. Au peucliaut du coteau baigné par le flot clair le beau Xicolet, à deux pas du grand fleuve, Mire aujourd'hui gaîment sa cathédrale neuve, A Fombre d'un bouquet de pins au faîte altier, Que les siècles n'ont pu terrasser tout entier. Trois hardis pionniers, en ces jours de tourmentes. Avec l'espoir prochain de saisons plus clémentes, Avaient planté leur tente à la grâce de Dieu.

L'un d'eux se nommait Jacque. Il avait dit adieu Aux droits, à la corvée, à la taille, aux gabelles, Pour s'en venir chercher avec d'autres rebelles, Sous des cieux le fisc n'eût pas encore lui. Un peu de liberté pour les siens et pour lui. Sa femme, une robuste enfant de Picardie, Trois fois avait doté leur famille agrandie D'un nouveau-né gaillard, alerte et bien portant. Et l'œil des deux époux allait à chaque instant, Avec un long regard, hélas ! souvent morose, Des aînés tout brunis au bébé frais et rose.

Or ce dernier n'avait que six mois seulement

Lorsque se dérouJa l'affreux événement

Qui sur un lit d'horreur le jeta seul au monde.

Pour les colous Tannée avait été féconde.

La pente des coteaux et le creux des valions

Etalaient, souple et lourd, ui: manteau d'épis blonds,

Qui, comme un lac doré que le soleil irise,

Flottait luxuriant au souffle de la brise.

L'heure de la moisson était venue ; aussi

Le cœur des défricheurs, oubliant tout souci.

Montait reconnaissant vers Celui dont l'haleine

Enrichit les sillons et fait jaunir la plaine.

Un soir, notre ami Jacque, aprècs miir examen, Prépara sa faucille, et dit : C'est pour demain ! Puis il pria longtemps, et dormit comme un juste. Hélas 1 si par hasard, ce soir-là même, juste A l'heure les colons se livraient au sommeil. En amont du courant, prêt à donner l'éveil,

94

Quelqu'un eût côtoyé la rive solitaire, Il eût sans doute vu, furtifs, rasant la terre Dans Fombre de la berge, et pagayant sans bruit, Trois longs canots giiisiser lentement dans la nuit. C'étaient les Iroquois, ces maraudeurs sinistres. Dont les premiers fenillete de nos anciens reg:istres Racontent si nombreux les exploits meurtriers.

Eendus non loin des lieux nos expatriés Avaient fortifié leur petite bourgade. Dans un enfoncement propice à l'embnscade, Ils prirent pied, masqués par un éi)ais rideau De branchages touffus inclinés à fleur d'eau ; Puiis sur le sable mou lialèrent en silence Leurs pirognes au fond le phis obscur de l'anse. Et, sous les bois, guettant et rampant tour à tour, Taipis dans les fourrés, attendirent le jour.

Oelui-ci se leva radieux et superbe.

C'est fête aux champs le jour de la première gerbe ;

95

Aussi nos moissonneurs, les paniers à la main, Dès Faube, tout joyeux, se mirent en chemin. Les aînés, que la mère avec orgueil regarde, S'avançaient tapageurs en piquet d' ayant-garde, Tandis que Jacque, ému, riait d'un air touchant Au petit que sa femme allaitait en marchant ; Car, suivant la coutume, on était en famille.

Bientôt, au bord d'un champ l'épi d'or fourmille,

On fit halte. Partout, des prés aux bois épais,

Xul bruit inusité, nuls indices suspects.

Rien qui troublât la paix des vastes solitudes.

Du reste on n'avait nul sujet d'inquiétudes :

Pas une bête fauve, et, quant aux Iroquois,

Ils n'osaient plus tirer leurs fléchies du carquois,

Eefoulés qu'ils étaient au fond de leurs repaires.

On pouvait donc compter sur des jours plus prospères.

Enfin, l'espoir au cœur, et ne redoutant rien,

Jacque après avoir fait le signe du chrétien

Près du inaiinot qui dort au creux d'une javelle,

Commença les travaux de la moisson nouvelle.

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96

Un ravissant tableau ! Dans le cadre aissombri

De l'immense forêt qui hii prête un abri,

Une calme clairière l'on voit, flot mouvant,

Les. blés d'or miroiter sous le soleil levant ;

A genoux sur la glèbe, et tête découverte,

Les traivailleurs penchés sur leur faucille ailerte;

Deux enfants poursuivant le vol d'un papillon ;

Et puis ce petit ange, au revers d'un sillon,

Parmi les épis mûrs montrant sa bouche rose . . .

C'était comme idylle au fond d'un rêve éclose.

Qu'iadvint-il ? On ne l'a jamaiis su tout entier. Ce matin-là, quelqu'un, en suivant le sentier Qui conduisait du fort à la rive isolée, Entendit tout à coup, venant de la vallée Jacque était allé recueillir sa moisson. Quelque chose d'horrible à donner le frisson. C'étaient des cris stridents, aigus, épouvantables; Et puis des coups de feu, des plaintes lamentables. Appels désespérés et hurlements confus Frappant lugiibrement l'écho des bois touffus. Les farouches rumeurs, longtemps se prolongèrent ; Longtemps dans Le lointain des clameurs s'échangèrent :

97

Et puis, sur la rivière le bruit se confond, Succéda par degrés un silence profond ....

Le soir, lorsque les deux colons du voisinage Osèrent visiter la scène du carnage. Un spectacle hideux s'offrit à leurs regards : Trois cadavres sanglants, défigurés, hagards, Jacque et ses deux enfants, pauvre famille unie Dans une même atroce et fatale agonie. Mutilés, ventre ouvert, le crâne dépouillé, Grisaient sur le sol par le meurtre souillé. Quant à la mère, hélas ! elle était prisonnière, Sans doute condamnée à mourir la dernière A quelque affreux gibet par l'enfer inventé.

On plia le genou sur le champ dévasté ; Et, de ces cœurs naïfs glacés par l'épouvante, La prière des morts allait monter fervente, Lorsque au De prof midis clamavi faiblement. Une plainte, ou plutôt un long vagissement Se fit entendre ainsi qu'un appel d'âme en peine.

98

Les colons étonnés retinrent leur liialeine. . . C'était comme un sang'lot d'enfant ; et, stupéfait, Quelques instants plus tard, on trouvait en effet. Dans le creux d'un sillon, la face contractée, Perdu souiS un amas de paille ensanglantée, Un enfant de six mois suffoquant à demi. Sans doute que la mère avait de l'ennemi Par cet ingiémeux moyen trompé la rage, Et, dévoûment sublime ! avait eu le courage De marcher à la mort d'un cœur déterminé, Sans trahir d'un regard le pauvre abandonné !

Or ce pauvre orphelin, ce pauvre petit être.

Dit le vieux, plus ému qu'il ne voulait paraître.

Voici le vêtement qu'il portait ce jour -là ;

Et, si je le conserve avec respect, cela

Ne surprendra bien fort personne ici, j'esipère,

Car cet enfant. . . c'était mon arrière-grand-père. (^^)

i^ JQLLIET j

Le grand fleuve dormait couché dans la savaue. Dans les lointains brumeux passaient en caravane De farouches troupeaux d'élans et de bisons. Drapé dans lee»; rayons de l'aube matinale, Le désert déployait sa splendeur virginale Sur d'insondables horizons.

Juin brillait. Sur les eaux, dans l'herbe des pelouses, Sur les sommetÉ^, au fond des profondeurs jalouses,

100

L'Eté fécond chantait ses sauvages amours.. Du Sud à l'Aquilon, du Couchant à l'Aurore, Toute l'immensité semblait garder encore La majesté des premiers jours.

V

Travail mystérieux ! les rochers aux fronts chauves.. Les i^mpas, les bagous, les boits, les antres fauves, Tout semblait tressaillir sous un souffle effréné ; On sentait palpiter les solitudes mornes, Comme lau jour vibra, dans Tespace sans bornes, L'hjimne du monde nouveau -né.

L'Inconnu trônait dans sa gTandeur pa'emière. Splendide, et tacheté d'ombres et de lumière, Comme un reptile immense au soleil engourdi, Le \4eux Meschacébé, vierge encor de servage, Déployait ses anneaux de rivage en rivage Jusques aux golfes du Midi.

*=#^

Echarpe de Titan sur le globe enroulée,

Le grand fleuve épanchait sa nappe immaculée

V

/

101

Des régions de rOiirse aux plages d'Orion, Baignant le steppe aride et les bosquets d'orange, Et mariant ainsi dans un hymen étrange L'Equateur au Septentrion.

Fier de sa liberté, fier de ses flots sans nombre, Fier des grands bois mouvants qui lui versent leur ombre, Le Roi-des-Eaux n'avait encore, en aucun lieu l'avait promené sa course yagabonde, Déposé le tribut de sa vagiie profonde, Que devant le soleil et Dieu ! . . .

Jolliet I Joiliet ! quel spectacle féerique Dut frapper ton regard, quand ta nef historique Bondit sur les flots d'or du gTand fleuve inconnu ! Quel sourire d'orgueil dut effleurer ta lèvre ! Quel éclair triomphant, à cet instant de fièvre, Dut resplendir sur ton front nu î

Le voyez- vous, là-bas, debout comme un prophète,

L'(eil tout illuminé d'audace satisfaite.

102

La main tendue au loin vers rOceideut bronzé, ^ Prendre poissession de ce domaine immense,

Au nom du Dieu vivant, au nom du roi de France, Et du monde civilisé ?

Puis, bercé par la houle, et bercé par ses rêves. L'oreille ouverte aux bruits harmonieux des grèves. Humant l'acre parfum des grands bois odorants, Rasant les îlots verts et les dunets d'opale. De méandre en méandre, au fil de l'onde pâle. Suivre le cours des flots errants!

A son aspect, du sein des flottantes ramures, Montait comme un concert de chants et de murmures ; Des vols d'oiseaux marins s'élevaient des roseaux. Et, pour montrer la route à la pirogue frêle. S'enfuyaient en avant, traînant leur ombre grêle Dans le pli lumineux des eaux.

Et pendant qu'il allait voguant à la dérive, On aurait dit qu'au loin les arbres de la rive.

103

En arceaux parfumés penchés sur sou chemin, Saluaient le héros dont Téuergique audace Venaient d'inscrire encor le nom de noti'e race Aux fastes de l'esprit humain !

G grand Meschacébé ! voYageiu' taciturne, Bien des fois, aux rayons de l'étoile nocturne, Sur tes bords endormis je suis venu lu'aseeoir ; Et là, seul et rêveur, peixlii sous les grands ormes, J'ai souvent du regard sui^i d'étranges formes Griissant dans les brumes du soir.

Tantôt je croyais voir, sous les vertes arcades, Du fatal De Soto passer les cavalcades En jetant au désert un défi solennel ; Tantôt c'était Marquette errant dans la prairie, Impatient d'offrir un monde à sa patrie. Et des âmes à l'Eternel.

Parfois, dans le lointain, ma prunelle trompée Crevait voir de La Salle étinceler l'épée,

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104

Et parfois, inninc rss.iiiii smijini je ne sais «l'on. Devant iiiic liuniblL* criiix iMiissainc iiia;;i(|ii De faroiiclies «iiicirir-i-s à l*u il t>nmln«* rt tr:i«ri<l" Passci* cil |>iiaiii le uriit.ii !

Et puis, bercail! iimmi anir aux n-xt's <lrs portes, J'eiitrt'vovais aiis*>i de blainlu-s vi'i,..M.i i,.«. Doux faiilôiii.-N (I<»llaiii il;iii> Ir \ai:iir .li"»> iiiiils : Atala, (!al»ii(l, ('liacias. |]\aiiufliin*. Et l'ombre (b' K<iic, ib-liuiii sur la rnHiiH*,

rb-lliaill ses elclliels eliIUlis.

Et j'en<b»riiiais ainsi mes souvenirs iii<»roseT< Mais <le ccn visions |HH>ii(|ue> i-i roses Gelb' (pli iiluN souveiii \enaii ria|»|MT mon d'il. C'était, ]»assaiil au buu (I.nis un i-ib i ,!.• "Liii-f Ce liardi ]>ionnier (bmi non,- j. un.' In-^ioii. Kedit b' nom aN cr orgueil.

Jolliel ! dolliet : (!('U\ siecb-s <b (d!i(|ii.-|(S.

Deux i^i^M-b-s s.ins rivaux oui jiass.' vm m, s têtes,

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105

)epiiis Ibeiire sublime, où, de ta propre main, 'u jetas d'un seul trait sur la carte du monde es vastes régions, zone immense et féconde, Futur grenier du ireure humain 1

iJeux siècles sont passés depuis que ton génie Xous fraya le chemin de la terre bénie Que Dieu fit avec tant de prodigalité, Qu'elle gai\le toujours dans les plis de sa robe. Pour les déshérités de tous les points du globe. Du pain avec la liberté î

Oui, deux siècles ont fui I La solitude vierge N'est plus ! Du progrès le flot montant submerge Les vestiges derniers d'un passé <jui finit. le désert dormait grandit la métropole ; Et le fleuve asservi courbe sa large épaule Sous l'arche aux piles de granit î

Plus de forêts sans fin ! la vapeur les sillonne ; L'astre des jours nouveaux sur tous les points rayonne

104

Et parfois, morne essaim sortant je ne sais d'où, Devant une humble croix ô puissance maoiqne ! De farouicheis gnerriers à l'œil sombre et tragique Pa«ser en pliant le genou !

Et puis, berçant mon âme aux rêves des poètes, J'entrevoyais aussi de blanches silhouettes, Doux fantômes flottant dans le vague dets nuits Atala, Gabriel, Chactas, Evangeline, Et l'ombre de Eené, debout sur la colline, Pleurant ses éternels ennuis.

Et j'endormais ainsi mes souvenirs moroses. . . Mais de ces visions poétiques et roses Celle qui plus souvent venait frapper mon œil, C'était, passant au loin dans un reflet de gloire, Ce hardi pionnier dont notre jcuiic histoire Redit le nom avec oroueil.

Jolliet ! Jolliet ! deux siècles de conquêtes. Deux fiiècles sans rivaux ont passé sur nos têtes,

105

Depuis riieure sublime, où, de ta propre main, Tu jetas d'un seul trait sur la carte du monde Ces castes régions, zone immense et féconde, Futur «renier du seure humain !

Deux siècles sont passés depuis (lue ton génie Xous frava le chemin de la terre bénie Que Dieu fit avec tant de prodigalité. Qu'elle garde toujonrs dans les plis de sa robe. Pour les déshérités de tous les points du globe, Du pain avec la liberté î

Oui, deux siècles ont fui î La soilitude vierge N'est plus ! Du progrès le flot montant submerge Les vestiges derniers d'un passé qui finit. le désert dormait gTandit la métropole ; Et le fleuve asservi courbe sa large éx)aule Sous l'arche aux piles de granit!

/ Plus de forêts sans fin ! la vapeur les sillonne ;

L'astre des jours nouveaux sur tous les points rayonne

106

L'enfant de la nature est évangélisé ; Le soc du laboureur fertilise la plaine ; Et le surplus doré de sa gerbe trop pleine Nourrit le vieux monde épuisé !

Des plus purs dévoûments merveilleuse semence ! Qui de vous eût jamais rêvé cette œuvre immense, O Jolliet, et vous, apôtres ingénus, Vaillante soldats de Dieu, sans orgueil et sans crainte. Qui portiez le flambeau de la vérité sainte Dans ces parages inconnus ?

Des volontés du ciel exécuteurs dociles, Vous fûtes les jalons qui rendent plus faciles Les durs sentiers doit marcher l'humanité. . . Gloire à vous tous ! du Temps franchissant les abîmes, Vos noms environnés d'auréoles sublimes Ont droit à l'immortalité !

107

Et toi, de ces héros généreuse patrie.

Sol canadieu, qu'on aime avec idolâtrie,

Dans raceompJisisement de tous ces grands travaux,

Quand je pèse la part qne le ciel t'a. donnée,

Lee jeux sur l'avenir, terre prédestinée,

J'ai foi dans tes destins nouveaux !

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Sou âme avait la soif des grands aventures.

Il tenait par la race à ces hautes natures

Qui de riiuananité sont lei^ porte-flambeaux.

Mais dont, souvent aussi, la pierre des tombeaux

Marque lugubrement l'âpre route des âges.

Ceux-là trompés d'abord par d'éclatants présages, Peuvent, lutteuris vaincus d'un combat surhumain, Wnv la fatalité leur barrer le chemin,

110

Ait moment de toucher à la palme suprême. . . Ecrasés sons leur tâche, ils triomphent quand même Leur œuvre, dont le fruit ne peut s'anéantir, En sacrant le héros sait isurvivre au martyr !

Il se nommait Robert Cavelier de La Salle.

Déjà, l'esprit hanté par l'ombre colossale

De Cartier, jeune encore il fuit le sol normand

Pour notre Canada, cher pays iuclément

Qu'alors les plus hardis n'abordaient qu'a.yec crainte.

Il rêve d'embrasser le (»lobe en son étreinte,

De consacrer sa yie à d'immortels travaux,

Et, ravissant aux mers des continents nouveaux

Miracle de courage et de persévérance

De donner à lui seul un empire à la France !

A son ambition rien ne semble trop g-rand. En remontant les flots perdus du Saint-Laurent, Il veut réaliser ce projet chimérique : Arriver jusqu'en Chine à travers l'Amérique.

111

C'est tout lin monde étrange, insonmie, menaçant,

Qu'il lui faut conquérir et dompter en passant.

sont s&s bataillons ? Quelles sont ses re^îsources ?

Qui le dirio^era dans ces lointaines courses ?

Pour franchir ces déserts solitudes sans fin

l'attendent le froid, les fatigues, la faim

Ces lacs tempétueux, ces pics inabordables.

Ces repaires peuplés de hordes formidables.

Ces abîmes sans fond, ces tragiques forêts

Pleines de pièges sourds et de mornes secrets,

Qui soutiendra l'espoir en son âme meurtrie ?

Une seule pensée, un seul mot : la Patrie !

L'impossible, à ce nom, pour lui n'existe point Le mousquet à l'épaule ou la pagaie au poing. En route !

Et devant lui, de l'aube au crépuscule, Le vaste horizon s'ouvre et le disert recule. Perçant les fourrés noirs le sombre Iroquois Sur son torse bronzé fait sonner son carquois,

112

n va. Des lacs géants, rivaux des mère géantes,

Le menacent en vain de leurts vagues béantes ;

Au chant du 7V Deum il lance le Griffon;

Et, colosse vaincu, l'Ontario profond

Voit le premier haut-bord se cabrer «ur ;son onde.

Il avance, il découvre, il colonise, il fonde.

Au loin, derrière lui, dans le bruit deis rameurs,

Du Niagara grondant, s'éteignent les clameurs ;

Il avance toujours. Monotonie immense,

la plaine finit, la forêt recommence.

C'est partout l'inconnu, partout l'illimité,

Dans leur hideur farouche ou leur sublimité.

Enfin de JoUiet la trace encor récente Le conduit sur la rive où, nappe incandescente, Dans son lit sablonneux, le grand Mississipi Déploie en serpentant son long cours assoupi. Alors universelle erreur géographique La Salle croit tenir son rêve: Au Pacifique ! Dit-il ; ceci n'est pas un fheuve, c'est un pont Que Dieu jette entre nous, la Chine et le Japon. En avant donc ! et si nous gagnons la bataille.

113

Nous aurons découpé le monde à notre taille ! Et le hardi coureur d'aventurée partit, Trouvant presque, à son gré, l-e monde trop petit.

O doigt divin ! bien loin des grands pays d'Asie Qu'il cherchait sous des cieux vibrants de poésie. Que parfument l'orange et le magnolia. Doux paradis j)erdu que la France oublia. Dans un berceau de fleurs, de mousses, de lianes, C'est vous qu'il découvrit, vierges Louisiancsî Et puis la mer I la mer ! le beau golfe du Sud ! Ecroulement fécond d'un grand rêve déçu.

Poètes, haut les cœurs !. . . Les Muses ont des rides

Changez vos luths ! Le vrai jardin des Hespérides

Vous tend ses rameaux verts par le temps rajeunis,

i Tout chargés de fruits d'or, de parfums et de nids.

Apollon s'exilait; ces féeriques asiles.

Ces bois harmonieux et ces flottantes îles,

Bosquets bercés au flot du grand Meschacébé,

C'est un temple plus neuf offert an dieu tombé.

114

De poèmes en fleur un essaim se révèle,

Plein de jeunes frissons et de fraîcheur nouvelle ,

Adieu le faux éclat des Idylles d'antan !

La légende moderne au corsaige tentant,

Ouvrant l'aile au milieu de blanches silhouettes,

Prend son vol sur ces bords ; haut les cœurs, ô poètes !

Et La Salle, charmé, contemple en souriant

Cet éden viendra rêver Chateaubriand !

Plus tard, sur des vaisseaux de France triste épreuve

La Salle cherche en vain la bouche du grand fleuve.

Battu par la tempête, envié des jaloux

Les lions sont parfois tracassés par les loups

Entouré de périls qu'il brave tête haute.

Avec deux cents colons il se jette à la côte.

Pour atteindre son but il veut tout affronter ;

Deux ans contre le sort on le voit s'arc-bouter,

Et corps à corps lutter avec l'inexorable;

Révoltes, guet-apens, misère inénarrable;

L'Indien au dehors, les fièvres au dedans;

La trahison dans l'ombre ouvrant ses yeux ardents ;

115

Tous les malheurs isur lui viennent fondre avec raoe. Presque seul contre tous, il tient tête à l'orage; Jusqu'à ce que pour vaincre, il n'ait plus qu'un recours: Franchir le continent pour chercher du secours.

Il part. Des noirs bayous côtoyant les rivages,

A travers les grands bois ou les pa.uipae sauvages,

La savane fangeuse ou le sable mouvant,

Sur un sol ennemi, sous un ciel énervant.

Il marche, il marche encor, sans un mot qui console,

N'ayant que deux amis : son chien et sa boussole.

Il revoit l'Arkansas, le lointain Missouri,

L'Illinois méandreux et l'Ohio fleuri,

Le blond Mississipi, tous ces sillons immenses

son bras a jeté d'immortelles semences ;

Et c'est le cœur toujours à son œuvre acharné,

Que le héros, malade, errant, abandonné.

Tombe, le crâne ouvert par la balle d'un traître.

Tl expire ; et la main pieuse d'un vieux prêtre

Plante une branche en croix sur sa fosse. En quel lieu

Hélas ! c'est le secret du désert et de Dieu.

IIG

La Salîe, dors en paix, perdu comme Marquette!

Au moins tu n'auras pas yu ta noble conquête.

Le radieux pays (lui t'avait tant coûté,

Pour quelques millions follement brocanté !

Oui, dors en paix au fond de ta tombe nerdue^

O Cavelier ! Ta «;;loire, un soldat Ta vendue ;

Le Saint-Laurent, déjà dès longtemps déserté,

Avait dii d'un roi vil i)ayer la lâcheté.

Abandonnée autssi l'héroïque Acadie !

Le fier -drapeau français, qui dans ta main hardie

Avait porté si loin son éclat triomphal,

S'est incliné devant un orgueilleux rival ;

Son vol ne plane plus au ciel du nouveau monde. .

MaiLS son ombre, en passant, ne fut pas inféconde

Sur ce sol couvaient touteis les libertés.

Des germes pleins de force après lui sont restés.

Ces germes ont produit une race fidèle,

Qui, ravie à la France, a isu garder loin d'elle,

Ainsi qu'un legs pieux à jamais vénéré.

Sa mémoire, sa langue et son culte sacré.

C'est un arbre robuste aux racines vivaces,

Qui, cramponné d'abord à toutes les crevasses,

Balance désormais, au vent du ciel serein.

Les mille et un rameaux de son tronc souverain.

117

Sa force et sa fierté, ses fruits et son ombrage, C'est à TOUS qu'on les doit, ô Français d'un autre âge ! Phalange de martyrs et de héros chrétiens. Des grands projets de Dieu si longtemps les soutiens, Et dont La Salle en lui résume la légende.

Donc, gloire à toi, Rouen, noble cité noiimande ! Dresse une fois de plus ton beau front triomphant, Et vois, pour rendre hommage à ton illustre enfant, Sous tes antiques murs, dans un transport lyrique. S'embrasser aujourd'hui la France et l'Amérique ! {^*)

^^'"^^ ^/^"^

C'est l'hiver. rA])rt^ hiver, et la tempête enibonche Des grands vents boréanx hi trompette farouche. Dans la rafale, au loin, la neige à Ilots; pressés Rouit' 8ur le désert ses tourliilli»ns glacés, Tandis que la tourmente ébranle en ses colères Les vieux chênes rugueux et les pins séculaires.

L'horrible giboulée aveugle ; le froid luurd ;

La nuit s'approche aussi la sombre nuit du Xord

Apportant son siirn-nir ih- iiKinn's r-jimn-antes.

120

Et pourtant, à travers les spirales mouvantes Que l'ouragan soulève en bondis désordonnés, Luttant contre le choc des blizzards déchaînés, Des voyageurs, là-bas, affrontent la bourrasque. L'ombre les enveloppe et le brouillard les masque. Qui sont-ils ? vont-ils ? Quels Titans oi-gueilleux Peuvent narguer ainsi tant d'éléments fougueux ? Oe sont de fiers enfants de la Nouvelle-France. Sans songer aux périls, sans compter lia souffrance, Ils vont, traçant toujours leur immortel sillon. Au pôle, s'il le faut, planter leur pavillon !

Au mépris des traités, la hautaine Angleterre, Contre la France armant sa haine héréditaire. Sur les côtes d'Hudson dangers toujours croissants Avait braqué vers nous ses canons menaçants. Il fallait étouffer les oursons au repaire ; Et d'Iberville, un fort que rien ne désespère. Avec cent compagnons armés jusques aux dents. Malgré la saison fauve et ses froids corrodants, A travers des milliers d'obstacles fantastiques., Avait pris le chemin des régions arctiques . . .

121

Pour reprendre à rAii<;lais ces postes importants, Il fallait prévenir les seconrs du printemps. Et c'est ce groupe fier, avec son chef en tête, Qu'on voit marcher ainsi le front dans la tempête.

Sans un sentier battu, sauis guides, sans jalons,

Ils franchissent les gués, les ravins, les vallons;

Précipice ou torrent, forêt ou fondrière,

Rien ne peut entraver leur course aventurière ;

Les canots sur Tépaule et la raquette aux pieds,

Ces fiers coureurs des bois, ces chasseurs, ces troupiers,

Tramant munitions, bagage, armes et vivres,

Courbés sous la courroie et tout couverts de givres.

Semblaient, dans les brouillards de ce ciel nébuleux.

Les fantômes errants d'un monde fabuleux.

Les semaines, les mois s'écoulent ; les débâcles

A l'expédition offrent d'autres obstacles.

Les rayons du soleil, de plus en plus troublants,

Ont sur le sol blanchi des reflets aveuglants ;

Puis le verglas fangeux que le printemps fait fondra

Change en marais glacé la route qui s'effondre- . .

122

Nul ne faiblit ; plié sous les fardeaux trorp lourds, Dans l'eau jusqu'à mi-janiibe, on avance toujours. Une rivière est de banquises couverte: Vite, canots à flot, la rame aux poings, alerte ! Quelquefois il leur faut descendre en pagayant Quelque effrayant rapide au remous tournoyant ; Nul ne recule ! Un jour, dans un torrent qui gronde, D'Iberville lui-même est englouti sous l'onde ; Un miracle l'arrache à la mort. En retour, Deux braves qu'il aimait, emportés à leur tour Par le choe d'une vague au fond du gouffre traître. S'enfoncent sous les flots pour ne plus reparaître.

La nuit, il faut camper le plus souvent sans feu.

Et puis recommencer la corvée, au milieu

De fatigues sans nom, jusqu'à la nuit suivante.

Et qu'il pleuve ou qu'il gèle, et qu'il grêle ou qu'il vente,

A travers le désert tragique, ces Titans,

Sordides, harassés, trempés et grelottants.

Mais que le dévoûment patriotique enflamme,

L'enthousia'sme au cœur, le délire dans l'Ame,

Pour atteindre leur but marchent sans sourciller !

123

Plus tard, quand les liérois rentrèrent au foyer, Ils avaient arraché trois forts à l'Angleterre, Conquis toute une zone, et sur mer et sur terre Humilié vinot fois nos rivaux confondus. . .

Ce sont ces hommes-là qu'un monarque a vendus! (^^)

Il semblait à nos veux un pilier des vieux âges, Ce vieux tronc qui brava tant de vents en courroux. II avait sur nos bords vu les Pâles-Visages Remplacer les grandis guerriers roux.

Aigrette énorme au front du vaste promontoire, Colosse chevelu dans le roc cramponné, Il avait vu passer bien deis jours sans histoire Au sommet de Sta-daconé.

isn

Son ombre avait coiTvert bien des bivouacs sauvages, Abrité bien longtemps des hordes aux flancs nus, Tandis que le grand fleuve à ses mornes rivages Jetait ses sanglots inconnus.

Il savait des secrets que nul o'il ne devine; Quand, un jour, face à face, il vit aspect troublant Sur le même roclier surgir la croix divine Et la lia 111] le d'un drapeau blanc.

Et puis, de siècle en siècle et d'année en année, L'arbre antique vécut flux et reflux du sort La légende sublime notre destinée A pris son incroyable essor.

Il vit tous nos héros ; il vit toutes nos gloires ; Il vit nos fiers travaux et nos saints dévoûnients ; Il vit notre abandon, nos stériles victoires, Avec leurs sombres dénoûments.

127

Et, sur ses derniers jours, dans ses décrépitudes, Comme une harpe tremble un vieux lambeau d'accord, On croyait voir, au vent les vieilles solitudes. Ses rameaux frissonner encor.

Et, lorsque le géant quatre fois centenaire Courba sa tête tant de soleils avaient lui, Ce fut triste ; on comprit que c'était toute une ère Qui disparaissait avec lui.

O frêne ! ô grand témoin des choses envolées ! On a sacré, depuis, le sol tu tombas ; Et sur ta place vide, en bruyantes mêlées. Des enfants prennent leurs ébats.

Oui, des enfants, des jeux, des rires, des fronts roses, A l'endroit même d'où, colosse aux flancs rugueux, ïu vis se dérouler en tes ennuis moroses La rude histoire des aïeux !

128

Des cris de joie après le toI des oriflammes, Le clairon, les obus et le tambour battant !. . . Si comme l'être liumain les arbres ont des âmes, O o ranci mort, n'ee-tu pas content?

l*oiir moi, quand, de l'antique enclos des ursulines, Pour la première fois, tout ému, j'entendis Monter ces voix d'enfants, fraîches et cristallines Comme un écho du paradis.

Soudain, sous les arceaux dépouillés du vieux frêne, Longue chaîne héroïque évoquée à la foie. Mes regards crurent voir passer Tombre sereine Des saintes femmes d'autrefois !

De nos martyre chrétiens immortelles rivales. Par tous les dévoûments grands cœurs fanatisés, Que la France d'alors jetait sans intervalles Sur ces bords incivilisés !

129

Dames de haut parage ou filles des chaumières, Qui laissaient tout, famille, amis, brillants partis, Pour venir apporter les divines lumières Aux petits d'entre lee petits !

Et mon cœur tressaillait; car jamais, ô viel arbre! A nul fronton superbe, au seuil, de nul tombeau, Je n'ai rien vu, fouillé dans le bronze ou le marbre, De plus touchant et de plus beau.

Que celle qui porta le nom de La Peltrie, Sainte veuve, enseignant, sous tes ombrages frais, Avec le nom de Dieu le grand mot de Patrie Aux petits enfants des forêts! {^^)

DAULACD[SORM[AUX

Quelle plume il faudrait pour rendre a^ec des mots Ton héroïque histoire, ô Daulac des Ormeaux !

Montréal, qui, superbe entre nos métropoles, Dres.se aujourd'hui son front couronné de coupoles. N'était qu'une bourgade, et n'avait pas viniit ans. Un soir, le bruit courut parmi ses habitants Si souvent harassés par les hordes sauvages, Que, voulant couronner leurs incessants r^avages

132

Par nii affreux massacre inouï jusqu'alors, Les Iroquois devaiient réunir leurs efforts Afin d'exterminer toute la colonie. Dans l'ombre du conseil, leur infernal génie Avait tout combiné pour un sanglant succèfi ; Bref, il ne devait pas rester un seul Français Pour porter le récit du désastre à la France. . . Attaque à l'improviste, et carnage à outrance !

l'ranîsportons-nous au bord de l'Ottawa fougueux.

Dans les étranglements de ses rochers rugueux, Eu flots échevelés tordant ses lourdes vagues, La cataracte au vent hurle ses clameurs vagues. Dont les échos perdus semblent d'étranges voix Qui s'appellent au loin dans la nuit des grands bois

133

Le jour tombe ; an Couchant, le soleil qui rouo-eoie Saigne sur l'horizon, comme ces feux de joie Qui, le soir, en Bretagne, à la vSaint-Jean d'été, S'éteignent en jetant leur mourante clarté Sur les coteaux lointains que leur pourpre ensanglante ; Puis, bientôt, par degTés, la nuit sombre et troublante, La nuit des grands déserts, ténébreux conquérant, Envahit la forêt les monts et le torrent.

Quelqu'un veille pourtant sur ces bords solitaires. Holocauste joyeux et martyrs volontaires, Plutôt que de la voir saccager et piller. Seize colons s'étaient offerts sans sourciller Pour couvrir de leurs corps la patrie en détresse ; Et, bien armés, joignant la bravoure à l'adresse, Avant que l'ennemi pût les envelopper, Ils étaient venus s'embusquer pour frapper.

Dans cet affreux péril, la colonie en transe N'avait plus qu'une seule et suprême espérance

134

Gagner du temps. Et dans un vieux fort, jadifî Des Algonquins avaient combattu les bandits, Au-deseous de la chute, au pied d'un long portage, Sur un point qui domine avec quelque avantage Un défilé par où, dans sa soif d'égorger, L'Iroquois ne pouvait manquer de s'engager, Daulac et les vaillants compagnons qu'il commande, Héros de sang breton ou de race normande, Avec quelques Hurons recrutés en cliemin, Gruettent l'envahisseur le mousquet à la main î Pas un ne reviendra ; tous le savent ; n'importe ! Ils sont du pays pour défendre la porte ; Ils ont fait le serment d'en garder les abords : Il faudra pour entrer leur pasiser sur le corps ! Et, tandis qu'autour d'eux l'ombre épaissit ses voiles, Leur prière du soir monte vers les étoiles.

Tout à coup, du rapide au loin couvrant le bruit. Un hurlement sauvage é€late dans la nuit. Peuple entre tous habile au jeu des embuscades. Les Iroquois, rôdant en deçà des cascades,

135

Avaient vu le chemin que Daulac avait pris ; Et c'était l'embnequé qui se trouvait surpris. Sept cents démons fondaient ensemble sur le poste.

Mais Daulac était brave et prompt à la riposte.

Sans reculer d'un pas, solide comme un roc,

La faible garnison tint ferme sous le choc.

Ce fut en un instant une horrible mêlée.

Les Peaux-Rouges, chargeant en bande échevelée,

Avec des gestes fous et des cris furibonds,

Se ruaient sur le fort, et par d'horribles bonds,

MalgTé les sabres nus ■et les arquebusades,

Recommençaient sans fin l'assaut des palissades.

Ils n'avaient presque plus l'aspect d'êtres humains.

On leur fendait le crâne ; on leur hachait les mains ;

On leur jetait aux yeux des cendres enflammées ;

Quand même ! reformant leurs masses entamées,

Sous la crosse qui tombe ou le brandon brûlant.

Ces tigres enra.g-és s'élançaient en hurlant ;

Et toujours, et partout, la balle et l'arme blanche

Refoulaient dans le sang la terrible avalanche.

Et cela, sous les bois, dans la nuit, au milieu

Du désert frissonnant sous le regard de Dieu !

C'était un cauchemar à donner l'épouvante.

136

On se battit ainsi jusqu'à la nuit suivante ; Puis on recommença. Cela dura dix jours.

Les Iroquois vaincus se recrutaient toujours. Quant à la garnison, bien qu'à moitié réduite Par ces dix mortels jours de lutte, et par la fuite De tous ou presque tous ses Indiens alliés, Malgré l'effort de tant d'assauts multipliée;, Devant ses ennemis qui redoublaient de rage, Elle ne sentait pas amollir son courajge. Et, pour sauver les siens, décidée à périr. Voulait plus que jamais triompher ou mourir.

Un soir que le combat triplait de violence, Daulac prend un baril de mitraille, et le lance. Mèche allumée, en plein milieu des assaillants. Par malheur un rameau l'arrête, et nos vaillants Voient retomber sur eux la machine infernale. Oe fut le dernier coup de la lutte finale. Aux lueurs que jeta la fauve explosion. Dans des flots de fumée, une âpre vision.

137

Scène horrible, ù la fois sublime et repoussante,

Arrêta snr le senil la horde envahissante.

Sur un monceau de morts et dans le sanii" qui bout,

Un seul des assiégés était resté debout,

Et, tragique, hagard, devenu fou, farouche,

Les yeux fixes d'horreur et l'écume à la bouche.

Afin de les soustraire aux vainqueurs courroucés,

Une hache à la main achevait les blessés !

Puis, le crâne entrouvert, et criblé par vingt balles,

Lui-même alla tomber aux pieds des cannibales.

Le lendemain matin, les monstrueux bourreaux, Redoutant un pays peuplé de tels héros. Décimés et réduits à moins d'une centaine, Reprenaient le chemin de leur forêt lointaine, (^")

-^*i*ihwnfltiiMiiii;-yTr :

CADIEUX

C'est le Grand-Calumet, porta.ge des Sept-Clmtes ! Cria José. Campons! En deux ou trois minutes, Nous étions sur la rive, et, près du flot ronflant, Notre canot halé reposait sur le flanc.

Le soir tombait ; au loin, sur les collines chauves, Un beau soleil couchant versait des lueurs fauves ; Pas un sonffle de vent au fond des bois touffus ; Du rapide prochain les grondements confus De cet endroit désert troublaient seuls le silence.

1-10

Bientôt, dans nn état de demi-somnolence, Après avoir, d'abord, mis le couvert auprès. D'un bon feu de bois sec allumé sans apprêts, Nous écoutions José, qui, sur notre demande, Xous contait du pays la tragique légende.

Demain matin, dit-il je traduis son récit Nous pourrons visiter, à quelques pas d'ici, Un humble monument dressé sur une tombe. C'est une croix de bois vermoulue, et qui tombe En ruine parmi des touffes de sureaux. Cette tombe, Messieurs, c'est celle d'un héros !

C'était à cette époque orageuse et lointaine. des Cinq-Nations la j)uissance hautaine De massacres sanglants désolait le pays, Où, dressé sur le seuil de nos bourgs envahis. Le spectre menaçant d'un infernal génie Dans l'angoisse tenait toute la colonie.

141

Un jour, tout un parti de francs coureurs des bois,

Dans des canots aux flancs affaissa sous le poids

De riches cargaisons, voyag-eurs intrépides,

Descendait l'Ottawa de rapide en rapides.

Un brave, que ces fiers trappeurs nommaient Cadieux,

Héros qu'on devinait à leclair de ses yeux,

Connaissant l'algonquin, leur servait d'interprète.

C'était un cœur viril, une âme toujours prête

A s'exposer à tout pour le salut d'autrui.

Nul d'entre eux ne savait raconter mieux que lui.

Ni rendre, avec des chants rythmés sur la pagaie,

De voyage plus court et la route plus gaie.

Il était même un peu père de ses chansons ;

Et, poète illettré, sans aucunes leçons

Que les strophes du vent qui berce la feuillée,

Le jour sur l'aviron, le soir à la veillée.

Dans la naïveté d'une âme sans détours,

Aux échos du désert il chantait ses amours.

10

Un soir du mois de mai, l'interprète et ses hommes Campaient précisément à l'endroit nous sommes.

14'^

Auprès (rim feu pareil, ils apaisaient leur faim D'uu rustique souper qui touchait à sa fin, Et chacun s'apprêtait, pour réparer ses forces, A s'en aller dormir tsous les huttes d'écorces, Lorsqu'un jeune sauvaj^e, au parti dévoué, Arriva tout à coup, criant : Xuttaoué !

En rôdant sous les bois à la faveur des ombres,

Il avait entrevu les silhouettes sombres

De nombreux guerriers roux rampant dans les fourrés.

C'étaient des Iroquois, par la proie attirés,

Qui venaient pour cerner les trappeurs. . . Chose grave,

Chacun de ces coureurs des bois était un brave,

Vn vaillant toujours prêt, dans un danger pressant,

A vendre au plus haut prix sa vie avec son sang

Mais ils avaient prêt? d'eux des enfants et des femmes,

Qui ne pouvaient tomber aux mains de ces infâmes

Il fallait les sauver. Le parti découvert.

Il ne leur restait plus qu'un seul chemin ouvert :

Le rapide la nuit trombe d'eau furibonde

Heurtant sur les rochers sa masse vagabonde.

Et qui, cachant la mort dans ses traîtres détours.

143

Epouvante les bois de ses hurlements sourds. C'est dans ce gouffre affreux que luit la délivrance ! Si ce n'est le salut, c'est au moins l'espérance.

Mais l'abîme franchi, le problème renaît ; Les cruels Iroquois dont l'esprit se connaît En ruses de combats, d'espaces en espaces sont échelonnés et surveillent les passes. Il faut ici quelqu'un pour tromper l'ennemi. Il faut absolument qu'on choisisse parmi Tous ces désespérés un homme qui consente A couvrir de son corps la terrible descente : Qui se dévouera ? Moi, dit simplement Cadieux.

Le temps presse. On se fait de rapides adieux. Les canots sont parés ; on invoque la Vierge ; Et, tandis que Cadieux, qui remonte la berge, Jette un coup de fusil aux cent échos du soir, On lance les canots dans le tourbillon noir.

144

Tout disparaît soudain dans l'ombre et dans l'écume. Emportée au courant qui tournoie et qui fume, Dans le bouillonnement des lames en rumeurs, Chaque embarcation fuit avec ses rameurs. Les hardis canotiers luttent dans la tempête ; Le coup d'œil en arrêt, le bras sûr, tenant tête Au choc tumultueux des flots échevelés, Ils guident sans pâlir les canots affolés, A travers les écueils qui sans cesse surgissent. Bondissant au sommet des vagues qui mugissent, Ou plongeant tout à coup dams les écroulements Des remous en fureur, ces dompteurs d'éléments Sur l'abîme fougueux passent comme des rêves ; Pendant que, derrière eux, sur la pente des grèves. Les grands pins chevelus, pleins de brume et de bruit. Comme des spectres noirs s'enfoncent dans la nuit.

Ah ! Messieurs, fit José, je ne crains pas les luttes De l'aviron; mais là, descendre les Sept-Ohutes. . . Tar la mort ! aussi vrai que je suis de Sorel, Je l'ai dit bien des fois, ça n'est pas naturel.

145

Aussi raconte-t-on qu'une femme sauvage, Pendant que les canots s'éloignaient du rivage, Avait vu, dans le pli des gTands brouillards douteux. Un long fantôme blanc qui fuyait devant eux. Quoi qu'il en soit, après ce hardi pilotage. Qui les avait conduits jusqu'au pied du portage, Nos fugitifs étaient à l'abri du péril. Attirés en amont par les coups de fusil Que le vaillant Cadieux répétait à distance, Les Iroquois avaient manqué de surveillance ; Et, désertant leur camp sur la rive embusqué, Dans le gouffre écumeux n'avaient rien remarqué. Les braves vovageurs étaient sauvés.

Sans doute Que le pauvre Cadieux, égaré sous la voiîte Des bois épais, longtemps dut errer au hasard. De fourrés en ravins traqué comme un renard ; Et sans doute qu'aussi, de devoûment prodigue, Bien qu'épuisé de faim, de soif et de fatigue, Longtemps, à la façon de nos rudes chasseurs, Il avait harcelé ses lâches agresseurs. Qui de dépit enfin battirent en retraite ;

146

Toujours eet-il qu'un jour l'héroïque interprète, Abandonné de tous, sans espoir désormais, S'arrêta. Que fit-il ? On ne le eut jamais ; On le devine.

Après une longue semaine, Ses anciens compagnons que le devoir ramène Remontaient le portage, apportant des secours. Ils battirent les bois durant quatre ou cinq jours ; Et, fatigués enfin de recherche impuissante, Ils allaient, l'âme en deuil, reprendre la descente, Lorsque, sous un abri d'épaisse frondaison, Une croix de bois brut qui sortait du gazon Attira leurs regards. C'était dans ce lieu même. Les chercheurs, à l'aspect de ce funèbre emblème, Accoutumés à tout, ne furent pas surpris ; Dans leur mâle douleur ils avaient tout comipris. Ils s'approchèrent. Là, dans une fosse ouverte. De quelques branches d'arbre à demi recouverte, Un cadavre gisait, à peine refroidi. C'était Cadieux ; son front par la mort alourdi Gardait comme un reflet de l'oraison suprême.

147

Dans sa maiu décharnée un rustique poème, Que, sans doute déjà couché dane; son tombeau, Le doux martyr avait écrit sur un lambeau D'écorce, reposait sur sa poitrine éteinte. C'était son chant de mort et sa dernière phiinte.

Ici se termina le récit de José.

Le lendemain matin, alerte, et reposé

Par une nuit d'été fraîche et réconfortante,

Pendant qu'on déjeunait -et qu'on pliait la tente,

J'allai, l'émotion dans l'âme et le front nu,

Saluer le tombeau du héros inconnu.

Cinq minutes après, nous dansions sur la vague ;

Et, sur son aviron penché, le regard vague.

Notre guide, aux échos du matin radieux,

A pleine voix chantait hi Coiiipldiiife à Cadieux. C^)

DEUXIEME EPOQUE

LÂlâSE

Phipps bombardait Québec. Du haut de son nid d'aigle, Frontenac tenait ferme et ripostait en règle.

La veille, un envoyé de l'amiral anglais

Avait, signaux en mains, pris pied sur les galets

du cap Diamant l'escarpement se dresse,

152

Et, porteur d'iiu message insolent dont l'adresse Ne dissimulait point l'orgueilleuse teneur, S'était fait introduire auprès du gouverneur. Celui-ci, digne et fier comme un guerrier de Troie, Calme, avait répliqué : Dite à qui vous envoie Xul besoin, n'est-ce pas, d'en faire un parcliemin - Que ce sont mes canons qui répondront demain! (^®)

Et Pliipps de ses vaisseaux, Québec de ses murailles. Echangeaient, acharnés, des trombes de mitrailles. C'était un imposant spectacle en son horreur. Le bronze inconscient, comme pris de fureur. Dans ce cirque bordé de forêts séculaires. Semblait de l'âme humaine emprunter les colères. Tandis que l'assiégeant, de ces boulets rougis, Démantelait les murs, éventrait les logis. Et menaçait enfin de tout réduire en poudre, La faible garnison, tonnant comme la foudre. Criblait les lourds vaisseaux jusqu'à leur flottaison. Enfermée au milieu de ce vaste horizon De grands rochers à pic, de gorga-5 ténébreuses.

153

De longs coteaux boisés, de montagnes ombreuses, Dont les cent mille échos portaient jusqu'au désert Les sauvages accords du farouche concert Qui du fleuve groudaut montaient jusqu'à leur cime. Si sombre qu'elle fût, la scène était sublime !

Soudain un cri se mêle aux rumeurs du canon :

Du navire amiral la corne d'artimon.

Qu'a coupée un boulet bien pointé de la rive,

Avec son pavillon culbute à la dérive.

Aussitôt, à ce cri de colère éperdu

Du haut de nos remparts un autre a répondu ;

Une acclamation de triomphe et de joie. . .

Ce drapeau que le flot emporte, quelle proie î

Un canot du navire anglais s'est détaché ;

Mais un autre boulet juste à temps décoché,

Avant même qu'un quart de minute s'écoule.

Va lui crever le flanc, le renverse, et le coule. . .

Allons I dit Frontenac, ce drapeau c'est la croix !

Qui sera chevalier ? Moi I répond une voix.

154

Et, dans les mille bruits du vent et du carnage,

Sainte-Hélène s'avance et se jette à la nage.

Bravo! bravol bravol. . . ^Maintenant tous les yeux,

Tournés vers un seul bnt, concentrés, anxieux.

Vont suivre désormais le tout petit sillage

Qui trahit du héros l'audacieux voyag'e.

Lui, nage avec vigueur, tête haute, ou plong-eant,

Sous le feu des Anglais, qui jurant et rageant.

Pour sauver leur drapeau, de loin, sans intervalles,

Tout autour du point noir font crépiter les balles.

La vague est suffocante et le courant est fort :

N'importe ! sans faiblir, et redoublant d'effort,

L'homme rit du péril et s'avance quand même.

A de certains moments, anxiété suprême,

On n'aperçoit plus rien. Est-ce fini ?. . . Mais non !

Le nageur reparait aux éclairs du canon,

Et s'avance toujours haletant et farouche

Vers le drapeau flottant. Il l'atteint, il le touche. . .

Hourra 1 . . .

Trois jours plus tard, quand, après maint échec Plus ou moins désastreux, du bassin de Québec

155

Pliippe dut battre en retraite avec sa flotte anglaise, Le drapeau prisonnier flottait sur la falaise. (^°)

Oui, :\letssieinïs, j'ai vu ça, vu t-ouinie je vous vois, Fit l'houime, un tremblement sincère dans la voix. C'était par un matin brumeux du mois d'octobre ; J'étais bien éveillé, dans mon bon sens, et sobre. . . Ah ! pour ça, parlez-en au capitaine Auge, (2ui me vit revenir pâle et le sang figé, Quasiment comme un mort sorti du cimetière.

11

J'étais allé parer ma chaloupe côtière,

158

^ur la pointe, là-'ba«, en amont des brisants, Pour un voyage au Bic. D'après les médisants, Dieu voulut me punir, car c'était un dimanche. . . Pas plus de vent que sur la main ; mais en revanche Un brouillard, mes amis, à couper au couteau.

J'avais à peine mie le pied sur le plateau,

Boum! un coup de canon. " Allons, me dis-je, qu'est-ce?

Et puis des roulements lointains de grosse caisse.

De brefs commandements en anglais, des jurons.

Des sifflements aigus, des appels de clairons,

Des bruits de porte-voix et d'armes qu'on décharge. . .

Le diable ! Et tout cela venant tout droit du large.

Indistinct, indécis, mystérieux, confus.

Un vrai rêve ! et sortant du grand brouillard diffus,

Comme un charivari parti de l'autre monde.

Alors, Messieurs tenez, que le ciel me confonde Et me punisse aussi longtemps que je vivrai. Avec tous mes enfants, si je ne dis pas vrai

159

Par un trou du brouillard qu'on ne soupçonnait guère, J'aperçus tout à coup huit gros vaisseaux de guerre. De voilure inconnue et d'ancien o-abarit. Qui, poussés par un vent dont l'effet m'ahurit, Pavillons à la corne et tout couverts de toile. Vers les rochers du bord cinglaient à pleine voile.

Cette apparition dura bien peu d'instants ; Mais, dans les déchirés des brunies, j'eus le temps lyentrevoir à peu près comme de vagues formes D'anciens soldats couverts d'étranges uniformes, Qui, par masses, groupés sur les gaillards d'avant, Jetaient mille clameurs sinistres dans le vent.

Naufrage inévitable, horrible. . .

Sainte Vierge! M'écriai-je. Et, ma foi, j'allais promettre un cierge

160

Mais je n'eus pas le temps de marmotter mon vœu : Cric ! crac ! . . . dans un fracas du tonnerre de Dieu, Je vis là, devant moi, tous ensemble, et tout proches, Les. huit «-rands voiliers noirs s'abîmer sur les roches.

Et puis?

Et puis plus rien ; tout comme auparavant, Moins le brouillard chassé par le soleil levant. Messieurs, par mon patron, le grand saint Ohrysostome, J'avais vu les vaisseaux de l'amiral fantôme ! Ne soyez pas surpris si mes pas sont tremblants ; C'est depuis ce jour-là que mes cheveux sont blancs !

Celui qui nous parlait était un vieux pilote, Qui jurait ses grands dieux, son âme et sajprelotte. Que jamais il n'avait, même en vidant son broc, Fait à la vérité le plus petit accroc.

ICI

Quoi qu'il eu fût, cliacuu, même le plus sceptique De ceux qu'intéressait ce récit fantastique, En écoutant cela conté de bonne foi, Se sentait frissonner sans trop savoir pourquoi. Tout s'y prêtait un" peu, du reste ; la chaloupe Qui nous portait avait, à son tribord, le gTOupe Des Sept-Iles ; et là, tout près, devant nos yeux, Moutonnaient les fatals brisants de l'Ile-aux-Œufs, Témoins d'un des plus grands naufrages de l'histoire.

Par tout ce que la guerre a de plus vexatoire,

L'Angleterre, depuis plus de cent ans déjà,

Harassait le pays. Un jour, elle jugea

Qu'il était enfin temps d'en finir. Bonne aubaine,

Des colons haletaient et respiraient à peine.

Un gTand coup, hardiment et brusquement porté,

Lui conquérait un sol trop longtemps convoité,

Ruinant pour jamais la France au nouveau monde.

Sa force l'enhardit, la saison la seconde:

162

Vite, une grosse flotte, une armée î . . . Et bientôt

Québec déisespérée, aux abois, ou plutôt

Comme fatalement écrasée à l'avance,

Apprend avec effroi que l'ennemi s'avance,

Et, vainqueur sans merci, sillonne en conquérant.

De ses nombreux vaisseaux le golfe Saint-Laurent.

Devant cet horizon de tempête qui gronde,

On peut se figurer l'anxiété profonde

Qui, gagnant les plus forts, bientôt régna partout

Dans le pays surpris, cerné, manquant de tout.

Québec, le boulevard, était à l'agonie ;

Et Québec prise, adieu toute la colonie !

Enfin, la garnison était au désespoir. Quand de la citadelle on entendit, un soir, Dans le bruit du tambour et du tocsin qui clame, Monter de tous côtés ce cri: A Notre-Dam^' î C'était la ville entière, bommes, femmes, enfants, Qui, fidèles pieux ou chrétiens peu fervents. Procession d'instinct que la foule improvise, En masse suppliante envahissait l'église. . .

163

Et, pendant que, dans l'ombre, an pied de l'Eternel, Résnmant sa prière en nn vœn solennel, Québec s'agenouillait danis son modeste temple, Catastrophe inouïe, horrible, sans exemple. Sur ces rocs où, <lit-on, son fantôme apparaît, La flotte de Walker tout entière sombrait.

On dit que l'amiral, par force ou perfidie. En route, à la nuit close, en un port d'Acadie, Avait pris h son bord un loup de mer errant Qui connaissait à fond les eaux du Saint-Laurent, Et, pistolet au poing-, l'avait, fatal pilote. Imprudemment forcé de diriger la flotte. L'obscur héros, trompant nos agresseurs haïs. S'était suicidé pour sauver son pays! (^^)

LE DERNI[R DRAPEAU BLANC

Combien ai-je de fois, le front mélancolique,

Baisé pieusement ta touchante relique,

O Moutcalm î ce drapeau témoin de tant d'efforts,

Ce drapeau glorieux que chanta Crémazie,

Drapeau qui n'a jamais connu d'apostasie.

Et que la France, un jour, oublia sur nos bords !

IGG

Devant ces plis sacrés troués par les tempêtes Qui tant de fois jadis ont tonné sur nos têtes, Combien de fois, Montcalm, en rêvant du passé, N'ai-je pa<s évoqué ta sereine figure, Grande et majestueuse ainsi que l'envergure De l'aigle qu'un éclat de foudre a terrassé !

Je revoyais alors cette époque tragique,

Où, malgré ton courage et la trempe énergique

D'un peuple dont on sait rihéroïsme viril,

Se déroula la sombre et cruelle épopée

Qui devait d'un seul coup, en brisant ton épée.

Te donner le martvre et nous coûter l'exil.

Je sentais frissonner cette page émouvaure.

l'on vit, l'arme au bras, calme, sans épouvante.

Par de vils brocanteurs vendu comme un troupeau,

Raillé des courtisans, trahi par des infâmes.

Un peuple tout entier, vieillards, enfants et femmes.

Lutter à qui mourra pour l'honneur du drapeau !

167

Ilis furent longs, ces jours de deuil et de souffrance !. . Nous t'avons pardonné ton abandon, ô France ! Mais s'il nous vient eneor parfois quelques rancœurs, C'est que, vois-tu, toujours, blessure héréditaire, Tant que le sang gaulois battra dans notre artère, Ces vieux souvenirs-là saianeront dans nos cœurs !

C'est que, toujours, vois-tu, quand on songe à ces choses,

A ces jours où, martyrs de tant de saintes causes,

No'S pères, secouant ce sublime haillon.

Si dénués de tout qu'on a peine à le croire.

Allaient, un contre cinq, pour défendre ta gloire.

Vaincre en désespérés aux champs de Carillon ; {^~)

Quand on songe à ces temps de fièvres haletantes. Où, toujours rebutés dans leurs vaines attentes, Nos généraux, devant cet insolent dédain. Etaient forcés, après vingt victoires stériles. De marcher à l'assaut et de prendre des villes Pour donner de la poudre à nos soldats sans pain ;

1G8

Oui, France, quand on rêve à tout ce sombre drame, On ne peut s'empêcher d'en suivre un peu la trame, Et de voir, à A'ersaille, un Bloi-Aiiiiv, dit-on. Tandis que nos héros au loin criaient famine, Sous les yeux d'une cour que le vice efféminé, Couvrir de diamants des Phrjnés de haut ton !

O drapeau! vieille épave échappée au naufrage! Toi qui vis cette gloire et qui vis cet outrage, Sj'uibole d'héroïsme et témoin accablant, Dans tes plis qui flottaient en ces grands jours d'alarmes, Au sang de nos aïeux nous mêlerons nos larmes. . . Mais reste pour jamais le dernier drapeau blanc! P)

LES PLAINES DABRAHAM

I/assiégeaut se raugeait sur rimmense plateau. . Or Moutcalm raviit dit: L'on me verra, iDlutôt

Que de céder au nombre, Jusqu'au dernier moment défendre sans pâlir Mes derniers bastions, et puis m'ensevelir

Sous leur dernier décombre I

170

Depuis des mois déjà, rimplacable ennemi Avait, sans respirer, sur la ville, vomi

Des trombes de mitrailles ; Et, pillant la campagne et les forts envahis, Des hordes de soudards étreignaient le pays

Comme dans des tenaillée.

Québec, que bombardaient quarante gros vaisseaux, N'offrait plus aux regards que débris et monceaux

De ruines croulantes ; Et, des tours aux clochers le feu torrentiel Nuit et jour détachait, sinistre, sur le ciel

Ses spirales sanglantes.

Montcalm, désespéré, mais sans faillir pourtant, Du haut de ses remparts, voyait à chaque instant.

Depuis la Canandière Jusqu'à perte de vue, et main basse sur tout. Des bandes se ruer en promenant partout

La torche incendiaire.

171

Un jour, Wolfe, qu'enrage échec après échec, Débarqué miitaninient pour surprendre Québec,

Joyeux, se met en route ; Près de" Montmorency, son rival qui l'attend Fond sur lui, l'enveloppe, et met tambour battant

Son armée en déroute.

Mais, battus sur un point, sur un autre écrasés, Partout, sur les débris deis villages rasés.

Les assiégeants semblaient renaître ; Un contre dix, le jour, la nuit, nous nous battions Une mèche allumée à tous leis bastions.

Un mousquet à chaque fenêtre.

Mais la lutte touchait à son terme ; un Veraor, Bazaine de jadis, avait pour un peu d'or

Entre-bâillé nos portes; (-^) Et Wolfe, risquant tout sur la carte à jouer. Dans la plaine le drame allait se dénouer

Déployait see cohortes.

172

On n'avait pins de pain, et la ville râlait. Point d'autre alternative à choisir: il fallait

Accepter la bataille. Les deux guerriers, lassés par tant de vains efforts, Allaient enfin pouvoir s'étreindre corps à corps,

Et mesurer leur taille.

Montcalm a sous les murs rangé ses bataillons. Et bientôt, remplissant de ses noirs tourbillons

L'atmospilière ébrànl ée. Sous le ciel par des flots de fumée obscurci. Dans les acharnements d'un combat sans merci,

lîugit l'âpre mêlée.

Le sxjectacle était fauve, et grand comme l'enjeu. Ce panache effrayant de tonnerre et de feu,

Couronnant cette cime, Faisait presque l'effet d'un volcan déchaîné. . . Jamais plus fier tableau n'avait illuminé

Un cadre plus sublime !

173

Et les deux généraux, oubliant ]e danger, Sous le plomb foudroyant se prenaient à songer

Que ce canon qui gronde, Au terrible hasard d'un succès incertain, Jouait, sur ce fatal échiquier du destin. Le sort de tout un monde!"

Hélas î des nations l'arbitre avait parlé ; Le Canada français, au firmament voilé,

Voyait pâlir son astre ; Et, dans leurs étendards les deux rivaux drapés, Vainqueur comme vaincu, tombaient enveloppés

Dans le même désastre.

12

Montcalm, le fier héros que, dans son drapeau blanc, Les Romains d'autrefois eussent voulu, sanglant,

Porter au Capitole, Voyant ses vétérans sous le nombre plier, En mourant avait su, comme un preux chevalier,

Racheter sa parole! p)

Une voile ! une voile 1.

A ce long cri de joie Que chaque écho sonore à l'antre écho renvoie. Un double cri parti de deux points divergents, Défi des assiégés, hourra des assiégeants, Clameurs h tous les coeurs par l'espoir arrachées, Répondit coup sur coup des murs et de-s tranchéee.

176

Sauvés ! s'écriait-on ensemble ; et les bravos Eclataient à la fois dans les deux campts rivaux.

C'était au lendemain des fameuses journées

Qui devaient à jamais fixer nos destinées,

Montcalm qui triomphait naguère à Carillon

Se taillant un linceul dans son fier pavillon,

Trahi par la victoire avait donné sa vie,

Disant comme autrefois le vaincu de Pavie :

Tout est perdu, hélas ! hors l'honneur du drapeau !

Sur son corps les vainqueurs passant comme un troupeau Avaient, semant partout le carnage et la flamme. Arboré sur nos murs leur sanglante oriflamme. Québec, comme deux ans plus tôt Chandernagor, Affamé par Bigot et vendu par Vergor, {^^) Sans poudre, sans canons, sans vivres, sans ressources. De l'héroïsme ayant tari toutes les sources, Avait brisé son glaive ainsi qu'un ancien preux. Sur ses remparts croulants, à ses créneaux poudreux,

177

Pour relever les plis de la bannière blanche, Lévis, cet immortel soldat de la revanche, Avait, ressuscitant Tespodr au fond des cœurs. Dans un suprême effort écrasé les vainqueurs! (^')

Et l'Anglais dans les murs, le Français sous la tente. Assiégés, assiégeants, s'épuisaient dans l'attente Des secours si longtemps implorés d'outre-mer. Tous les matins, Lévis, de son regard amer. Les 3'eux rougis, sondait les lointains -du grand fleuve. Murray, de son côté, braquait vers Terre-Neuve Sa lunette de nuit qui tremblait dans sa main. , . . Et l'on se demandait : Qu'adviendra-t-il demain ?

Chez les deux combattants l'angoisse prédomine ;

Désormais l'ennemi commun, c'est la famine !

Le courage de l'homme a dit son dernier mot;

Le destin maintenant a la parole ; il faut

Que l'aube à l'un ou l'autre apporte l'espérance.

L'aube, est-ce l'Angleterre, ou sera-ce la France ?. . .

178

Jamais deux joueurs, l'un devant l'autre accoudé, N'avaient eucor pâli sur un tel coup de dé. . . Terrible iYicertitude, anxiété profonde, La voile à Tliorizon, c'est la moitié du monde !

Une voile! une voile! a-t-on crié là-bas; Et, minéis par la faim, brisés par les combats, Dé<»uenillés, transis, vaincus de la souffrance, Nos soldats ont poussé leur cri sublime : France !

Doute affreux ! Incliné sous ses huniers géants, Un navire doublait la pointe d'Orléans. De quel côté, mon Dieu, va pencher la balance ? Maintenant les deux canups haletaient en silence. Qu'on juge s'ils* étaient poignants, accélérés, Les battements de cœur de ces désespérés! La pâleur de la mort glaçait tous les visages ; Les minutes étaient long-ues comme des âges !

179

Enfin, le lourd trois-mâts, toutes voiles dehors, Et démasquant soudain ses deux rangs de sabords, Vaisseau fatal sur qui l'aile du destin plane, Sous les canons du fort pare à se mettre en panne. Nul étendard ne flotte? à son mât d'artimon. Est-il contre on pour nous ? est-il ange ou démon ? On ne respirait plus. Lévis, la mort dans l'âme, Attendait calme et froid le dénoûment du drame.

Tout à coup, du vaisseau qui présente son flanc, Un éclair a jailli dan« un nuage blanc : O'eet un coup de canon. L'âpre voix de la poudre. Répercutée au loin comme un éclat de foudre. Va se perdre, sinistre, au fond des bois épais. Et les guerriers saxons du haut des parapets. Et les soldats français penchés sur les falaises. Virent monter au vent. . . les trois couleurs ano-laises !

Le sort avait parlé, notre astre s'éclipsait. . . L'exil cruel, sans tin, d'un peuple commençait.

180

Un roi sans cœur, jouet d'une femme lubrique, Pour défendre la France et sauver l'Amérique, N'avait pas. même su le lâche libertin ! Dépêclier vers nos bords le " traînard du destin ! " f «)

LATALA

Quand je lis ton histoire héroïque, ô Tengeur !

Mon cteur français tressaille, et je deviens songeur.

Ce fut un fier tableau dans un immense cadre: Un seul vaisseau luttant contre toute une escadre, Troué par les boulets, vaincu, désemparé, Qui, parmi les horreurs d'un combat effaré, Et pendant que le feu ronge son oriflamme, Au sein d'un tourbillon de fumée et de flamme.

182

S'abîme en pleine mer avec ses matelots

Comme un soleil sanglant qui plonge dans les flots,

Cela semble un feuillet de la légende antique.

Le drame est saisissant ! Pour scène TAtlantique ;

Pour décor l'horizon des mornes océans ;

Pour acteurs ces trois-ponts avec leurs mât« géants,

Lançant à pleins sabords la mitraille et la bombe ;

Et, penché sur le gouffre descend l'hécatombe.

Toujours fier d'assister à ces chocs surhumains,

Pour spectateurs un monde au loin battant des mains !

Ton sort fut plus modeste, ô ma i)auYre Atalantc ! Ce n'est pas une mer que ta chute ensanglante ;

Nulle armée en tes flancs étroits ne s'engloutit ; Un théâtre moins vaste, un cadre plus petit Donnèrent un éclat moindre à ta fin stoïque ; Mais qui dira le(piel est le plus liéroï(iue Quels que soient les échos (prils aient fait retentir Du grand homme mourant ou de l'obscur martyr ?

On touchait à la fin de la lutte sans trêve.

1 83

Epaye fiilguraute éclionée à la grève,

JJAtalante, enfermée en nn cercle de feu,

Luttait depuis l'aurore à la grâce de Dieu.

Trois gros vaisseaux anglais la foudroyaient; et seule.

Contre cent vingt canons chargés jusqu'à la gueule

Et vomissant sur elle une averse de fer,

UAtalante échouée affrontait cet enfer.

Vauquelaiu, un héros qu'eût envié la Grèce, Défendant jusqu'au bout sa corvette en détresse, Au seul mât que n'eût point rasé le tourbillon, Dans la tempête avait cloué son pavillon. Et, sombre, il regardait beaupré, chaînes, cordages. Grands huniers en lambeaux, lourds éclats de bordages, Vergues et galhaubaus, guindeaux, câbles, crampons, Sous les chocs meurtriers qui labouraient les ponts, Avec des cliquetis horribles de ferrailles. Pêle-mêle sauter dans des vols de mitrailles.

Sur le vaisseau blessé rien qui ne soit atteint.

184

De ses seize canons le dernier s'est éteint,

En jetant je ne sais quel hoquet d'agonie.

Commandant, dit quelqu'un, la bataille est finie;

La sainte-barbe est vide, et je suis seul debout!

Et l'artilleur mourant s'affaissa tout à coup, Laissant Vauquelain seul sur l'épave croulante Qui, le matin encor, se nommait VAtahiiitc. L'incendie attaquait le vaisseau par l'avant. Alors, du grand désastre unique survivant, Au pied du tronçon noir la bannière blanche Claquait encore au vent de la sombre avalanche. Voyant autour de lui tout espoir s'effondrer. Le vaincu du destin se coucha pour pleurer. (^)

C'est par im ^oir humide et triste de l'automne.

Dans les plis ilu brouillard la plainte monotone Du Saint-Laurent se mêle aux murmures confus Des chênes et des pins dont les dômes touffus Couronnent les hauteurs de l'île Sainte-Hélène. Au loin tout etst lugubre; on isent comme une haleine De mort flotter partout dans l'air froid de la nuit. Au zénith nuag'eux pas un astre ne luit.

ISG

Tout devrait rei^oser ; pourtant, sur l'île sombre, A certaines lueurs qui se meuvent dans Toiiibre, On croirait entrevoir, vaguement dessinés Groupes mystérieux partout disséminés, Et se serrant la main avec des airs funèbres Comme des s.pectres noirs rôder dans les ténèbres.

Tout à coup, sur le fond estompé des massifs, Et teignant d"or le fût des vieux ormes pensifs, Dans les craqncmouts sourds attisés ])ar la brise Et les crépitements dn bois «ec qui se brise. Eclatent les rouuenrc-; d'un immense brasier.

Prenant pour piédestal l'affûr d'un obusier. Un homme au niéniê instant domine la clairière. A son aspect, un lirnit de fanfare guerrière Retentit ; du tanibonr les lointains roulements Se confondent avec les brefs commandements Qui. prompts et saccadés, se croisent dans l'espace. Place ! c'est la rnnienr d'un batailloii (pii passe.

187

Vil autre bataillon k- suit, et tour à tour On voit le« régiments former leurs rangs autour Du rougeoyant foyer dont les lueurs troublantes Eclairent raguement ces masses ambulantes

A eliatjue bauniiiet le' a lluiiiaut un éclair.

Alors, couvrant le bruit, un timbre mâle et clair, vibre je ne sais quel tremblement farouche, Résonne, et, répétés tout bas de bouche en bouche, Au milieu dets rumeur-s qui flottent dans le vent Laisse tomber ces mots: Les drapeaux en avant !

Arrêtons-nous devant cette page d'hit^toire î

Xos conquérants étaient maîtres du territoire. Cerné dans Montréal, le marquis de Vaudreuil, Après plus de sept au8 de luttes et de deuil,

188

Après plus de sept ans cVattente et de souffrance, Xe voyant arriver aucun secours de France, Dans sa douleur farouche avait capitulé. L'orgueilleux ennemi même avait stipulé ^ La rougeur à ma joue, hélas! en monte encore ; Que le lendemain même, au lever de l'aurore. Nos défenseurs, parqués comme de vils troupeaux, Au général anglais remettraient leurs drapeaux.

Leurs drapeaux! Ces drapeaux dont le pli fier et librf Durant un siècle avait soutenu Féquilibre Contre le monde entier sur tout un continent ! Ces drapeaux dont le vol encor tout frissonnant Du choc prodigieux des grands tournois épiques. Cent ans avait jeté, des pôles aux tropiques, Son ombre glorieuse au front de« bataillons ! Ces drapeaux dont chacun des sublimes haillons, Noir de poudre, rougi de sang, couvert de gloire. Cachait dans ses lambeaux quelque nom de victoire ! Ces étendards poudreux qui naguère, là-bas.

189

Sous les murs de Québec, avaieut de cent combats Couronné le dernier d'un triomphe suprême ! Ces insignes sacrés, il fallait, le soir même, Leur faire pour toujours d'humiliants adieux !

Indigné, révolté par ce pacte odieux,

Lévis, ce dernier preux de la grande épopée,

Le regard menaçant, la main sur son épée.

S'était levé soudain, et sans long argument,

Contre d'insulte avait protesté fièrement.

Vingt mille Anglais sont qui campent dans la plaine !

Lui, n'a plus qu'un débris d'armée à Sainte-Hélène :

N'imiporte ! les soldats français ont su jadis

Plus d'une fois combattre et vaincre un contre dix !

La France indifférente au sort nous abandonne :

N'importe encore! on meurt quand le devoir l'ordonne!

Il veut sans compromis résister jusqu'au bout.

Il se retirera dans l'île, et là, debout

A son poste, en héros luttera sans relâche.

Dans mes rangis, disait-il, il n'est pas un seul lâche!

13

190

Ne prêtez pas la main à ce honteux marché ;

Je puis, huit jours au moine, dans mon camp retranché,

Avec mes bataillons tenir tête à l'orage;

Et si la France encor, trompant notre courage,

Refuse d'ici le secours imploré,

Dans un combat fatal, sanglant, désespéré,

Tragique déuoûment de l'antique querelle,

Nous saurons lui montrer comment on meurt pour elle!

Vaudreuil signa pourtant. Refuser d'obéir. C'était plus que braver la mort, c'était trahir.

Trahir ! avait pensé le guerrier sans reproche. . . Et c'est lui qui, dans l'ombre, avant que l'aube approche A ses soldats émus dans la nuit se mouvant. Avait jeté ce cri : Les drapeaux en avant ! Allait-il les livrer ? Allait-il, à la face De ses vieux vétérans honte que rien n'efface Souiller son écusson d'un opprobre éternel? On attendait navré le moment solennel.

191

Lévifi s'avance alor?^. Dans son œil énergique, le feu dn brasier met un reflet tragique, Malgré son calme on sent trembler un pleur brûlant. Vers les drapeaux en deuil l'homme marche à pas lent. Et, tandis que la main de l'Histoire burine, Lui, les deux bras croisés sur sa vaste poitrine. Contemplant ces lambeaux tant de gloire a lui, Longtemps et fixement regarde devant lui.

Dans le fond de son cœur il évoquait sans doute

Tous les morts généreux oubliés sur la route.

Où, tout illuminés de rayons éclatants.

Ces guidons glorieux marchaient depuis cent ans.

Enfin, comme s'il eût entendu leur réponse,

Pendant que son genou dans le gazon s'enfonce,

Refoulant ses sanglots, dévorant son affront.

Sur les fleurs de lys d'or il incline son firont.

Et, dans l'émotion d'une étreinte dernière,

De longs baisers d'adieu couvre chaque bannière. .

192

Et niaintenant, dit-il, me<s enfants, brûlez-les, Avant que d'autres mains les livrent aux Anglais î

Alors spectacle étrange et sublime, la foule. Ondulant tout à coup commie une vaste houle, S'agenouille en silence ; et, solennellement, Dans le bûcher sacré qui sur le firmament. Avec des sifflements rauques comme des râles. Détache en tourbillons ses sanglantes spirales, Parmi les flamboiements d'étincelles, parmi Un flot de cendre en feu par la braise vomi, Sous les yeux du héros grave comme un apôtre. Chaque chapeau français tomba l'un après l'autre !

Quelques pétillements de plus, et ce fut tout. Alors, de Montréal, de Longueuil, de partout, Les postes ennemis crurent, dans la rafale, Entendre une clameur immense et triomphale ; Quêtaient les fiers vaincus qui, tout espoir détruit, Criaient : Vive la France ! aux échos de la nuit.

193

O Lévis ! ô soldats de cette sombre guerre ! Si TOUS avez pu voir les hontes de naguère, Que n'êtes-vous soudain sortis de vos tombeaux, Et, vengeurs., secouant les augustes lambeaux De vos drapeaux en feu, dans votre sainte haine, Venus en cravacher la face de Bazaine !

Au détour de la plaine grandit ^lontréal,

Dans un site charmant, poétique, idéal,

Que longe le cbeniin de la Oôte-des-Neiges,

du matin au soir serpentent les cortèges

Qui vont au rendez-vous de ceux qui ne sont plue,

Dans la déclivité d'un immense talus,

A Fombre des bouleaux et des bosquets d'érables.

Se dressent les pans noire-;, décrépits, misérables,

D'une ancienne masure effondrée et sans toit.

196

C'est qu'un jour le morue areliang-e, dont le doigt Inflige la défaite on fixe la victoire, S'arrêta pour dicter une page à rilistoii e !

A l'époque sanglante nos pères trahis Défendaient eoi'ijs à corps leurs foA'ers envahis, Et, groupes de héros débordés par le nombre, Touchaient au dénoûment fatal du drame sombre, Dans ce logis, alors presque un petit manoir, Dont les tons vigoureux tranchaient sur le fond noir De la forêt encor vierge de la cognée. Vivaient un vieux traiteur à mine renfrognée. Nommé Luc Sanriol, sa femme et son fils Jean. Celui-ci, gars robuste à l'œil intelligent. Avait pour son pays déjà monté la garde. Des soldats de Montcalm il portait la cocarde ; C'était un fier tireur, et l'Anglais n'avait point Plus terrible ennemi la carabine au poing.

Les cohorteis d'Amherst avaient conquis la plaine ; Et nos derniers vengeurs, campés dans Sainte-Hélène,

197

Attendaient l'arme an bras le signal de monrir,

Lorsqn'nn jonr Sanriol vit «on fils accourir,

Et, grave, s'arrêter sur le senil de la porte.

Bonjour, père, dit-il; c'est moi! Je vous apporte

Un message pressant au nom du gouverneur.

Ce soir, à la nuit brune, il vous fera l'honneur

De s'arrêter ici pour affaire importante.

On dit, ajouta-t-il d'une voix hésitante.

Qu'il s'agit le soldat tâtait ses pistolets

D'une- entrevue avec le général anglais. . .

Le soir même, en effet c'était le huit septembre

Le marquis de Vaudreuil, assis dans une chambre

De ce logis étroit dont les derniers lambris

Jonchaient naguère encor le sol de leurs débris,

Le désespoir au cœur et l'âme à la torture.

Capitulait, livrant avec sa signature,

Entre les mains d'Amherst surpris de son succès.

Le dernier boulevard du Canada français.

On lui refusait même affront d'âme vulgaire

Pour nos soldats vainqueurs les honneurs de la guerre I

198

Le vieux Luc Sauriol, stupéfait, confondu,

En se rongeant les poings avait tout entendu.

Loi'isque tomba la plume, il se leva, farouche.

Prit son fils à Técart, et l'index à la bouche.

Le regarda longtemps un éclair dans les yeux.

J'ai compris, lui dit Jean, serrant la main du vieux.

Puis, prenant son fusil de chasse d'un air sombre.

Il entr'ouvrit la porte et disparut dans l'ombre.

Le père ni le fils n'avaient capitulé.

Tout près, un chemin creux s'allongeait, accolé Au pied; d'un mamelon de« quartiers de roche Avaient été rangés pour défendre l'approche Des postes avancés par cette route-là. Les officiers anglais devaient passer par là. Au milieu de la nuit, pour rejoindre leurs lignes. Pour la première fois infidèle aux consignes, fTean Sauriol y court, prend la chaîne d'un puits. En barre fortement l'étroit passage, et puis Monte sur les hauteurs se mettre en embuscade. Quelques instants après, la noire cavalcade. Avec un long éclat de rire goguenard, S'engouffrait au grand trot au fond du traquenard.

199

Ce fut terrible. Au choc, la troupe tout entière Chevaux et cavaliers roula dans la poussière, Pêle-mêle, criant, hurlant, se débattant, Tandis que Sauriol lançait au même instant. Par vingtaine, du haut de la crête saillante, De lourds éclats de roc sur la masse grouillaute. Un double éclair aussi perce Pobsicurité ; C'est encor Sauriol qui, dans l'ombre posté. Tire sur les Anglais et les crible à outrance. Enfin, poussant trois fois le cri : Tire la France ! Le soldat, déserteur et héros à la fois. D'un pas ferme gagna l'épaisseur des grands bois.

Ce fut durant trois mois une chasse enragée. Lorsque dans le sommeil la ville était plongée. Un éclair tout à coup s'allumait quelque part. Et mainte sentinelle, aux créneaux d'un rempart. Victime sans merci d'une infernale adresse. Tombait le front percé d'une balle traîtresse. Parfois, si Montréal respirait vis-à-vis. Dans l'île maintenant les soldats de Lévis Voyaient flotter au vent l'étendard britannique Le poste anglais, saisi d'une terreur panique,

200

Entendait résonner l'invisible mouisqnet, Et trouvait Tim des siens râlant sur le parquet. Si quelque cavalier, hardi batteur d'estradee, Osait sortir le soir tombé, ses camarades Voyaient revenir seul le cheval effaré. Presque toutes les nuits, le guet exaspéré Trébuchait tout à coup sur une masse informe. l'on reconnaissait le fatal uniforme. . . Amherst, la rage au cœur, fit battre tous les bois : Sur vingt soldats, un jour, il n'en revint que trois ! Enfin l'on n'osa pluis se hasarder qu'en plaine. . . Un vaincu tenait seul une armée en haleine.

Mais l'âpre hiver allait venir; les massifs nus N'offraient plus désormais, sous leurs dômefi chenus, Au pauvre g-uérilla de retraite bien sûre; Et, puis l'homme souffrait au bras d'une blessure Qu'une balle avait faite un soir en ricochant. Au flanc du Mont-Royal, du côté du Couchant, Dans le creux d'un ravin chantait une source, Il avait découvert la tanière d'une ourse. Dont un épais fourré dissimulait l'abord.

201

Jean Sauriol avait tué Fourse d'abord,

Pour lui cela n'était rien de bien difficile,

Et puis il avait pris la place au domicile.

Son père venait lui porter à manger.

Que voulez -vous, à tout on ne peut pas songer ;

Lui, ne s'était muni que d'un baril de poudre

Avec du plomb assez, disait-il, pour découdre

Dans les règles de l'art un régiment d'Anglais.

Ces derniers avaient eu beau tendre leurs filets,

Sauriol leur glissait dans les doigts comme une ombre ;

Et, lorsque les chasseurs qui le traquaient en nombre

S'applaudissaient déjà du succès obtenu,

I] s'enfonçait sous terre, et. . . ni vu ni connu!

Cela ne pouvait pas toujours durer. La neige.

Le cernant dans son antre ainsi que dans un piège,

De tout secours humain l'isola tout à coup.

Le malheureux ne s'en désola pas beaucoup :

Il avait fait depuis longtemps son sacrifice.

Pourtant, si le regard à travers l'orifice

202

De la oTotte, dan.s l'ombre, eût par hasard plongé, Il eût ]ihis d'une foi«^ vu le pauvre assiégé Transi, mourant de faim, pleurer dans les ténèbres . . . Ce n'était pas pour lui, non plus, ces pleurs funèbres ; On va le voir.

Un jour ses pas l'avaient trahi Sauriol vit soudaiiu son refuge envahi : On le tenait. Chez lui pas un muscle ne tremble.

Messieurs, dit-il, avant que nous partions ensemble, Ecoutez bien ces mots que je dis sans remord : Je suis un meurtrier, je me condamne à mort ! Mais vous, les agresseurs! vous, nation vorace! Oui, vous, les éternels ennemis de ma race ! Bourreaux de mon pays, vous mourrez avec moi !

Il dit, et, froidement, sans hâte, sans émoi. Tire son pistolet dans le baril de poudre. . .

203

Tout disparut. Ce fut comme un éclat de foudre. La détonation ébranla les rochers ; Les lourde quartiers de rocs, de leur base arrachés Tandis que retentit un long cri d'épouvante Sautèrent dans l'espace, avec la chair vivante De cent hommes brisés, hachés, déchiquetés. , .

Le lendemain matin, aux premières clartés, Sur les débris sanglante d'un désastre qui navre, On trouvait un vieillard penché sur un cadavi'e Qu'il semblait sur son cœur presser avec transport . . . On s'approcha de lui : le pauvre homme était mort ! {^°)

Voyez-vous, sur le bord de ce chemin bourbeux. Cet enclos en ruine broutent les grands bœufs ? Ici, cinq paysans trois hommes et deux femmes - Eurent la sépulture ignoble des infâmes ! Cette histoire est bien triste, et date de bien loin.

Comme un soldat mourant la carabine au poing, Québec était tombé. Sîans honte et sans mystère, Un Bourbon nouis avait livres à l'Angrleterre!

14

20G

Ce fut un coup mortel, uu long déchirement, Quand ce peuple entendit avec effarement Lui qui tenait enfin la victoire suprême Par un nouveau forfait souillant son diadème, Le roi de France dire aux vSaxons : Prenez-les ! :\Li jiloire n'en a plus besoin ; (prils soient anglais ! O Lorraine ! ô Strasbourg ! si belles et si gTandes, Vous, c'est le sort au moins qui vous fit allemandes!

Des bords du Saint-Laurent, scène de tant d'exploité,

On entendit alors soixante mille voix

Jeter au ciel ce cri d'amour et de souffrance :

Eli bien, soit ! nous «serons français malgré la France !

Or chacun a tenu sa parole. Aujourd'hui, Sur ce lâche abandon plus de cent ans ont lui ; Et, sous le sceptre anglais, cette fière phalange Conserve encore aux yeux de tous, et sans mélange, Le culte de la France et son cachet sacré.

207

Maie d'autres, repoussant tout servage exécré, Après avoir brûlé leur dernière cartouche, Renfermés désormais dans un orgueil farouche. Révoltés imp'uissants, sans crainte et sans remord, Voulurent, libres même en face de la mort. Emporter au tombeau leur éternelle haine.

En vain l'on invoqua l'autorité romaine ;

En vain, sous les regards de ces naïfs croyants,

Le prêtre déroula les tableaux effrayants.

Des châtiments que Dieu garde pour les superbes ;

En vain l'on épuisa les menaces acerbes ;

Menaces et sermons restèrent sans succès!

Non ! disaient ces vaincus ; nous sommes des Français

Et nul n'a le pouvoir de nous vendre à l'enchère !

La foudre un jour sur eux descendit de la chaire

L'Eglise, pour forcer ses enfants au devoir,

A regret avait frapper sans s'émouvoir.

Il n'en resta que cinq. Ceux-là furent semblables.

Dans leur folie altière, aux rocs inébranlables :

208

Ils laissèrent gronder la foudre sur leurs fronts, Et malgré les frayeurs., et malgré les affronts, Sublimes égarés, dans leur sainte ignorance, Ne voulurent servir d'autre Dieu que la France !

La vieillesse arriva ; la mort vint à son tour. Et, isans prêtre, sans croix, dans un champ, au détour D'une route fangeuse la brute se vautre, Chaque rebelle alla dormir l'un après l'autre.

Il n'en restait plus qu'un, un vieillard tout cassé. Une ombre! Plus d'un quart de siècle avait passé Depuis que sur son front pesait l'âpre anathème. Penché sur son bâton branlant, la lèvre blême, Sur la route déserte on le voyait souvent, A la brune, rôder dans la pluie et le vent, Comme un spectre. Parfois détournant les paupières Pour ne pas voir l'enfant qui lui jetait des pierres, Il s'enfonçait tout seul dans les ombres du soir.

209

Et plus d'un affirmaient avoir cru l'entrevoir

Les femmes du canton e'en signaient interdites

Agenouillé la nuit sur les tombes maudites.

Un jour on l'y trouva roide et gelé. Sa main

Avait laissé tomber eur le bord du chemin

Un vieux fusil rouillé, son arme de naguère,

Son ami des grands jours, son compagnon de guerre,

Son dernier camarade et son suprême espoir.

On creusa de nouveau dans le sol dur et noir ;

Et l'on mit côte à côte, en la fosse nouvelle,

Le vieux mousquet français avec le vieux rebelle !

Le peuple a conservé ce sombre souvenir. Et, lorsque du Couchant l'or commence à brunir A Saint-Michel, vieux bourg français de Bellechasse, Le passant, attardé par la pêche ou la chasse, Craignant de voir surgir quelque fantôme blanc, Du fatal carrefour se détourne eu tremblant.

210

Donc, ces cinq paysans n'eurent pour sépulture Qu'un tertre l'animal vient chercher sa pâture! Ils le méritaient, soit ! Maie on dira partout Qu'ils furent bel et bien cinq héros, après tout ! Je respecte l'arrêt qui Les frappa, sans doute; Mais, lorsque le hasard me met sur cette route. Sans demander à Dieu si j'ai tort en cela, Je découvre mon front devant ces tombee-là I (^^)

!Nous sommes loin, bien loin.

Ces bruits sourds et confus Que le vent nous apporte à travers les grands fûts Qui percent les fourrés ou bordent la prairie, Ce sont les grondements du saut Sainte-Marie. Là, dans les lointains bleus de rimmense horizon, paissaient autrefois l'élan et 3<^ bison.

212

Par delà la forêt et la cliiTte qui gronde,

Se balancent les flots du plus grand lac du monde.

A droite, c'est la Pointe-aux-Pins, endroit fameux.

Où, sur le seuil sacré de leurs wigwams fumeux.

Les guerriers tatoués des peuplades indiennes

Qui hantaient autrefois les forêts canadiennes

Echangèrent souvent le calumet de paix.

Du côté sud, masqués par des fourrés épais,

Le voyageur découvre, à deux pas du rivage,

Les restes d'un vieux fort nommé le fort Sauvage.

Foulons avec respect ces glorieux dé.bris !

Louis-quiuze, en signant le traité de Paris

Honte qu'à tout jamais répudiera l'histoire

Avait livré ce vaste et fécond territoire

Dépassant les trois quarts de l'Europe en ampleur.

Comme un lopin de terre infime et sans valeur.

Nous étions devenus anglais comme en un rêve !

l*lus d'un siècle et demi d'héroïsme sans trêve,

De dévoûment sans tin, de travail incessant !

Tout un passé de gloire écrit avec du sang !

Un peuple, un continent, l'avenir, presque un monde,

Prodigués au profit d'une déhanche immonde !. . .

2i;;

Le vieux drapeau français dut refermer «es plie, Et, fier témoin de tant de hauts faits accomplis, Faire place partout aux couleurs d'Angleterre. Sur un point cependant il se fit réfractaire ; Ce fut au fort Sauvage. Un brave y commandait Nommé Cadot. Malheur à qui se hasardait A provoquer cet homme à rude et forte trempe î Il cloua simplement le drapeau sur la hampe.

Un envoyé du roi d'Angleterre arriva. . .

Passe au large, dit-il, j'en ai vu d'autres, va !

Mais ce fort maintenant est un fort britannique.

Vous dites ? fait Cadot d'une voix ironique ; Eh bien, venez-3' voir ! j'ai trois petits canons Qui seront enchantés de vous dire leurs noms.

Je vous somme, Monsieur. . . Et moi, je vous invite A rebrousser chemin tous ensemble, et plus vite !

214

Au large, entendez-vous ! Ou sinon mes boulets Vous auront bientôt fait savoir s'ils sont anglais.

Commandant, lui dit-on, vous êtes un rebelle ; Prenez garde ! Allons donc ! vous me la baillez belle, Fit en riant Cadot ; depuis quand votre roi De commander ici s'arroge-t-il le droit ?

Depuis qu'un souverain qu'on nomme roi de France

Nous a cédé son titre à la prépondérance.

Allons, vite, amenez votre drapeau ! Oui-dà ?

Le roi de France aurait vendu le Canada !

Eh bien, l'on ne vend pas les Français qu'il renferme.

Si vous croyez pouvoir nous prendre, allez-y ferme !

Car tant que je serai vivant et le plus fort.

Mon drapeau flottera sur le donjon du fort.

Allez !

Durant six mois, Cadot, sombre et farouche,

215

Fit ses provisions de combat et de bouche, Arma du mieux qu'il put sa faible garnison; iEt puis il attendit, calme, et sur l'horizon Sans relâche tenant fixé son regard d'aigle. Il lui fallut enfin subir un siège en règle.

Sitôt que le printemps facilita l'accès Des parages lointains le vieux fort ftrançais Arborait hardiment sa bannière insoumise, Soixante grenadiers des bords de la Tamise Débarquèrent un jour dans les remoue du saut. Le lendemain matin, on marchait à l'assaut. Dix hommes seulement défendaient la redoute. La victoire fut rude, et coûta cher sans doute; Mais Cadot, indomptable en sa rébellion. Du haut de ses remparts lutta comme un lion ; Et les troupes du roi reculèrent hachéee.

On investit la place ; on creusa des tranchées ;

21G

Et ces fiers conquérante résolurent enfin De vaincre à temps perdu l'asisiégé par la faim. Mais les précautions de Cadot sont bien prises. Toujours sur le qui-vive, à Faffùt des surprises, Près du cercueil des morts, au chevet des mourante Car les mousquets anglais ont éclaire! ses rangs - L'étrange révolté veille et se multiplie ; Tandis que le drapeau, sur sa hampe qui plie, En face des Anglais enfermés dans leur camp. Au vent flotte toujours intact et provocant.

A de forts ennemis croyant avoir affaire.

Les assiégeants, honteux et ne sacliant que faire,

N'osaient plus hasarder un combat désastreux;

Maudisisant le guignon, se querellant entre eux.

Ils passèrent l'été, sans que ni violence

Ni ruse, un seul instant, trompât la vigilance

De Cadot, que jamais rien ne put assoupir.

Or, l'automne arrivée, il fallait déguerpir,

217

Un beau matin, plus rien! Sans tambour ni trompette, (Les Anglais avaient pris la poudre d'escampette. Battus, manquant de tout, et craignant pour leur peau, Ils avaient laissé Cadot et son drapeau, Et regagnaient Québet! par la route du fleuve.

C'étaient liuit mois au moins de gagnés. Mais l'épreuve

Avait été terrible et fatale au vainqueur.

Sur ses neuf compagnons, tous des hommes de cœur,

Cadot ne comptait plus que deux soldats valides ;

Mais c'étaient comme lui deux paroissiens solides,

Qui n'avaient pas souvent, comme on dit, froid aux yeux.

Devant le vieux drapeau dont le pli glorieux,

Sur le fond vert des bois, comme un vol de mouette,

Faisait toujours trembler sa blanche silhouette,

Dans un serment farouche, étrange, solennel,

Ilfi jurèrent tous trois leur salut éternel

Que, sans faillir, et tant qu'une dernière goutte

De sang leur resterait au cœur, coûte que coûte,

Et dût le monde entier fondre sur le vieux fort,

Tous trois, se roidissant dans un suprême effort,

218

Même quand aurait fui tout rayon d'espérance, Couvriraient de leurs corps le drapeau de la France ! Et que le survivant, dût-il e'éteindre seul. De son dernier lambeau se ferait uu linceul I Et maintenant, mes vieux, dit Cadot. Xotre Père ! Et ce Quelqu'un d'eii-liaut en qui toute âme espère Vit ces désespérés, au regard sombre et doux. Auprès du drapeati bluuc, qtii priaient à «genoux !

Les débris, cependant, de la petite armée Par dix hommes ainsi vaincue et décimée. Transis de froid, brisés de fatigué et de faim. Aux quartiers généraux étaient rentrés enfin, Dans un état d'esprit difficile à décrire.

A leur récit piteux Murra^' se mit à rire : Ma foi, tant pis ! dit-il, nous avons devant nous Plus de temps qti'il ne faut pour réduire ces fous. Je ne vois pas qu'il isoit besoin qu'on se morfonde A déloger ces gueux à l'autre bout du monde ;

219

Pour le moment j'ai bien d'antres chiens à fouetter! En somme, on décida de ne point se hâter. Lee semaines, les mois et les saisons passèrent ; Les souvenirs sanglants par degrés s'effacèrent ; Puis Washington, levant son vaillant étendard, Acheva d'attirer les esprits autre part.

Engagés désormais dans une immense guerre,

Nos orgueilleux vainqueurs ne se souvinrent guère,

Dans les anxiétés poignantes des combats,

Que le drapeau français flottait toujours là-bas.

On oublia Cadot. A leur serment fidèles.

Tous les ans, quand venait le moie des hirondelles.

Les trois héros songeaient à mourir bravement.

Ils vieillirent. L'un d'eux, on ne sait trop comment.

Périt dans la forêt. Sur sa couche brûlante,

L"n autre succomba, rongé de fièvre lente.

Et Cadot resta seul, sans espoir, sans appui,

Avec l'immensité déserte autour de lui î

220

yino-t ans «ont écoulés. Cadot n'est plus qu'une ombre.

Dans les ennuis sang fin, dans les transes sans nombre,

Mais sans que son courage ait un instant failli,

Le pauvre solitaire avant l'âge a vieilli.

Il est tout blanc ; sa main tremble sur la détente

De son mousquet rouillé dont la voix éclatante

N'éveille plus l'écho dee grands bois giboyeux.

8eul avec un vieux chien sauvage au poil rugueux,

Fidèle compagnon de sa vie isolée,

Il montait quelquefois sur la tour ébranlée

flottaient les lambeaux troués du drapeau blanc ;

Et là, pensif, courbé sur son bâton tremblant,

Comme s'il eût encor rêvé de délivrance,

Il regardait longtemps du côté de la France,

Et puis s'agenouillait, pendant que de ses yeux

De longs pleurs de vieillard coulaient silencieux.

Il vivait de gibier, de poisson, de racines. Quelquefois les Indiens des bourgades voisines Venaient le visiter, et, dans son abandon. D'un peu de pémican grossier lui faisaient don.

221

Un jour c'était par un de ces hivers si rudes Qui désolent souvent ces froides latitudes Trois Sauteux, qui venaient de chasser l'orignal, Ne virent pas étrange et funèbre signal Le vieux drapeau flotter à son mât qui balance. Ils entrèrent au fort. Un lugubre silence Régnait partout. Soudain, dans un obscur réduit le pressentiment d'un malheur les conduit, Les trois chasseurs se voient en face d'un cadavre. C'était Cadot, dans une attitude qui navre, Avec son fier drapeau pour dernier vêtement : Le héros était mort, drapé dans son serment !

Le fort n'est plus debout. Pourtant, sur ses ruines, Le voyageur prétend qu'à travers les bruines Et les brouillards d'hiver, on voit encor souvent Le vieux drapeau fran(;ai8 qui tlotte dans le vent! (^-)

15

Sur les murs de Québec, au milieu des vieux ormes Qui font un dôme vert aux contreforte énormes Du roc qui sert d'assise à la fière cité, Superbe, et dominant le port mouvementé Dont l'orbe s'ouvre au fond d'un bassin gigantesque, Se dresse un obélisque au profil pittoresque, Comme une flèche au front d'un immense portail. Or, sur ce monument, rare et touchant détail, L'enfant peut épeler, entre les branches d'arbre. Deux noms gravés en noir sur deux lames de marbre.

224

C'est le nom d'un vainqueur et celui d'un vaincu; T'n Français, un Anglais, tous deux ayant vécu Dans une époque, hélas ! moins douce que la nôtre L'un avec un seul but, celui d'écraser l'autre; Deux héros ennemis dont le sort fait rêver; L'un tombé comme un preux en voulant conserver A sa patrie ingrate une conquête ancienne; L'autre mort en donnant tout un monde à la sienne!

Passants, ne trouvez rien d'illogique en cela ;

Un noble sentiment les a réunis là.

Comme un gage constant d'union fraternelle.

D'entente cordiale et de paix éternelle

Entre deux nations qui savent, en grands cœurs.

Honorer les vaincus autant que les vainqueurs!

Wolfe et Mo)itcalm, grands noms tragiques de l'histoire. Dont l'un nous dit Défaite et l'autre dit Victoire, Par le sort des combats si rudement heurtés. sont ceux qui jadis vous ont si haut portés ?

225

Chacun eut son destin, et chacun eut sa tombe:

Le panthéon pour l'un, pour l'autre un trou de bombe! (^^)

Ils moururent ensemble, et presque de leurs mains.

A ce seul point fatal se croisent leurs chemins :

De nos jours, couniK' alors, un gouffre les sépare.

Pourtant, sous ce granit le rêveur qui s'égare

Peut aujourd'hui confondre et mettre au même rang

Le vaincu sans reproche et l'heureux conquérant!

TROISIEME EPOQUE

Personne n'a connu ta tombe, ô Dn Calvet! Quand la mort te frappa, personne à ton chevet, Ni sur ton front penché, ni sur ta lèvre blême, N'a pu sonder, hélas ! le terrible problême Qui planera toujours «sur tes derniers instante!

C'est à ton héroïsme, à tes efforts constants. C'est à ton dévoûment, le plus pur, h ])lus ample,

:^30

Dont ces temps malheureux nous aient légué l'exemple,

Que tu dois cette fin mystérieuse, et nous

Le devoir filial de bénir à genoux

Le premier champion de nos luttes civiques.

L'Histoire avait fermé ses registres épiques ;

Le soleil de la France à nos yeux s'éclipsait;

Des guerres la rougeur sanglante s'effaçait;

L'orage dans la nue enrayait son tonnerre ;

Mais, après les grands coups d'estoc, c'était une ère

De combats plus obscurs, qui, pour les oubliés,

Dans l'ombre préparait ses traits multipliés.

Un petit peuple encore à sa première enfance! Quelques déshérités, désarmés, sans défense! Nul danger du dehors, rien à craindre au dedans! La persécution pouvait montrer les dents.

Elle montra ses crocs et toutes ses molaires.

231

Héritière en sous-main des anciennes colères, Elle voulut, habile aux ruses de Satan, Donner une revanche aux défaites d'antan. Et, justice empruntée au code des vipères, Se veng-er sur les fils du courage des pères!

Alors on ^it, devant le spectre au front hideux. Un homme se lever et crier: A nous deux !

C'était toi, Du Calvet, qui, méprisant la rage Du despote, osait seul tenir tête à Forage, Et brandir, au-dessus de tous ces fronts étroits, A ton bras indigné la charte de nos droits.

Ta sentence de mort ce jour-là fut écrite!

En butte désormais à la haine hypocrite

De tous nos Haldimands, forbans grands ou petits

232

Dont ison honnêteté gênait les appétits,

L'homme dut, poursuivi par leur froide malice,

De toutes les douleurs épuiser le calice.

Un tyran que Thiistoire a marqué du fer chaud

Lui confisque ses biens et le jette au cachot ;

Et, pendant qu'il languit sous les verrouss du sbire,

Troupeau fanatisé que la vengeance inspire,

Autour de sa maison, à coups de pistolets.

Les doux représentants du doux régime anglais.

Trouvant que leur victime était trop peu punie.

D'une épouse mourante abrègent l'agonie!

Libre enfin, le héros (ju'aucuu malheur n'abat Ne «onge qu'à s'armer pour un nouveau combat. Vaincu dans une lutte, il en provoque une autre. Et porte auprès du roi sa cause avec la nôtre. On l'écoute, on s'émeut; le barbare Haldimand Par ses pairs ei^t mandé devant le parlement. L'accusateur triomphe, et, refoulant ses larmes, Retraverse les mers pour mieux fourbir ses armes. Son fils est près de lui sur le pont du vaisseau.

233

Hélas! le vieux lion avec le lionceau, Victimes d'un hasard qui confond la pensée, Disparaissent tous deux pendant la traversée ! Comment finirent-ils ? nul ne Ta jamais su.

p]t leur nom dans l'histoire est à peine aperçu!

Vous fûtes glorieux, jours de dix-huit cent douze, Quand nos pères, grands coeurs qui battaient sous la blouse.

Oubliant d'immortels affronts, Sous les drapeaux anglais, eu phalanges altières, La carabine au poing se ruaient aux frontières

En chantant avec les clairons!

Gars à la joue imberbe, hommes aux mains robustes, Toujours prêts à venger toutes les causes justes, Comme à braver tous les pouvoirs!

23n

Toujours prêt«, ces vaillants, an premier cri d'alerte, A répondr(% arme an bras et la poitrine onverte, A l'appel de tons les devoirs !

Kegardez-les passer, ces hérois d'nu antre âge, Conscritis dont le sang-froid, la gaîté, le conrage

Font honte an soldat agnerri! D'où viennent-ils? Des champs! vont-ils? A la gloire! Comment s'appellent-ils? Ilis s'appellent Victoire:

Demandez à Salaberrv!

Les reconnais-tn, France? Angleterre, saine! Ce sont nois Voltigeurs; lenr bande résolue

N'attend ni grades ni faveurs; Fs vont mourir sans crainte ou vaincre sans jactance, Ce sont toujours tes fils, souris d'orgueil, ô France!

Albion, compte tci-; sauveurs!

De canon étranger mugissait à no8 portes;

237

D'un ennemi jalonx les nombreuses? coliortes

Mena(;aient nos murs délabrés. En face du péril près de perdre la tête, Nos conquérants d'hier, pâles dans la tempête, S'entre-regardaient effarée.

On voulait, il est vrai, se défendre quand même; Mais en voyant l'orage et le danger suprême

Naître et grandir de toute part, On sentait que, devant la force numérique, La puissante Angleterre allait, dans l'Amérique,

Voir crouler son dernier rempart.

Soudain un cri partit: Français, à la rescousse! Alors, n'écoutant plus que l'instinct qui les pousse

Vers les généreux compromis. Nos jeunes gens, les fils des vaincus de naguère, Accoururent joyeux, et partirent en guerre

Sous les vieux drapeaux ennemis!

]6

238

.M ni s ces (I r;i pcji iix m»ii ( teints d n |»iii' s;i iiij, de \ un xciiics. ]j'\\v (liNiiil -on ; lrcni|ici- (huis ces (lisc(»i-(lcs Viiincs,

(''est |KHii- j;iiii;iis |»lici- \ os l'icHilis; Cet cnncnii (|ui \ lent \ ;i vcnuci- \()S dcrnilcs. . . An n-ci-n t (Ml r ;inul;iis ces consci'itis disîiicnt: I''ait*'<-;!

Le d('\ <»ii- |t;i rie, nons irons!

l']| |»niN, rjii'ni»' :'i l'i'icinlcl ;iu nciiI Icis clin nsonnct ( rs! . . . l'n jour, |ionr ic|ioiisscr sept iiiilic l»nï(»iiii<d tes,

(Ml Iriir crir: KiiTmits, Imiit h-s (d'iirs! Ils ne isolit (|il<' I r<MS relit s, serres eoniiiie def< |ii(|Ue^;; Mnis nos li-ois cciiIm, n noiif<, mieux (|iie (es (Urecis i'i»i(iiU'S,

() l.eonidn^!, sont \ niii(|ireii rs!

Oui, l'innce ' Ces < rois ceiitis s(d(lnt^ d"une seinniiie, Le scdeil, tout llll jour de lutte SU r II il llin i lie,

iios \il, de leur sniii; |»rodii;ii(', Hous le fer rt le Jeu, rianl des pritject iles, T'ii contre \iiii;l, inscrire niiprc'f; dos Tliernioi>.vlr<^

Le nom I i\ ni de < Min t enuuiin v !

2'M)

\'i('(<»iro inespérée, elle fui (lé'cie^ivc.

Quand on siiina In paix, nous avions rollVnsivr

Nous i-('\ înics (les jours plus Imm u\ ; l']( noN Im'I'os, n'avunl pluis de niirarlr à ("niro, Après a\()ir lixc le noj-I. (Tuii licniisplirrc,

IJcIoiirncrcnl à I<'Ui-s sahols.

MainfcnanI, sur nos murs, (|u:in(l un ^cslc iroui(pi(' Nous nionirc, ;i nous l'iuncuis, rdcndurd hril:Nini(|U(-

(^uc le san^ lie WolCc V Ncclhi, N<»us pou\oiiN (•( cela sullK. pour vous couroiulrc Indiquer ccifc dato, A raillourH! ci répondre:

Sans nous il ne si -ru il plus !;i !

TTonuMir a vous, cou^scrils, (pii d;ins ce lier poéuio, VoulûL-N de noii\c;ni, sous la hunnicrc niéuic

1)"- nos oi^îijcillfux roiKjui tjuiIh, Kîlicunir sur nos bords !;i lé(.r('ndc d<- gloire Q'ii dil <)uc, l<.r,<jii<- l>i(ii rr;ipp«- l'orl diins l'IiiHloiiw-, (yani. I ou jours |);ir l;i uiuiu <!<•<-; l''r;i;irH. é''''j

De nos jours comme au temps de la Grèce et de Kome, Souvent uu peuple entier s'incarne dans un homme.

Quarante ans transformant la tribune en créneau, L'homme-type chez nous «s'appela Papineau! Quarante ans il tonna contre la tyrannie; Quarante ans de son peuple il fut le bon génie, L'inspirateur sublime et l'âpre défenseur;

242

Quarante ans, sans faiblir, au jouci: de l'oppresseur Il opposa ce poids immense, sa parole. Il fut tout à la fois l'égide et la boussole; Fallait-il résister ou fallait-il férir. Toujours au saint appel on le vit accourir; Et toujours à l'affût, toujours sur le qui-vive, Quarante ans de son peuple il fut la force vive!

La persécution, ne pouvant l'écraser.

Avec l'appât, un jour, tente de l'apaiser.

Alors du vieux lion l'indomptable courage

Frémit sous la piqûre et bondit sous l'outrage.

Vous savez tous, ô vous que sa verve cingla,

Ge qu'il vous fit payer pour cette insulte-là!

O les persécuteurs arrogants ou serviles.

Fauteurs intéressés de discordes civiles,

Comme il vous foudroyait de son verbe éclatant!

Il savait être doux et pardonner pourtant.

Plus tard, après l'orage et les luttes brillantes.

Ni les longs jours d'exil, ni les haines sanglantes.

Ni les lazzi moqueurs, ni l'oubli des ingrats

Quand l'athlète vaincu sentit vieillir son bras

Ne purent ébranler cette âme fière et haute.

243

Sans fiel devant la honte, indulgent pour la faute, Tout entier au pavs, son cœur ne put haïr Même les renégate payés pour le trahir!

O Papineau! bientôt disparaîtra la trace

Des luttes qu'autrefois dut subir notre race.

Déjà, sur un monceau de préjugés détruits,

De tes combats d'antan nous recueillons les fruits.

Mais, quel que soit le sort que l'avenir nous garde,

Ainsi qu'au temps jadis, debout à l'avant-garde,

A notre tête encore, ô soldat des grands jours.

Demain comme aujourd'hui, nos yeux verront toujours

Que l'horizon soit clair ou que le ciel soit sombre

Se dresser ton génie et planer ta grande ombre! f^)

245 -

P APINE AU

II

Seul de ces temps féconds en dévonment épique, Seul de tous ces grands cœurs à la trempe olympique Qui défendaient jadis notre droit menacé, Sur notre âge imprimant sa gigantesque empreinte. Il restait là, <lebout dans sa majesté sainte, Comme un monument du passé !

Les ans n'avaient point \m courber son front superbe ; Et, comme un moisc><ouneur appuyé sur sa gerbe Regarde, fatigué, l'ombre du soir venir.

24:6

Calme, il se reposait, laissant, vaincu stoïque, Son œil, encor baigné de lueur héroïque, Plonger serein dans l'avenir.

Aux bruits de notre époque il fermait sa grande âme ; Et, sourd aux vains projets dont notre orgueil s'enflamme, Avec «es souvenirs de gloire et de douleur, Il vivait seul, laissant ses mains octogénaires. Qui des forums jadis remuaient les tonnerres, Vieillir en cultivant des fleurs!

Sa voix, sa grande voix aux sublimes colères, Sa voix qui déchainait sur les flots populaires Tant de sarcasme amer et d'éclats triomphants. Sa voix qui, des tyrans déconcertant l'audace. Quarante ans proclama les droits de notre race, Bénissait les petits enfants!

Lui, le puissant tribun que la foule en démence

247

Saluait tous les jours d'une clameur immense, Relégué désormais dans un monde idéal, Drapé dans sa fierté qu'on croyait abattue. Il dormait dans l'oubli, gigantesque statue Arrachée à son piédestal !

Souvent, lorsque le soir de ses lueurs mourantes Dorait de l'Ottawa les vagues murmurantes, Au-dessus des flots noirs, sur le coteau penchant l'aigle canadien avait plié son aile, On voyait se dresser sa taille solennelle En face du soleil couchant.

Alors le bruit des eaux brisant sur les accores, Les mille voix du vent dans les grands pins sonores, La chanson des oiseaux, la plainte des boi^ sourds. Tout ce concert confus de rumeurs innommées Qui s'élèvent, la nuit, de l'onde et des ramées, Tout lui parlait des anciens jours.

248

Onvraiit an isouvenir l'essor de ses pensées. Ce débris glorieux de uos grandeurs passées, Géant d'une autre époque oublié parmi nous, Comme il vous écrasait de sa hauteur sereine, Colosses d'aujourd'hui, tourbe contemporaine. Qui n'allez pas à ses genoux!

Semblable à ces hauts pics dont les cimes neigeuses, Emergeant au-dessus des zones orageuses, Dressent dans le ciel pur leurs altières splendeurs. Des brouillards et des bruits du présent dégagée, Son âme s'élevait radieuse, et plongée Dans de célestes profondeurs.

Gloire, succès, revers, douleurs, luttes sans trêve. Tout un monde endormi s'éveillait dans son rêve; 11 lui semblait entendre, au milieu des rumeurs, Appel désespéré d'un ])euple qui s'effare, Son grand nom résonner ainsi qu'une fanfare Au-dessus d'immenses clameurs.

24y

Mystérieux écho du passé! les rafales Lui jetaient comme un bruit de marches triomphales; Puis son œil s'allumait d'une étrange clarté: Aux éclats de la poudre, au son de la trompette, Il avait entendu claquer dans la tempête Le drapeau de la liberté!

Il regardait passer, dans un songe extatique, Tous ces héros d'un jour sortis d'un moule antique, Immortelle phalange au courage invaincu Qu'il commandait jadis; et, la main isur l'histoire, Il comptait, l'âme en deuil, les compagnons de gloire Auxquels il avait survécu.

Puis la scène changeait. Insondable mystère Qui fait presque toujours succéder sur la terre Aux triomphes d'hier les revers d'aujourd'hui, Sur des débris fumants, gémissante et meurtrie. Comme un spectre livide, il voyait la Patrie, Pâle, se dresser devant luiî. . .

250

Puis les longs jours d'exil, puis les reg^'ets sans nombre,

Les rêves envolée, Pespéranee qui sombre,

Les chagrins du vaincu, la morgue des vainqueurs,

La trahison, l'oubli, l'âge, la solitiide;

Enfin l'inévitable écueil, l'ingratitude.

se heurtent tous les grands cœurs!

Et pourtant ô chaos de la pensée humaine! Ce génie, héritier de quelque ombre romaine, Avait encore en lui des éblouissements; Par moments son regard se remplissait d'aurore; Et, penché sur la tombe, il méditait encore De sublimes enfantements!

Vain héroïsme ! Un soir, la mort, la mort brutale Vint le heurter au front de son aile fatale; Vaincu par l'âge, hélas ! ce mal sans guérison. Il voulut voir encore, assis à sa fenêtre. Pour la dernière fois, plonger et disparaître L'astre du jour à l'horizon.

251

Le spectacle fut grand, la scène saisissante! Des derniers feux du soir la lueur pâlissante Eclairait du vieillard Tanguste majesté ; Et dans un nimbe d'or, clarté mystérieuse, On eût dit que déjà 8-a tête glorieuse Rayonnait d'immortalité!

Longtemps il contempla la lumière expirante; Et ceux qui purent voir sa figure mourante, Que le reflet vermeil de l'Occident baignait, Crurent dernier verset d'un immortel poème Voir ce soleil coucliant dire un adieu suprême A cet astre qui s'éteignait!

Ce n'était pas la mort, c'était l'apothéose!. . . Maintenant parlons bas: il est qui repose Au détour du sentier si sauvage et si beau Qu'il aimait tant, le soir, à fouler en silence ; Et les grands arbres verts que la brise balance Pencbent leur front sur sou tombeau.

Passants qui visitez cet endroit solitaire, Inclinez-vous! c'est plus qu'un puissant de la terre, C'est presque un peuple entier qui dort là; car celui C^ui mit sur Papineau la dalle mortuaire Avait enveloppé dans le même suaire Tout un passé mort avec lui!

Il fut toute une époque, et louj^tf^mps notre race N'eut que sa voix pour glaive et son corps pour cuirasse. Courbons-nous donc devant ce preux des jours anciens! S'il ne partag^ea point nos croyances augustes, N'oublions pas qu'il fut juste parmi les justes, Et le plus grand parmi les siens!

SAINT-DENiS

Un jour, après avoir longtemps courbé le front, Le peuple se leva pour venger son affront.

17

Comment, dans ce conflit de forces inégalée, Armés de vieux mousquets chargés avec dee balles Qu'ils fondaient de leurs mains sous le feu des Anglais, On les vit tout un jour riposter aux boulets, Et puis, finalement, remporter la victoire. . . On croit rêver devant cette page d'histoire.

254

Un de mes vieux amis me l'a conté cent fois.

Et, quand il relatait ces choses-là, sa voix Tremblait toujours un peu, car c'était de son père, Un des seuls et derniers survivants de l'affaire, Qu'il tenait les détails du drame ensanglanté, Oii sou grand-père était mort pour la liberté.

Ils n'étaient pas en tout quatre cents. Dèts la veille, Ils s'étaient confessés; et l'esprit s'émerveille A songer que ces gens, sans chefs, mal équipés, Fiers revendicateurs de leurs droits usurpés, Dans leur révolte sainte et leur coui-age austère, Osaient braver ainsi la puissante Angleterre.

Mais la force et l'audace au nombre suppléant, La lutte fut épique et le combat géant. Aux é(dats du canon, sous les balles sifflantes, Sous le toit effondré des masures croulantes.

255

Dans le« folles clameurs et les trom:bes de fer,

Le village assiégé grondait comme un enfer.

Par moments, on pouvait, à travers la fumée,

Voir tout un régiment, et presque un corps d'armée,

Dans un cercle de feu, s'avancer pas à pas,

Cherchant des ennemis qu'on n'apercevait pas.

Les lourds affûts, traînés à grand bruit de ferrailles, Disloquaient, çà et là, charpentes et murailles; Aux vitres, sur les toits, partout le plomb strident Crépitait, ricochait, grêlait; et cependant C'étaient eux, les soldats chose incompréhenfsible Qui pour un tir fatal semblaient servir de cible. Et, criblés, ne sachant à quels saints se vouer, Voyaient leurs masses fondre et leurs rangs se trouer.

Ils avaient cru n'avoir qu'à cerner un village Avant d'y promener la torche et le pillage; Et voilà que battus, décimés, écharpés. Ce sont eux qui se voient partout enveloppés!

256

Et comment repousser ces attaques étranges?

Au coin des murs, au seuil des maisons et des granges,

Dans le creux des fossés, aux pentes d'un guérêt.

son costume gris s'efface et disparaît,

Partout, la crosse en joue, un insurgé se dresse

Et les fusille avec une incroyable adresse.

pointer les canons? fondre? se porter?

Dans ce dédale affreux comment s'orienter?. . .

Là, qui s'arrête tombe; ici, feu sur qui bouge!

Mort à tout ce qui porte un uniforme rouge!. . .

Cela faisait un sombre et farouche tableau.

Le commandant, un vieux soldat de Waterloo^ Pâle, et voyant déjà, sans être un grand prophète, Venir l'humiliante et fatale défaite. Devant cet ennemi qui glisse dans ses mains, Aux premiers rangs s'épuise en efforts surhumains. Il comprend que pour lui l'échec serait la honte; Et, courant au-devant de la mort qu'il affronte, Il cherche en vain, par des appels exaspérés, A rallier un peu ses soldats effarés. . .

257

Impossible !. , . Et. bientôt, tout le long de la route, On vit s'euftiir au loin les Anglais en déroute. Armes, munitions, vivres, fourgonis chargés Tombaient du même coup aux mains des insurgés. Les opprimés avaient remporté la victoire. Et Tun des plus brillants feuillets de notre histoire Porte aujourd'hui le nom vainqueur de Saint-Denis!

Hélas ! beaux horizons trop vite rembrunis ! Deux jours après c'était l'envers de la médaille Saint-Charles perdait tout en perdant la bataille. Tout? non pas! car déjà le coup avait porté: Saint-Denis nous avait conquis la liberté! f"^)

Elle fnt magnanime, liéroïqne et sans tache, Votre légende, ô fiers enfants de Saint-Eustache! Quand le reste pliait; quand, à Saint-Charle en feu, Sacrifiant leur vie en un suprême enjeu, Les hardis défenseurs de notre sainte cause. Martyrs du grand devoir que la patrie impose, Etaient morts aux lueurs de leurs foyers détruits; Quand les plus dévoués au loin s'étaient enfuis. Traqués en malfaiteurs jusques à la frontière, Et que les conquérants, avec leur morgue altière,

2G0

De leuvti cris de ti-ioiiii)li(^ insultaient les vaincus, Vous, au (Sublime appel kFuu nouveau Spartacus, Youliites, réunis en plialange sacrée, Défiant jusqu'au bout la ]uiissance exécrée Des tyrans désormais transforméis en bourreaux, Vaincre en désespérés ou mourir en héros!

Colborne et ises soldats, sinistre et lourd cortèf^e, S'avançaient en traînant leurs fourgons sur la neige. L'invective à la bouche et la torche à la main, Répandant la terreur partout sur leur chemin, Ces preux, pour la ]>lupart recrutés dans les bouges. S'approchaient, et de loin les uniformes rouges Semblaient, mouvants replis, au front des coteaux blancs. Comme un serpent énorme aux longs anneaux sanglants. Ces reîtres sont joycMix; déjà leur creur savoure Le plaisir qu'a le nombre à vaincre la bravoure.

En revanche, le ciel est triste et nuag'eux. Ce matin-là, le jour, à l'horizon neigeux.

261

Tardif, n'avait jeté qu'une lueur blafarde.

Chénier toute la nuit avait monté la garde,

Et puis, n'attendant plus que le fatal moment,

Longtemps, les yeux fixés au pâle firmament,

Tout rêveur, il se tint debout à sa fenêtre.

Pleurez-vou«? fit quelqu'un. Il répondit: Peut-être!

J'aurais, ajouta-t-il sans trouble dans la voix,

Voulu voir le soleil pour la dernière fois. (^^)

A midi le canon tonna. Silence morne,

Nul bruit ne répondit au salut de Colborne.

Pour combattre avec chance, équipés à demi.

Il valait mieux laisser s'approcher Tennemi.

Les insurgés s'étaient retranchés dans l'église;

Cent hommes tout au plus, groupe que paralyse

Le manque de fusils et de munitions.

Qu'importe ! dans leurs rangs nulles défections !

Armés ou désarmés, du premier au centième,

Tous sont prêts à mourir, et combattront quand même.

262

C'est bien, leur dit Chénier un éclair aux sourcils,

Les mourants céderont aux autret< leurs fusils:

Nous en aurons bientôt assez pour tout le monde! (^^)

Cependant au dehors la canonnade gronde;

Le bourg- est envahi, tou« les chemins bloqués;

Les affûts destructeurs sur l'église braqués,

Faisant sauter les ais, déchirant les murailles.

Lancent la foudre avec des paquets de mitrailles;

Derrière un bataillon, un bataillon surgit.

Mêlant sa fusillade au canon qui mugit;

L'église n'est bientôt qu'une vaste masure.

Mais, du haut des clochers et de chaque embrasure,

Les hardis assiégés ripostent fièrement.

Repoussant chaque assaut par un redoublement

D'efforts et de sang-froid, d'adresse et de courage,

Chénier se multiplie et tient tête à l'orage.

Sanglant, éehevelé, noir de poudre, on le voit

Grandir en même temps que le danger s'accroît;

Un officier anglais le somme de se rendre:

Le héros souriant lui répond: Viens me prendre!

263

Et rétend raide mort d'un coup de pistolet.

Mais, presque au même instant, un énorme boulet

Fait voler en écdats la orand'porte de chêne.

Alors dee assiégeants la borde se déchaîne.

On envahit Tégliéie armé jusques aux dents,

Et l'assaut du dehors recommence au dedans.

Hourra! criait Chénier; hardi! sut< aux despotesl

Montrons-leur ce que c'est que des francs patriotes!.

Et des jubés croulants, du haut des escaliers,

A l'abri de l'autel, derrière les piliers,

De partout corps à corps s'engagea la mêlée.

La lutte fut sauvage, implacable, affolée.

Nul temps de recharger les armes, à ce point

Qu'on se prend aux cheveux, qu'on se frappe du poing.

Ils sont deux mille au moins contre cent, mais n'importe!

On se tue au balustre, on s'écrase à la porte;

La masse ondule; on va, poussant et repoussant,

Pou de rage, assoiffé de carnage et de sang. . .

Enfin l'Anglais recule, et Colborné en furie

264

Est forcé de plier devant Ohénier qui crie:

Victoire, mes enfants! victoire, grâce h. Dieu

Un cri désespéré lui répondit : Au feu ! Ces forts, voyant contre eux tourner la tragédie, Avaient à leur secours appelé l'incendie. Ou promenait la torche, et régiise brûlait: L'espoir, l'espoir dernier des héros s'envolait. Il ne leur restait plus qu'à succomber en braves. Du portail à l'abside et des clochers aux caves, Les flammes faisaient rage. Alors l'œil ébloui Vit se dérouler un spectacle inouï.

Pendant que du brasier les spirales rampantes Sapaient les murs noircis et rongeaient les charpentes Et que, dans les horreurs d'un vaste embrasement, L'édifice flambait, de moment en moment, Du haut de la bâtisse à demi consumée, Aux lueurs des éclairs, perdu dans la fumée,

265

Dans les crépitements et le» conps de fusils, Aux clameurs des Anglais d'épouvante saisis, Ensangianté, farouche, au bord d'une fenêtre, On voyait tout à coup comme un spectre apparaître, Et lancer aux vainqueurs, dont «a haine fait fi, Un dernier coup de feu dans un dernier défi!

II en périt beaucoup dans les flammes. Le reste Des vaincus dut subir un sort non moins funeste. Sitôt que, poursuivi par le feu qui le mord. Quelque insurgé tentait de s'échapper: A mort! Il tombait fusillé par une balle anglaise. Ohénier, dernier de tous, sortit de la fournaise.

La scène ne dura que deux minutes, mais

Ceux qui purent la voir ne l'oublieront jamais.

Le héros, en sautant du haut d'une croisée.

S'affaissa sur le sol une jambe brisée.

Ce n'est rien! sous le plomb qui grêle à bout portant,

Chénier sur un genou se relève un instant;

200

Il ee dresse, avenolé de sang, l'habit sordide, Défiguré, hagard, effroyable, splendide; Et, pour suprême imsulte à la fatalité, Le fier mourant cria : Vive la liberté !

Puis dauvS le tourbillon, la poudre, le vacarme, Par un dernier effort il déchargea son arme. Un nouvel ennemi tomba, mais ce fut tout: Colborne et ses soudards étaient vainqueurs partout! Ce qui suivit eût fait rougir des cannibales.

On traîna de Chénier le corps criblé de balles;

Un hideux charcutier l'ouvrit tout palpitant;

Et par les carrefours, ivres, repus, chantant,

Ces fiers triomphateurs, guerriers des temps épiquee,

Promenèrent sanglant son cœur au bout des piques. ,

Puis la torche partout! les braves en avant!

:207

On brûla les maisons, on brnla le couvent;

Si quelque humble demenre échappait mi-détrnite,

C'est que l'on pourchassait quelques femmes en fuite.

De quartier nulle part, nulle compassion;

Partout pillage, vol et dévastation!

Les vieux citent encor des traits épouvantables:

On sabrait (]nnt< les lits, on sabrait sous les tables;

Tuer des prisonniers, éventrer des mourants,

C'étaient nobles exploits. Un enfant de quatre ans

Est tout étonné qui regarde et qui flâne;

Un des braves l'ajuste et lui brise le crâne. . .

Ce brave eut un procès, mais il fut acquitté,

N'ayant au fond puni qu'un petit révolté! (■'°)

Enfin, le lendemain, ces nobles Alexandres Laissaient par derrière eux trois villages en cendres! C'est à ces durs prix-là sombre nécessité! Que tout peuple naissant t'achète, ô Liberté!

Ils étaient innocents! oni, mais il fallait bien Qn'on n'eût pas ériyéce tribnnal ponr rien. D'ailleurs, c'est entendu, quand riiomme s'émancipe, On doit toujours sévir pour sauver le principe. Redresser les griefs, reconnaître son tort, C'est très bien; mais il faut des exemples d'abord!

Parmi les prisonniers d'élite on en prit douze; Certes, le choix fut fait par une main jalouse;

18

—270

Et, tandis que le reiste à quoi bon tant trier? Allait languir là-bas sous un ciel meurtrier, Les juges oh! de vrais modèles de droiture Dirent à récliafaud : Toi, voici ta pâture !

Et ces juges, choyés, approuvés, applaudis, Qui peut-être eussent eu pour de réels bandits Dans leurs coeurs de torys plus de miséricorde, Osèrent d'une main ferme passer la corde Au cou de citoyens dont le crime devait, Comme dans le passé celui de Du Calvet, Confondant des bourreaux l'éternel égoïsme, Dans la bouche de tous s'appeler héroïsme!

Oh! cet échafaud-Ià, malgré son nom brutal,

Ne fut pas un gibet, ce fut un piédestal!

L'injustice des lois en fut seule flétrie.

Et, tandis que, plus tard, on verra la Patrie

Oh! l'avenir toujours donne à chacun son rang

271

Venir aux yeux de tous s'incliner en pleurant Devant ces champions d'une cause sacrée, Cherchez qui défendra la mémoire exécrée De ces juges sans cœur dont l'orgueil crut pouvoir Flétrir en meurtriers ces martyrs du devoir! (^)

4

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10

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Il avait vingt-trois ans, une taille atMétique, Un grand front sillonné d'un éclair poétique. Son esprit et «on cœur, rarement en défaut, Plaisaient à tous. Lorsqu'il monta sur l'échafaud, Ses frères d'infortune et ses compagnons d'armes Tombèrent à genoux et fondirent en larmee. Lui leur fit ses adieux, souriant à demi; Puis il dit au bourreau : Je suis prêt, mon ami !

27-i

C'était un noble enfant de la mère patrie; Un enfant doux et bon. Un jour, l'âme meurtrie Par un de ces chagrins qui brisent les plus forts, Vaincu, désespéré, lutteur à bout d'efforts, Ne pouvant arracher l'épine ensanglantée Qu'en son cœur une main cruelle avait plantée, Il avait essayé, pour tromper son ennui, De mettre la distance entre sa peine et lui.

Et le nouveau R-ené partit pour l'Amérique.

C'était juste au moment de la lutte homérique

Que nos pères, courbés sous un joug écrasant,

Transformant en épieu la faux du paysan.

Avaient, sous les regards de l'Europe surprise.

Pour défendre leurs droits vaillamment entreprise.

Le jeune homme entendit ce cri de liberté

Jusqu'au port de New-York par la brise porté.

Quoi, des Français, armés contre la tyrannie,

Avec le désespoir d'un peuple à l'agonie,

A tous demanderaient vainement du secours!

Point de retard! pour lui les moments sont trop courts;

275

11 arrive; et, recrue à la hâte enrôlée, L'arme au poing, il se jette au fort de la mêlée!

C'était près d'Odeltown, oii, partout débordés, Les insurgés tentaient un dernier coup de dés. Il fut un dee géants de la lutte infernale, L>Iais, blessé, quand survint la déruute tiuale, Dans la fuite oublia de chercher son salut. Hélas! son dévoûment touchant ne lui valut Qu'une tombe parmi nos martyrs patriotes.

Victimeis des sabreurs et des Iscariotes. Les armes à la main et de sang encor chauds. Les vaincus furent pris et jetés aux cachots. Et bientôt, sur son front livré sans résistance, L'enfant sentit peser la suprême sentence. . . Quand on le vit, ainsi que sur un piédestal. Se dresser, calme et fier, sur le tréteau fatal:

Grâce î fit une voix qui partit de la foule.

Grâce? non pas! dit-il; il faut que mon sang coule.

276

Frères, dans Ta venir ce jour sera compté: C'est dans le sano- toujours que naît la Liberté! Et, comme pour narguer la populace aui^laise, Le martyr entonna gaîment la Marsfillnise. Le chant, au mot P<itrie, à sa lèvre expira. Tu mourus, Hindelan"", mais l'histoire dira Que l'avenir n'a pas trompé ton espérance; Et, s'il fallait du sang- le plus noble de France Pour arroser le sol oii nos droits ont grandi, Lorsque ton fier cadavre îi peine refroidi Fut étendu devant la foule agenouillée, Dors en paix, ITindelangl la dette était pay

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PATRIOTia

^^f^'^'

Moi, me« enfants, j'étais un " patriote ", un vrai !

Je n'en disconviens pas; et, tant que je vivrai,

On ne me verra point m'en vanter à conffesse, . .

Je sais bien qu'aujourd'hui maint des nôtres professe

De trouver insensé ce que nous fîmes là.

Point d'armes, point de cliefs, c'est ceci, c'est cela;

On jDrétend que c'était faire d'un mal un pire

Que de se révolter. Tout ça, c'est bon à dire.

Lorsque la chose est faite et qu'on sait ce qu'on sait !

278

Ces sages-là, je puis vous dire ce que c'est; Ça me connaît, allez ; c'est nn vieux qui vous parle, Nous en avions ailleurs, mais surtout à Saint-Charle. Ah ! la sagesse même ! et pleins de bons conseils. Si tous les Canadiens eussent été pareils, On en aurait moins vu debout qu'à quatre pattes. Nous les nommions torys, chouayens, bureaucrates ; Avec bien d'autres noms peu propres, je l'admets.

Ces gens-là, voyez-vous, cela ne meurt jamais; Et si, ce dont je doute, ils ont une âme à rendre, Le bon Dieu n'a pas l'air bien pressé de la prendre. D'ailleurs il en revient; ou en voit tous les jours. Aussitôt les loups pris, ils connaissent les tours ; Moisson faite, ils sont pour gruger la récolte. J'en ai connu qui nous poussaient à la révolte, Et qui, le lendemain de nos premiers malheurs, Nous traitaient de brigands, d'assassins, de volenrs, Ou qui criaient:^. Je vous l'avais bien dit ! Ah! dame, On aurait pu bourrer la nef de Notre-Dame,

279

Après l'affaire, avec ces beaux prophètes-là!

Il en poussait partout, en veux-tu en voilà !

Qu'on me montre un pouvoir qui frappe ou qui musèle,

Je vous en fournirai de ces faiseurs de zèle!

Et puis n'avions-noue pas les souples, les rampants,

Les délateurs paj'és, les mouckards, les serpents?

Ces Judas d'autrefois, je les i*etrouve encore.

Tout ce qui les anime et ce qui les dévore.

C'est le bas intérêt, l'instinct matériel.

Ils pullulaient autour du gibet de Riel;

Les noms seuls sont changés. Quand le cruel Colborne

Incendiait nos bourg"s, leur joie était sams borne.

Ils disaient, en voyant se dresser l'échafaud,

Alors comme aujourd'hui: C'est très bien, il le faut!

On doit défendre l'ordre et venger la morale!

Et puis, dame, il faut voir la mine doctorale

Qu'ils prennent pour vous dire un tas d'absurdités

De cette force-là. Pour eux, les lâchetés

Ne comptent pas; allez, je les ai vus à l'œuvre;

280

Il en est qui rendraient des points à la couleuvre Pour flaire eu serpentant leur tortueux chemin. Et puis, messieurs vous font passer à l'examen! Quand on ne peut comme eux se faire à tous les rôles, On n'est que des cerveaux brûl(^s. ou bien des drôles. . Charmant d'avoir affaire à de pareils grands cœurs!

Mais laissons de côté rancunes et rancoeurs. Je voulais, mes enfants, tout bonnement vous dire Que j'étais patriote alors, et pas pour rire! J'en ai vu la Bermude, un pays, en passant. Sans pareil pour qui veut faire du mauvais sang; Un pays bien choisi pour abrutir un homme; Eh bien, mes compagnons pourront vous dire comme J'ai toujours été fier, en mes plus durs instants, D'avoir été comme eux l'un des fous de mon temps! Je me moque du reste. Et puis, voyons, que diantre ! Si nous étions restés, comme on dit, à plat ventre, Ainsi que j'en connais, courbés sous le mépris De ceux qui nous voulaient asservir à tout prix ;

281

Si nous eussions subi la politique adroite

Dont on clierche à leurrer les peuples qu'on exploite;

Que dis-je? non contents du titre de sujets,

Si nous avions servi les perfides projets

De ceux qui nous voulaient donner celui d'esclaves,

Dites-moi donc un peu, que serions-nous, mes braves?

Quand furent épuisés tous les autres moyens,

Nous avons dit un jour: Aux armes, citoyens!. . .

Xous n'avions pas, c'est vrai, de très grandes ressources!

Nous avions même un peu le diable dans nos bourses;

Il fallait être enfin joliment aux abois,

Avec de ^ieux fusils et des canons de bois (^^)

Pour déclarer ainsi la guerre à l'Angleterre;

Mais des hommes de cœur ne pouvaient plus se taire.

Plutôt que sous le joug plier sans coup férir,

Nous avons tous jugé qu'il valait mieux mourir.

Le premier résultat fut terrible sans doute;

282

Bien du sang généreux fut versé sur la route; Sur les foyers détruits, bien des yeux ont pleuré; Mais, malgré nos revers, peuple régénéré. Nous avons su montrer que l'heure en soit bénie! Ce que peut un vaincu contre la tyrannie.

Au reste, l'on a vu le parlement anglais

Qui ne vient pas souvent pleui^r dans nos gilets,

Et qu'on accuse peu de choyer ses victimes

Déclarer par le fait nos griefs légitimes.

Les droits qu'on réclamait, il les reconnut tous!

Et l'on nous traite encor de dr(Mes et de fous!. . .

Mais l'insensé qui blâme avec tant d'assurance.

Si l'on ne lui fait plus crime d'aimer la France,

S'il n'a plus sous le joug à passer en tremblant,

S'il possède le sol, s'il mange du pain blanc.

S'il peut seul, à son gré, taxer son patrimoine,

S'il vend à qui lui plaît son orge ou son avoine.

Si des torts d'autrefois il a bien vu la fin,

S'il peut parler sa langue, et s'il est libi-e enfin.

283

Il aura beau hausser encor pins les épaules, Il le devra toujours à ces fous, à ces drôles!

Oui, mefi enfants, j'étais un patriote, un vrai; Et jusques à la mort, je m'en applaudirai!

Tandiis qu'un roi sans foeur les nuii\-liiindait là-bas, Xos ancêtres avaient, sou« le feu des combats, lOonservant jusqu'au bout l'espérance dernière, En chevaliers «ans peur tenu haut leur bannière.

Peuple vingt fois trahi, vendu, sacrifié, 'Pour défendre le sol qui leur fut confié. Et plutôt que de voir leur patrie asservie, ■Ils avaient tout donné, leur fortune et leur vie. Ne réservant pour eux qu'une chose: l'honneur 1

19

286

l'eiidaiit <iii'aiix Trianons im prince ricaneur Accneillait, eonteniptenr d'nne épopée antique, Le récit de leurs maux d'un sarcaisme sceptique, Aux excès effrontés des lupanars royaux, Nos pèreis, opposant leurs dévoûments loyaux, Aux yeux de Tunivers avaient, dans viniit batailles, Racheté de leur sang les hontets de Versailles! Ils en furent payés par l'exil et l'oubli.

Dans les émotions d'un grand pas accompli

!Sur les âpres chemins d'une autre destinée,

•Tout entière à la gloire, et sans cesse entraînée

iSur les pas du giierrier fatal qui, sans repos,

Aux quatre coins du monde arborait ses drapeaux,

!La grande nation oublia la poignée

De braves, par la faim et le glaive épargnée,

(^ui, tidèle (juand même, aux bords du ^aint-Laurent,

Sous un eceptre étranger la nommait en pleurant.

Le temps passe. Au delà de cent ans s'écoulèrent. Sous de nouveaux guidons les peuples s'enrôlèrent;

287

Mais bien que sous un joug intlexible peuclié Nul peuple sous le ciel n'a vaillamment marché Comme ce groupe fier d'abandonnés; la fibre Du cœur resta chez eux indépendante et libre.

Sous uu autre drapeau, sous un autre pouvoir,

Ils durent, il est vrai, se plier au devoir;

Mais devenus loyaux sujets de l'Angleterre,

En eux la voix du sang ne sut jamais se taire.

Ils respectent les plis qui flottent sur leurs tours;

Mais toujours et partout chers et touchants retours!

ILe plus humble d'entre eux, au seul nom de la France,

iSent encor poindre en lui quelque vague espérance!

A ce sujet, voici ce que nous racontait

Notre vieux professeur de droit romain. C'était

Un modeste savant, parisien de race.

Qui commentait le code et récitait Horace

Par cœur. Un pur hasard l'avait jeté chez nous.

Il avait conservé son accent et ses goûts.

288

Il oi-aisscvail ; et puis, (oiis les matins, à l'IuMire On s"(»n\i-('nt les niai'clM's, il (|nillail sa dcnHMii'v K{, (IN'm'Iiojiih' cm (''cIioijih' et (i'(''tal <'n ('(al, Ainsi (prnn bon boni-^coiis de son |»a.vs natal, M s'en allait Ini-inônic acheter ses (l(Mn'(''es. Il ainiail la rnnieni'des l'on les affairées; lîonlioinine (s'il en fnt, ma relia iidant et causant, Il (s'ai'i'êtait pai-fois ani)i'ès <ln paysan, l']t s'informait dn prix dcis bh'S, de son nn-nage; Il lui paîdait moissons, besl ianx, jardinaii^'. . . <Miacnn le connaissait, et (diacnn ('contait (V jiai'Ienr dont raccent surtout bvs d('rontait.

Un jour, une Ncndense, accoi'te et bonne \ieill(', Ijatinelleà ses ditscours pi-("'tait souxcnt Toi-eille, l/in( ei-|iella disant: Monsieni*, nous jasez bien Sans doute, et cependant j)as en vi"ii Canadien; Tas en Anglais non pluis, faut pas dire (;a, dame!

Moi, fait le pc'i'e Aubi'v, je suis fi'an(;ais. Madame.

289

Français? eli beii, pardi, c'est dans nos environs;

Ponr être canadiens on n'est pas des Hnrons.

On est tons des Français, nons anssi, qne je pense !

Je Yons comprends, mais moi je snis français de France.

Français de France? Et nons, de (]nel pays est-on? Sommes-nous par hasard des Français de Boston?

Il n'est pas de Français sans France, que je sache!

Le bon vieux professeur riait dans sa moustache. Pardonnez-moi, dit-il, vous ne saisissez pas; Vous êtes née ici; moi je suis là-bas. . .

là-bas! c'était presque du fantastique. La marchande, à ces mots, laisse sa boutique. Et, tandis que son (jeil commence à se troubler, S'avance, et d'une voix que l'émoi fait trembler:

290

Vous êtes là-bas, vous! dit la femme en transe; Yons êtes là-bas!. . . dans notre vieille France? ^^)us en venez? Mais oni, dit notre humble savant, Pour V0U8 servir. Bonjour, Madame!

Mais avant (iu'il eût tourné le dos pour reprendre sa route, La marchande, hésitant comme quelqu'un qui doute, Le saisit par la main, et, furtive, guettant Si quelque Anglais surtout n'est pas qui l'entend, Pendant que son regard aux alentours surveille, S'approche du bonhomme, et lui glisse à l'oreille Ces mots dits d'un accent qu'on ne peut définir:

Dites-moi donc, à moi, là. . . vont-ils revenir?

Et, comme il achevait de conter cette histoire,

391

Daus sou émotion brusquant son auditoire, Le bon vieux professeur, faisant un demi-tour, S'en allait urommelaut:

Gueuse de Pompadour ! (^^)

Je ne sniis pas très vieux; pourtant j'ai souvenance Du jour notre fleuve, après un siècle entier, Pour la première fois vit un vaisseau de France Mirer dans nos flots clairs son étendard altier.

Ce jour-là, de nos bords bonheur trop éphémère Montait un cri de joie immense et triomphant: C'était l'enfant perdu qui retrouvait sa mère; C'était la mère en pleurs embrassant É*on enfant!

294:

La France nous avait laissés jj^randir loin d'elle, Nous léguant son nom seul avec »on son venir; Et le panvre orphelin, à tons les denx fidèle. N'avait su, dans «on eœnr, qn'absondre et qne bénir.

Il avait tout ganlé, ses antiques franchises, Et son culte et ^;a langue, et peuple adolescent ]Montrait avec orgueil ses libertés conquises, A côté de ses droits scellés avec sou sana".

Ce beau jour fut pour nous presque une délivrance ; L'embrassement fut long; on pleurait à genoux; Car, si nous étions fiers de notre belle France, Notre France, elle aussi, pouvait l'être de nous!

Saintes émotions! (juand villes et banlieues Illuminaient leurs tours, pavoisaient leurs maisons. Au loin, sur un rayon de plus de trente lieues. On vovait accourir, de tous les horizons,

295

Des vieillards, des enfauts et des femmes timides, Qui, sac au dos, à pied 6<nr les chemins riioueux, Venaient, en essuyant leurs paupières humides. Revoir flotter au vent le drapeau dea aïeux.

Nos poètes chantaient la France revenue; Et le père, à Tentant qu'étonnait tout cela, Disait : Ce ])avill()n (]ni brille dans la nue, Incline-toi, mon flls! c'est à nous celui-là!

Et, lorsque la frégate avec la forteresse Echangeaient des saints de leurs tonnantes voix. Tous ces cœurs délirants tressaillaient d'allégresse En croyant retrouver les échos d'autrefois.

Oh! c'est que ce vaisseau, c'était la France même. Aigle immense un instant repliant son essor. Qui revenait à nous, disant: J'aime qui m'aime; Vous êteis mes enfants, et je voucs aime encorl

29n

Elle nous Ta prouvé; ni la ('(ipricicKsc Ni ses nobles marins n'ont revu ncns clochers; Mais la France, depuis, fut pour nous soucieutse, Et son cœur et sa main noius ont toujours cherchés.

Et noue, quand elle allait, au fronton de l'histoire. Inscrire avec son sang- quelque é(datant succèt^, Nous sonnions triomphants nos clairons de victoire, Car c'étaient nots soldats que les soldats français.

Et puis, quand le malluMir vint fondre sur ses armes, Quand le noble vaisseau somlira sur un écueil, La France plus que nous n'a pas versé de larmes; La France mieux que nous n'a point porté le deuil!

Salut donc à vous tous, ô Français, ô nos frères! Nous vous serrons la main avec un doux émoi. Nos rivf^ ne sont plus à la France étranf>;ères; Et (jui vient de chez elle est parmi nous chez soi! (■**)

VIVE

FRANCE

C'était après lecs jours .sombres de (Ti-avelotte: La France agonisait. Razaine Ist-ariote, Foulant aux jiit^ds hoiineui- et jintrie et iSernients, Venait de livrer .Mntz anx reîtres alleniamls. Comme un troupeau de loups sorti des steppes russes, Une armée, on iilntôr des hordes de Borusses, Féroces, l'œil en feu. sabro aux dents, viuur contre un. Après mille razzia de Strasbonr*;- à \'e]-duii. Incendiant levs bourgs, saccageant les villages, Ivres de vin, de sang, de haine et de pillages.

298

Et ne laissant partout que carnage et débris, Xonveaii tléan de Dieu, s'avançaient sur Paris.

V(ds, attentats sans nom, horribles hécatombes, Kien ne rassasiait ces noirs semeurs de tombes. La province, à demi morte et saignée à blanc, Se tordait et râlait sous leur talon sanglant. Seule! et voulant donner un exemple à l'histoire, Paris, ce boulevard de dix siècles de gloire, Orgueil et désespoir des rois et des césars. Foyer d(^ la science et temple des beaux-arts, Folle comme Babel, sainte comme Solyme, En un jour transformée en guerrière sublime. Le front haut, Tarme au bras, narguant la trahison. Par-dessus ses vieux forts regardait l'horizon!

Au loin le monde ému frissonnait dans l'attente: Qu'allait-il arriver ? L'Europe haletante

299

Jetait, soir er marin. f>ni- nos bords atterré; Ses biilletiiif^ (le plus en ]^]us <lései<pérés. . . On bombardait ParisI

Or, taudis que la France, Jouant sur uu seul sa dernière espérance, Se' roidisfîait ainsi contre le sort métdianr. Tu poème naïf, ibmloureux et toucduint S'écrivait en ison nom sur un autre hémisphère. Tandis que d'un œil sec d'autres regardaient faire, D'autres ])onr (pii la Fi'anc<', ange compatissant, Avait donné cent fois le meilleur de son sang. Par delà rAtlanti(jue, aux champs du nouveau monde Que le bleu Saint-Laurent arrose de 8on onde, Des flls de l'Armorique et <lu vieux sol normand. Des Français, qu'un roi vil avait vendus gaîment. Une humble nation qu'encore à peine née, Sa mère avait un jour, hélas! abandonnée, Vers celle que chacun reniait à son tour Tendit les bras avec un indidlde auK.ur!

300

La voix du sang parla; la sainte idolâtrie,

Que dans tout noble cœur Dieu met pour la patrie,

t?e réveilla chez tout-^; dans chacun des logis,

Un flot de pleurs briilant« coula des yeux rougis;

Et, parmi les sanglots d'une douleur immense,

Un million de voix cria : Vive la France !

Sous les murs de Québec, la ville aux vieilles tours, Dans le creux du vallon que baignent les détours Du sinueux Saint^Charle aux rive^i historiques, lA l'ombre des clochers se groupent vingt fabriques. C'est le faubourg Saint-Roch, vit en travaillant Une race d'élite au cœur fort et vaillant. surtout, ébranlant ces poitrines robustes, trouvent tant d'échos toutes les causes justes, Retentit douloureux ce cri de désespoir: La France va mourir !

Ce fut navrant. Un soir. Un de ces soirs brumeux et sombres de Fautomne

801

la bise aux créneaux cbaute plus uionotoue, De ses donjons, à l'heure les sons familiers De la cloche partout ferment les ateliers, La haute citadelle, avec sa garde anglaise, Entendit tout à coup tonner la Marseillaise, Mêlée au bruit é-itrident du fifre et du tambour. . . Les voix montaient au loin: c'était le vieux faubourg Qui, grondant comme un flot que l'ouragan refoule, Gagnait la haute ville, et se ruait en foule Autour du consulat, de la France en pleurs. Drapeau toujours sacré, flottaient les trois couleurs.

Celui qui conduisait la marche, un gars au torse D'Hercule antique, avait, sous sa rustique écorce Comme un lion captif grandi sous les barreaux Je ne sais quel aspect farouche de héros. C'était un forgeron^à la rude encolure. Un fort; et rien qu'à voir sa calme et fière allure. Et son mâle regard et son grand front serein. On sentait battre du cœur sous cet airain.

20

302

Il s'avaiira tout seul vi^rs le fonctionnaire; Et, d'nne voix tranquille ;L:rondait le tonnerre, Dit : Monsieur le consul, on nous ap])renil là-bas Que la France trahie a beisoin de soldats. On ne sait ])as chez nous ce ([uc c'est que la i^uerre; Mais nous soninn^s d'un sanii, qu'on n'intimide Liuère; Et je nie suis laissé dire que nos anciens ()nt NU ce (|ue (•'('■tait que les canons prussiens. Au reste, i)as besoin d'être instruit, que je sacdie, Pour se faire tuer ou brandir une hache; Et c'est la haidic en main (jue nous i>artirons tous; Car la France, ^fonsicur. . . la France, voyez-vous. . , Il se tut; un sanj;lot rt'tic^iiiuait à la j:>orge. Puis, de (Son ])oin«;' In-nni ]f.ir le feu de la forge Se frappant la i»oitrine, (diacun eût ])u voir D'un scapulaire neuf flotter le cordon noir:

Oui, monsieur le coiiisnl, reprit-il, nous ne sommes

(^ue cinq cents aujourd'hui; mais, tonnerre! des hommes?

Nous en aurons, allez!... Prenez toujours cinq cents, Et dix mille demain vous ré])ondront : Présents !

303

La France, nous voulons éi)ouser sa querelle; Et, lier d'aller combattre et de mourir pour elle. J'en jure par le Dieu que j'adore à genoux, On ne trouvera pas de traîtres parmi nous!. . .

Le reste se perdit, car la foule en démence

Trois fois aux (piatre vents cria: Vive la France!

Hélas! pauvres grands cœurs! l^ur instinct filial

Ignorait que le code international,

(^ui pour l'âpre négoce a prévu tant de choses,

Pour les saints dévoûmeuts ne confient pas de claus-^s.

Et le consul, qui m'a conté cela souvent,

En leur disant merci, pleurait comme un enfant. (^"')

Donc tout est consommé. Dans notre lière époque, Quand de tous les côtés s'ébranle et se disloque L'enchevêtrement noir des préjugés boiteux; Quand des anciennes lois les vieux codes honteux, Devant l'éclat vainqueur des lumières modernes, Eteignent un à un leurs fumeuses lanternes; Quand on voit tous les jours se dissoudre sans bruit Quelque étai vermoulu d'un régime détruit; Quand de l'humanité la caravane en marche Voit poindre à l'horizon la colombe de l'arche Apportant dans son bec le rameau fraternel;

306

Quand, secouant partout le joug originel De l'antiqAje union des erreurs et des haines, Les peuples, Tœil tourné vers les aubes lucuhaines, Semblent «e dire enlin, dans un commun accord. Qu'il est un droit plus saint que celui du plus fort; Oui, dans ce siècle tout s'élève et s'émancipe, Chez nous, au plus flagrant mépris de tout principe De clémence, d'amour, de paix et d'équité, A la face du monde et de la liberté. Sur le classique sol de toute indépendance, Pris de férocité, gonflés d'outrecuidance, On a vu des guerriers et des hommes d'Etat, Juges, bourreaux, unis dans un même attentat, Au-dessous d'un gibet (pi'un peuple entier renie. Groupés pour savourer un râle d'agonie!

Et voilà ce qu'on fait (piand on est bax)tisé. Qu'on e«t bon orangiste, et bien civilisé!

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W'^^':à

LE DERNIER MARTYR

Loin de tout ce qui brille et de tout ce qni tente, TTn brave petit peuple avait i)lanté sa tente Au désert, sur les bords de j^randts prés oiboyeux, iPour labourer le sol chassaient ses aïeux. (^") Bons, paisibles, naïfs, ne lisant (prau ^rand livre De Dieu, ne demandant rien que le droit de vivre Et mourir à l'abri de toute agTession, Ils travaillaient avec la seule ambition De lé.guer à leurs fils le petit coin de terre Qu'ils arrosaient de leurs sueurs de prolétaire...

—308

La persécution lets attaqua chez eux,

Et, sang même invoqner de prétextes oiseux,

Sur leurs biens, au soleil qui luit pour tout le monde,

S'en vint effrontément poser sa patte immonde.

Alors ces paysans, sans fusils, sans canons. Retranchés sous les bois et dans leurs cabanons, Défendant corps à corps leur franchise usurpée. Furent tout simplement des. géants d'épopée. Ils vainquirent d'abord, mais on les écrasa. Contre ces quatre-vingts rebelles on osa Deux héros ont depuis, sans morgue et sans faiblesse, Reçu pour cet exploit des lettres de noblesse Risquer, durant trois jours de combats imprudents, Cuui mille hommes de troupe armés jusques aux dents.

Mais on avait la ruse. . . et des parlementaires!. . Confiant dans riionneui' et la foi militaires, Le chef, pour protéger les femmes, les enfants, ■Se livra de lui-même aux vainqueurs triomphante.

309

Lee fatigiies, la faim, les anxiétés sombres

Avaient sur sa pensée, hélas! jeté leurs ombres.

Les épreiivee l'avaient vaincu; la trahison

Dans son âme acheva de tuer la raison.

Sa vue eût attendri des loups ; mais l'Orangisme

Fut-il jamais suspect de sentimentalisme?

On fut clément pourtant: Riel, à son pied nu,

Ne dut traîner qu'un seul boulet. Du reste, on eut

La générosité d'épargner la torture;

On ne lui disloqua ni muscle ni jointure;

Nuls brodequins, nuls fers rougis, nul chevalet !

Rien qu'une chaîne avec un tout petit boulet!

Puis, vite un tribunal! vite un jur^- complice! Un juge bien choisi! puis là, dans la coulisse, La lèvre torse et Toeil tout injecté de sang, Le Fanatisme avec son museau grimaçant!

Mais cet homme n'a fait que défendre ses frères Et leurs fovers. A mort!

310

Mille actes arbitraires Ont fait un drapeau saint de son drapeau battu. . .

A mort ! Mais songez-y, cet honiuie eut revêtu Du respect que Ton doit aux prisonniers de guerre: You8 avez avec lui parlementé naguère.

A mort ! Mais tout rayon en lui s"e«t éclipsé ; Allez-vous de sang-froid tuer un insensé? C'est impossible. A mort!

Mais c'est de la démence; Le jury même fait appel à la clémence. . .

A mort ! Mais tout un peuple implore son pardon ; Son supplice peut être un terrible brandon

311

De discordes sans fins et d'iiof^tilités vaines. . .

A mort! à niortl il a du sang franyais anx veines!

Ah! voilà son vrai crime! eh bien, vous avez tort: l^n martyr ne meurt pas! ^A mort! à mort! à mort!. . ,

A mort, soit. ^Fais la mort a des formes nombreuses. Pourquoi ne pas prouver, en âmee généreuses, Par de^ raffinements eneore innsités, Que l'on peut être artiste en fait d'atrocités?

C'est qui fut fait. De semaine en semaine, De sursis en sursis, la justice inhumaine Laissa flotter la corde au cou du condamné. Tuer, c'est peu de chose; un homme assassiné, C'est bientôt fait; i)our mieux jouir de sa souffrance, N'était-il pas charmant de laipîser l'espérance

312

Luire un peu tous les jours au fond du noir cachot? Pour qu'un cœur souffre bien, il faut le tenir chaud; Il faut multiplier les plaisirs que l'on goûte; Une belle agonie est superbe sans doute, Mais trois ou quatre, c'est un spectacle de rois . . .

Lâches buveurs de sang! pieds-plats et fronts étroits! Quand vous assouvissiez cette noble vengeance, Là-bas, près d'un foyer éteint par l'indigence, Qiue n'avez-vous aussi vu cette mère en pleurs. Ecrasée à genoux sous le poids des douleurs ! Cette épouse mourante, et, dans cette humble bière. Cet innocent d'un jour, mûr pour le cimetière! Quelle scène pour vous, magnanimes vainqueurs! Mais vous n'avez pas vu tout ce deuil, ô grands cœurs! Vous n'avez pu goûter le poignant de ce drame; Et la potence seule a réjoui votre âme. . .

Quel dommage !. . . Ce fut un beau jour ; le soleil Au loin s'était levé radieux et vermeil;

313

Des reflets mordorés inondaient la prairie;

L'horizon flamboyait comme un ciel de féerie;

Dans les lointains rosés, le vent des grands déserts

Dormait silencieux dans le calme des airs;

Tout s'était revêtu d'un aspect grandiose;

La nature semblait fêter l'apothéose

D'un héros malheureux, d'un saint et d'un martyr!

Quand la trappe s'ouvrit, le choc dut retentir Avec un bruit lugubre en mainte conscience. Mais nul besoin d'avoir le don de prescience, Pour savoir que, parmi les coupables, beaucoup Subiront de ce choc le fatal contre-coup. Il aura son écho funèbre dans l'histoire. Elle fera subir un interrogatoire

Terrible, à ceux d'abord dont l'orgueil tout-puissant 'Mit sur notre blason cette tache de sang; Puis à ceux-là surtout qui, par instinct servile. Par froide convoitise ou par lâcheté vile. En permettant ce crime ont offert notre front Au stiginate brûlant d'un éternel affront!

314

Ah! nos nobles aïenx endormis sons la pierre

En s'éveillant ont dn refermer lenr panpière,

Quand ils ont vu ih-s tils. ])arjnre6 à lenr nom,

Les laisser sonfUeter sans oser dire non.

Si lenrs rejj;ards ont pn tsuivre ce drame sombre,

Comme lenrs cœurs si tiers ont saigner dans l'ombre!

('(tmme ils ont di'i d'horrenr vous mamlire, liomnii^s fanx,

(^ni ponr leis opprimés dressez des échafauds !

Ah! tremblez! ces grands morts, qne tronble dans lenrs Le sanii <|'ii «"iilc ainsi des diandes hécatombes, [tombes Ont des voix qni sauront remuer les vivantis! (^') Les crimes ont toujours des effets dissolvants; Pourquoi des vieux liriefs ]-(Hivrir l'ère fermée? L'expérience est qui le dit. la fumée Des btichers trop souvent sait propager le feu. Tremblez, vous dont Taudace ose ainsi tenter Dieu! Tremblez, aveugles fous dont la haine et la ratxe Préparent pour nos ti^s un avenir d'orage!

315

Celui dont Je regard gouverne l'univers Avait, dans sa sagesse, à des peuples divers Donné ce sol fécond, en patrimoine libre. L'esprit chrétien devait maintenir l'équilibre Entre tous les enfants de ce commun berceau. Leur paix dure depuis ciniiuanTe ans; l'arbrisseau Est devenu grand arbre, et couvre au loin la ] daine; Malheur à ces serpents dont la néfaste haleine Répand dans ses rameaux les souffles empestés Des haines, des conflits et des rivalités!

Le dernier des martyrs?. . . Non pas; le plus récent!

Les oppresseurs se sont toujours trompés: le sang

Des héros en produit infailliblement d'autres.

Le bon droit n'en est pas à ses premiers apôtres ;

Il n'en est p-us non plus à ses derniers martyrs.

Avant que luise enfin le jour des repentirs,

Avant que le isoleil de jutstice se lève,

Avant que la rancune ait émoussé son glaive,

Le sang bien sûr encor rougira notre sol.

Le bourreau n'a pas dit son dernier mot; un vol

Sinistre de corbeaux sur les têtes tournoie;

21

—318

Vn cadavre, c'est pen pour leur faim, et la proie

(^u'oii vient de leur livrer les met en ai)pétit.

Ecoutez la clameur (pii là-bas retentit,

Ou plutôt cette voix betstiale qui beui;le;

C'est le rugissement du fanatisme aveugle,

Le hurlement du monstre encore inassouvi.

Tant que, isous son pii^l-bot, notre peuple asservi

N'aura pas mis son front et plié son échine;

Tant que uouis n'aurons pas, insensible machine,

Sans luttes, pour pâture à ses instincts étroitis.

Abandonné, joyeux, le dernier de nos droits;

Tant que nous n'aurons pas, à son intolérance,

Sacrifié jusqu'au souvenir de la France;

Tant que notre foi sainte, à l'abri des lacets,

Gardera nos enfants, fiers, libres et français;

Tant que par droit d'aînesse et par droit de conquête.

Notre race, chez soi, marchera haut la tête,

On entendra rugir le dragon. Il lui faut

Notre asservissement, ou sinon. . . l'échafaud! ('*^)

Kegarde, me disait mon père, Ce drapeau vaillamment porté; Il a fait ton pays prospère. Et respecte ta liberté.

C'est le drapean de l'Angleterre; Sans tache, sur le firmament, Presque à tons les points de la terre Il flotte p-lorieusement.

320

Oui, sur un huitième du «>lobe C'est l'étendard officiel; Mais le coin d'azur qu'il dérobe Nulle part n'obscurcit le ciel.

Il brille sur tous les rivages;

11 a semé tous les progrès

Au bout des mers les plus sauvages

Comme aux plus lointaines forêts.

Laissant partout sa fière empreinte, Aux plus féroces nations Il a ])orté la flamme sainte De nos civilisations.

Devant l'esprit humain en marche Mainte fois son pli rayonna, Comme la colombe de l'arche, Ou comme l'éclair du Sina.

321

Longtemps ce glorieux insigne De notre gloire fut jaloux,

Comme s'il se fût cru seul digne

De marcher de pair avec nous.

Avec lui, dans bien des batailles. Sur tous les points de l'univers, Nous avons mesuré nos tailles Avec des résultats divers.

Un jour, notre bannière auguste Devant lui dut se replier; Mais alors s'il nous fut injuste, Il a su le faire oublier.

Et si maintenant son pli vibre A nos remparts jadis gaulois. C'est au moins sur un peuple libre Qui n'a rien perdu de ses droits.

322

Oublions les jours de tempêtes; Et, mon enfant, puisque aujourd'hui Ce drapeau flotte sur nos têtes, Il faut s'incliner devant lui.

Mais, père, pardonnez si j'ose. . N'en e«t-il pas un autre, à nouiS?

Ah! celui-là, c'est autre chose: Il faut le baiser à srenoux!

NOS

(il

/'■'li

TROIS

COULEURS

A MON FILS

Regarde, mon eufant, ce chifïou souverain

Qui mêle avec l'azur du tirmament serein

Dans l'éclat radieux de son pli tricolore,

Aux rougeurs du Couchant les blancheurs de l'aurore!

Ces trois couleurs. dra]»aiit de leurs pures clartés

Trois principes féconds dans un seul reflétés,

C'est, insigne éternel de toute indépendance,

Chapeau bas, mon enfant! le drapeau delà France!

324

Ecoute! ce drapeau n'a ]»as eiicor cent ans;

Et, isnr iinLs batailloms aux paiiaclies Hottants,

Se l'iiaiit noir de pondre an niili(Mi de;< mêlées;

8nr nnl rempart crachant les bonibets par volées;

A nnl niât d'artimon seconant sons les cienx

Le pavillon vainqnenr d'nn penple ambitieux;

Snr la tei-re on les flots, jamais Tâpre rafale,

Non, jamais, même anx jonrs de clameur triomphale

N'a déroulé de plis, aux yeux de l'univcns,

Par des noms immortels plus noblement couverts!

Non, il n'a pas cent ans. (}uand l'humanité sainte, Après avoir vidé plein sa coupe d'abtsinthe Dans le trouble orj;neilleux de «a maternité, Sentit naître en son flanc la vierj>e Liberté, (Comme un aistre porteur de consolants préisages. Il monta radieux à l'horizon des âges.

Les peuples, gouvernés en troupeaux de moutons, Vers le progrès divin s'avançaient à tâtons;

3•.^-)

La France monarchiqTie, un soufflet sur la joue, AvauT vu sa jiraudeur sVerouIer dans la boue, Les bras levée au ciel, attendait en chemin Le solennel moment ilu urand réveil humain.

Le labarum nouveau dissipa les ténèbres.

Le vieux monde frémit jusiiue dans seiS vertèbres.

Ecrasant du talon tous les nids de vautours,

Balayant d'un seul coup la Bastille et ses tours,

Le peuple se leva sombre et vendeur; la France,

Poussant aux quatre vents son cri de délivrance,

Ebranla pour toujours les trônes délabrés

Du retentissement des vieux pouvoirs sombres î

Epouvantés, les rois vont se liguer contre elle. . . Xe crains rien, mon enfant, la France est immortelle! Vois défiler là-bas tous ces joyeux conscrits, Enfants de leur village ou jiamins de Paris, Sans vivres, sans souliei'S, chantant la MarsrilJdise; Ils vont des temps nouveaux proclamer la genèse,

326

Et, sons le drappan neuf, symbole de leurs droits, Fonder la République en bousculant les rois !

Puis commence, géante, incroyable, inouïe.

Se déroulant aux yeux de l'Europe éblouie.

L'héroïque légende l'univers entier

Au sublime haillon dut demander quartier.

Oui, ce haillon troué, mais que la gloire inonde,

A passé, mon enfant, sur le ventre du monde!

Incline-toi devant ses lambeaux vénérés!

Avec tout ton amour baise ses plis sacrés;

Car ce drapeau sans peur, digne des chants d'Homère,

Ce drapeau, mon enfant, c'est celui de ta mère!

Il fut vaincu, c'est vrai; plus tard, la trahison Déshonora son aigle et souilla son blason; Mais lui, sans tache, même au jour de la défaite, Toujours fier, toujours pur, il brille encore au faîte De tout ce que le siècle a produit de plus grand; C'est l'emblème sacré, c'est le témoin flagrant Des conquêtes du droit contre la tyrannie!

327

O drapeau! si jamais un Français te renie,

Que dis-je ? si la France, oubliant tes splendeurs,

Sous un autre guidon clierchait d'autres grandeurs,

Nous, ses enfants lointains, nous l'aimerions encore;

Mais, fidèles à toi, glorieux tricolore.

Nous te clouerions au mât comme un cher souvenir

Que nos vieillards viendraient saluer et bénir,

En tournant leurs regards vers un temps plus prospère.

Et toi, mon fils, toujours français comme ton père,

Quand nous serons partis, ou que nous serons vieux,

Ohl ne laisse jamais le lâche ou l'envieux

Flétrir ce défenseur de toute cause juste.

Et puis, ô mon enfant, si la bannière auguste

Devait cesser de luire au soleil canadien,

Sois son appui suprême et son dernier gardien !

la S t^ tue

de

Voltaire

Ceci, c'eist dom* A'olTaire!

Oui, je recomiais (V " sourire lii;hMix " (jiie Musset flagella. Le bronze «^raiulit riioiimit^ et hii (loiiiie du torse; Mais c'est bi.Mi tonjonrs la même lèvre torse, Qui, de miel ixiur les rois ô rictus exécré! Soixante ans insulta tout ce qui fut sacré, Et dont, ô mon pays, sur ta sainte blessure, Vint rejaillir un jour la lâche éclaboussure.

330

Donc te yoilà, Voltaire! eh bien, lève un instant

La membrane qui bat sur cet œil clignotant;

Dresse la tête, et puis laisse tomber le tome

Que tu tiens à la main. Bien! maintenant, grand homme,

De ta bouche détends un peu les plis amers,

Et regarde là-bas, au bout des vastes mers!

Vois-tu ces champs sans nombre les moissons abondent?

Ce fleuve sillonné par des flottes que boudent

Les richesses des deux hémisphères? Vois-tu

Ce progrès qui, sortant de tout sentier battu,

Loin du pâle émeutier comme des cours serviles,

Défriche la forêt pour y fonder des -^dlles?

Vois-tu ces bourgs nombreux et ces fières cités.

fleurissent en paix toutes les libertés.

D'où les produits <lu sol et celui des usines

S'en vont alimenter Icts nations voisines,

tout un peujde enfin, généreux et vaillant,

(jrrandit, et sait encor prier en travaillant?

'J'ji

Tu vois tout, n'est-ce pas ? Très bien, regarde encore !

Pluis loin! vois ce irdys iniiiieuse que décore

Un ciel fait pour nourrir des poitrines d'airains.

Sol au(]uel il ne faut que des bras et des reiuis

Pour que ses in-t>: sans borne et ses plaiues fécondes

Deviennent à jamais le grenier des deux iiiondesl

Enlin, vois tous ces grands territoires ouverts

Aux avatars futurs d'un nouvel univers,

serpente déjà la route colossale

Qu'avait rêvée un jour Cavelier de La Salle,

Empire qui, baigné par ses trois océans,

Peut embrasser l'Europe enti-e ses bras géants!

Et dis-moi maintenant, de ta voix satanique. Qui crut pouvoir flétrir par sa verve cynique. Dans un libelle atroce, ignoble, révoltant, L'héroïne qtie tout bon Français aime tanti De ta voix qui, mêlant l'ironie à l'astuce. Raillait la France afin de mieux flatter la Prusse,

—332

Et qui savait si bien, ô oaiant troubadour,

En huant Jeanne d-Arc chanter la Poinpadour!

Dics-moi, de cette voix tant de fois sacrilège,

Ce que valaient pourtant quvUptv.s arpent.^ de nci(/e.' C'^)

EPILOGUE

•22

FRANCE

..■^

Quand (l(»s juitiiiiics jolies l'iminanité ee lasse, Quand il est (picliine ])art 1111 peuple à secourir, (^ui donc à riioiizon toycz-vous accourir? A g-enoux, opprimés ! c'e^t la France qui passe

Sans espoir et f<ans Dieu l'enfant <le la forêt Traîne-t-il sa niit<ère à l'autre bout du nion<le. Qui donc va lui verser la lumière féconde? Nations, saluez! cai- la France apparaît!

336

De l'immense avenir resplendissante aurore, Pour vous joindre en faisceaux, peuples de l'univers, Faut-il percer les monts ou rapprocher les mers, Paladin du progrès, la France arrive encore!

Faut-il protéger l'humble, écraser Attila, Kelever qui succombe, abaisser qui s'élève, Vaincre et civiliser par le livre ou le glaive. Vaillant soldat du droit, la France est toujours là!

La France est toujours ! Même au jour des naufrages, Gomme un phare sublime aux rayons éclatants. Elle se dresse au bord des abîmes du temps, De son flambeau superbe illuminant les âges.

La Fxance est toujour-s là. Semeur des jours nouveaux, Elle va prodiguant la divine semence, Laissant par derrière elle une traînée immense D'exeinples immortels et d'immortels travaux.

337

Nobles rives du Rhône, et voue, bords de la Loire, Tolbiac, Marignan, Cérisolee, Rocroy, Denain, Ivry, Coutras, Bouvines, Fontenoy, Dites-nous si le monde a connu plus de gloire!

Et vous, ô Friedland, Ulm, Austerlitz, Eylau, Lodi, Wagram, orgueil du drapeau tricolore. Vous qui, malgré Sedan, éblouissez encore, Dites-nous si l'histoire offre un plus fier tableau ! (^^)

II

France, recueille-toi! France, l'heure est sacrée! L'humanité n'est plus la lourde barque ancrée les marins, croyant leurs labeurs achevés, S'endormaient au soleil ou chantaient aux étoiles: Désormais le vaisseau navigue à pleines voiles Vers les grands horizons rêvés.

;j38

Timorés, faites place! en arrière les lâches!

A'oici pour lew vaillants le jour des fièreis tâchée. Le (lix-neiivième siècle est un vaste tournant Où, pres(pi(' épouvantés des étapes franchies, Les peuples voient, au front des aubes rafraîchies, Poindre l'avenir ravonnant.

Oui, tout droit devant nous l'astre ])romis flamboie; Jus(prau fond du (dienil la r(mtine aboie,, ^'ont luire ses rayons si longtemps attendus. Mais, hélais! face à face avec d'autres problèmes, Que d'hommes vont en cor, groupes mornes et blêmes, S'entre-regarder éfierdus î

Conime jiour transformer il faut souvent dissoudre. Le nouvel avatar aura des coups de foudre. Des chocs iiiatti^ndus; et, spectacle inouï, Peut-être verra-t-on les nations sans nombre, (^ui se heui'taient naguère en trébuchant dans l'ombre, Tâtonner le front ébloui.

oôd

Qm sera le sauveur? (piel bras puissaut et libre, De riiuuieuse baiscule assurant réipiilibre, Saura uiaintenir Tordre en ce fatal milieu? (^uel timonier serein unidiM-a le navire? Quelle main forcera le mondt' «lui chavire A servir les desiseins de Dieu?

O France, c'est à toi iprincombe et' ,i;rand rôle. Ton nom a résonne' de l'un à l'autre pôle; Sous tous les cieux connus tes généreux enfants, Fondant et délivrant par l;i croix ou ré])ée, (rlorieux précuriS(Mirs d'une ère émancipée, Se sont promenés triomidiantis.

Tes hauts faits ont rempli les annales humaines; Des sciences, des arts les ])lus secrets domaines A tes hardis cduM-idieurs n'ont plus rien à celer; Et si. ton cœur palpite, et si ton front remue, Troublée en sou ennui, notre planète émue Croit sentir son axe osciller.

340

Oni, ton passé fut beau; superbe est ton histoire; Bien des siècles verront de ton ancienne ^loire Le socle à Tliorizon dn lilobe se dresser ; Tes fils ont éclipsé tons les héros d'Homère. . . Mais tout cela n'est rien; c'est maintenant, ô mère! Que' ta tâche va commencer.

Tu seras et c'est Dieu lui-même qui t'y pousse La pacificatrice iri-ésistible et douce. Tu prendras par la main la pauvre humanité Trop longtemps asservie à la haine ou la crainte, Et tu la sauveras i)ar la concorde sainte, Par la sainte fraternité!

Aux sentiers belliqueux tu sus battre la marche, France; sois maintenant la colombe de Farche; Porte à tous l'olivier, c'est ta mission; Calme, guéris, cimente, harmonise, illumine; Et ])ar un sceau d'amour scelle l'œuvre divine De la civilisation!

34]

III

Mais poiirras-tii suffire à cette tâche immense, Patrie? Autour de toi les peuples en démence N'entra veront-ili-; pa« ton généreux élan? Là-bas, aux bords du Kbin, le sabre du hulan N'arrêtera-t-il pas ta poussée impuissante Vers la terre promise luit, incandescente, I/aurore du progTès fraternel et fécond? Te verra-t-on faiblir au bord du Kubicon? Pour la première fois verrait-on ô souffrance! - Les mots vainvre on mourir t'intimider^ ô France'

342

Non! quel que soit Tobstacle à franchir ou briser, Ton bruis sait entreprendre et ton (*(enr sait oser.

En avant donc! couraj^e! entre dans la carrière;

Laisse les indéciis regarder en arrière!

Toi, marche sans pâlir tout (Iroit vers le ^rand but.

Pour le bonheur conunun chacun son attribut:

Le tien, c'est d'affermir la nef euro])éenne.

De retrouver l'Eden, de combler la (îéhenne.

De cimenter la paix entre tous les pouvoii-s,

D'équilibrer partout les droits et leis devoirs,

Aux ravoiks du proj^rès d'ouvrir toutes les caves,

D'apprivoiser les loups (pii rôdent les yeux caves,

Et, vers les gTands isommets, dans les pures clartés

Que verse le soleil des saintes libertés,

Sommets l'avenir a taillé son domaine

De dirii!,er enfin la caravane humaine.

Oh! la tâche est bien rude, et ««rave est le danger. Je le isais, tu verras contre toi s'insuroer

343

Avec les rariia.s>sier« leiuis victimes sans nombre, ]^es aveiio-le^ du jours et les liy<lres de l'ombre; Tu vei-ras contre toi combattre au |»remier rang L'esclave armé (jui sert de rempart au tyran.

La lutte sera tro]) inéuale peut-être. Sous l'effort combiné du despote et du reître, Peut-être verras-tu s'éclipser ton .urand nom. Et s'effondrer au ( lioc ta ])uissance. . . Mais non! Tu sauras museler cette meute lia<»arde. Marche sous r<eil de Dieu (pii là-liaut te rej^arde; Yn vers ta <lestinée à n'imi)orte (]uel prix; Subis ta sainte loi: civilise. . . ou péris!

Oui, péris, s'il le faut pardonne à ce mot sombre! Ainsi qu'un urand navire incendié i\m sombre, Ou plutôt comme l'astre immense qui s'éteint, ■Le soir, dans les brasiers de l'horizon lointain, Drapé dans les replis d'une pourpre sanglante. Et qui, loujitemps après que sa masse aveu.nlante S'est engloutie au loin dans les cieux entr'ouverts. De ses ravons mourants dore encor l'univers!

344

Et puis, isi les hiboux disaient: La France est morte! On entendrait là-bas, de leur voix mâle et forte, Xos enfants, relevant le drapeau des grands jours, Crier au monde entier:

La France vit toujours !

FIN

NOTES

NOTES DE LA PRÉSENTE ÉDITION

(1) Cette pièce se trouve en tête de la deriiière édition de VHis- toire du ('anada par François-Xavier (jarnean, et est accompagnée de l'envoi snivant :

Et toi, Garnoau, salut ! salut à ta niéuioire, Fidèle historien de toute cette gloire ! Poète enthonsiaste et modeste éruidit. Au-dessus de ce cadrL' ininiense et ]>oéti(]U(',

Ainsi qu'un médaillon antique.

Ton nulle ]m>fil resplendit !

Tu chantas nos exploits ; nos héros, tu les comptes ;

Avec que! sentiment d'or<>-ueil tu nouis i^iicontes

Le passé de ce peu]de héroïcpie et chrétien ! . . .

Mais, parmi les grands noms exhumés par ta plume, Jl en nianque un dans ton volume. Et ce nom, Garneau, c'est le tien !

348

Eh bien! nous ly mettrons, nous, tes humbles disciples! Ton génie a tressé des couironnes multiples Pour tous nos ]\Iarius et pour tous nos Catons : Xous voulons droit sacré, dettes nationales !

Que ton nom vive en nos annales,

Et se lise à tous nos frontons !

(2) Cette pièce, adressée aux membres de l'Institut canadien de Boston, se terminait par cet envoi :

Enfants du Canada, fils -de la noble France. Qui vivez étrangers sous un autre horizon, Yous pouvez réclamer de ce double blason La fière et franche indépendanee.

Non seulement la France a porté la clarté Jusqu'aux confins perdus de funivers sauvage; Elle a jeté partout, terrassant resclavage, Le germe de la lil)erté.

Vous avez, je le Siais, conservé ce prestige; Votre Institut s'en montre inflexible soutien; Vous portez pour devise un mot fier et chrétien : Ajoutez-y : Noh lesse oblige !

(3) Cette parole de François I*""^ se trouve consignée presque ver- hatim dans Garneau.

On trouvera, au commencement de cette pièce, une ressem- blance bien prononcée avec une autre pièce signée par un autre que moi. En comparant les dates, on verra lequel des deux a plagié l'autre. Du reste, il serait fastidieux de signaler chaque page de ce livre qui a largement servi à certain copiste en quête d'inspiration.

"Le monarque, qui avait conservé le goût des entreprises loin- taines, se voyant en paix avec ses voisins, agréa le projet de son ami- ral (Philippe de Chabot), et en confia l'exécution à Jacques Cartier, habile navigateur de Saint-]\Ialo. Lorsque la nouvelle en parvint aux rois d'Espagne et de Portugal, ils se récrièrent. '' Eh ! quoi, " dit en riant François 1er quand on lui rapporta leurs prétentions, " ils partagent tranquillement entre eux toute TAmérique sans souf-

34 'J

" frir que j'y premio part comme leur frère! Je voudrais bien voir " l'article du testament d'Adam qui leur lègue ce vaste héritage !" (Garneau, Hist. du Canada.)

(4) "Après la célébration 'des saints mystères, toute la troupe s'a- vança jusque dauis le chœur de la cathédrale, et vint se ranger autour du trône, l'évêque de Saint-^Ialo. ^Igr Bohier. revêtu des orne- ments pontificaux, a])pela sur eux et sur leur expédition toutes les grâces du ciel, et leur- donna sa bénédiction. Cet acte solennel fut le sacre de la France américaine à son berceau." (Iv'abbé H.-R. Casgeaix. Hist. de la M. Marie de V Incarnation.)

(5) Jacques Cartier quitta Saint-]\[alo avec sa flottille, compasée delà GramJc-Ucrrninc. de la Pctite-IIermine et de VEnicriUon. le 19 mai 1535.

(6) Les découvreurs entrèrent dans le bassin de Québec le- J-i septembre 1535.

(7) Conmie les historieus ne sont pas d'accord sur l'endroit s'est dite la première messe au Canada, l'auteur a préféré s'en rapporter à une vieille tradition, très plausible du reste, qui veut que cette cérémonie ait eu lieu au conlluent du Saguenay et du Saint-Laurent, oii s'élève aujourd'hui le village de Tadoiissac. Ce fut d'ailleurs à cet endroit que fut construite la première cliai)elle.

(8) Louis Hébert, apothicaire de Paris, herboriste passionné, grand ami de l'agriculture, suivit Poutrincourt en Acadie dès 1604, et commença des cultures à Port-Eoyal. Cet établissement ayant été ravagé par les Anglais de la Virginie (1613), Hébert retourna eu France, puis repartit (KilT) avec sa famille pour aller se fixer à Québec, il fut k' premier colon du Canada qui se nourrît du pro- duit de la terre. (Rexjamix Sulte, Sotes inédites.)

(9) Ce fut le 17 mai 1042 que de Maisouneuve prit pied à l'en- droit que, trente et un ans auparavant. Champlain avait choisi pour y fonder l'établissement qui devait être plus tard :\Lmtréal.

23

350

Les détails de cette pièce .sont strictement liistoriques. Voici com- ment Parkman raconte ce curieux épisode :

" Ils s'agenouillèrent dans un religieux silence au moment riiostie s'élevait; et, quand la cérémonie fut tenninée, le prêtre se retourna et leur adressa ces parolas : "Vous êtes un grain de séne- " vé, qui va germer et grandir jusqu'à oe que ses rameaux ombragent " la terre. Vous êtes peu nombreux, mais votre œuvre est celui de " Dieu. Son sourire est sur vous, et vos enfants rempliront la con- "trée." L'après-midi s'écoula; le soleil sombra derrière les monta- gnes du Couchant, et la liunière fit place au crépuscule. Des lucioles voltigeaienit dans la plaine assombrie. On s'en empara, et on les at- tacha à des fils en festons étincelants qu'on suspendit sur l'autel, le Saint-Sacrement était resté exposé. Alors" on planta les tentes, on alluma les feux de bivouac, on plaça les sentinelles, et chacun se reti- ra pour donnir. Telle fut la nuit naquit Montréal." (The Jesuits m North America.)

(10) Mlle de Verchères, l'héroïne de cet épisode, naquit en 1678. Elle s'appelait Madeleine; on comprendra que c'est par ra]>])roc]icm('nt (pic ranrcnr lui doiinc un autre prénom. Ce fut en liJSyi qu'elle acconqdit cet exploit. Plus tard, elle épousa Pierre-Thomas Tarieu do Lanaudière, seigneur de Sainte-Anne- de-la-Pérade. !

(11) "On était rendu aux premiers jours du mois d'août (1689), et rien n'annonçait un événement extraordinaire, lorsque, tout à coup, quatorze cents Iroquois traversèrent le lac Saint-Louis, dans la nuit du 5, durant unei tempête de grêle 'et de pluie qui les favorise, et dé- barquent en silence sur la partie supérieure de l'île de Montréal. Avant le jour, ils se sont placés par pelotons, à toutes les maisons, sur un espaice de plusieurs lieues. Les habitants sont plongés dans sommeil. Les Iroquois n'attendent plus que le signal: il est don- né. Alors s'élève un effroyable cri de mort; les portes sont rom- pues, et le massacre commence j^artoiit en même temps. Les sauvages égorgent d'abord les hommes; ils mettent le feu aux mai- sons qui résistent, et lorsque la flamme en fait sortir les habitants, ils épuisient sur eux tout'ce que la fureur et la férocité peuvent inven- ter. Ils ouvrent le sein des femmes enceintes, pour en arracher le fruit qu'elles portent, et contraignent les mères à rôtir vifs leurs enfants. Deux cents personnes périssent 'dans les flammes. Un grand nondore d'autres sont entraînées dans les Cantons pour y souffrir le même supplice. L'île est inondée de sang et ravagée jus-

351

qu'aux portes de la ville de Montréal. De là, les Iroquois pass^ent sur la rive opposée; la paroisse de La Ohenaie est ineemdiée tout entière, et une partie des habitants est massacrée." CGaexeau, Hist. du Canada.)

(12) Les principaux martyrs de la foi au Canada sont : le P. Viel, nové par les Hurons, au Saut-au-Rçcollet, en 1630 ; le missionnaire de îTouë, trouvé gelé dans les îles de Sorel, en 1646 ; le P. Jogues, martyrisé par les Agniers, eu IG-tT; les PP. Daniel, de Brébeuf, Lallemand, Chabanel, Ganiier, Butteux, Lié- geois, Gameau, Le Maître, massacrés par les Iroquois, de 1648 à 1661 ; et enfin le P. Rasle, tué au seuil de sa chapelle, par les Anglais, en 1727. Les supplices que les sauvages faisaient subir à ces héroïques missionnaires étaient épouvantables. On les traî- nait pieds nus, durant des semaines, à travers la forêt, quelquefois sur le sol glacé, j^l^is on les forçait de marc>her sur des charbons ardents ; on les meurtrissait de coups ; on leur labourait la ohair avec des aiguillons enflammés ; on leur arrachait les ongles ; on leur coupait les phalanges avec les dents, puis on leur fumait les doigts ainsi mutilés dans des pijjes brûlantes ; on rouvrait leurs plaies et on les laissait béantes jusqu'à ce que les vers s'y missent ; on les attachait à des poteaux, de façon qu'ils ne pussent se reposer un seul instant, et dans cette position, on leur passait autour du cou des colliers de haches rougies à la flanmie, et autour du corps des ceintures d'écorce enduites de gomme et de résine en feu ; on leur arracbait la chevelure, puis on leur versait de l'eau bouillante sur le crâne, que l'on recouvrait ensuite d'une couche de braise; on leur enlevait des lambeaux de ohair, qu'on faisait griller et qu'on dévorait ensuite sous leurs yeux ; enfin tout ce que la plus horrible férocité pouvait imaginer était mis en œuvre par ces barbares ]X)ur torturer ceux qui leur apportaient, au prix de tant de peines et de sacrifices, les bienfaits du christianisme et de la civilisation.

35?

(13) L'épisode qui fait le sujet de cette i)ièce n'est pas stricte- ment historique. ^Mais les faits analogues étaient d'occurrence journalière dans les premiers temps de la colonie. Le terrible souvenir s'en est peri)étué juscpi'à nos jours parmi la population canadienne. On n'y ])arle jamais de C'roquemitaine aux enfants récalcitrants; on dit: Les sauvages vont renir I

(14) Cavelier de la Salle était natif de Rouen. Tl découvrit les bouches du ^Iississi])i en février 1682, et fut massacré par ses compagnons le 21 mai 1687. On lui a élevé un monument commé- moratif dans la cathédrale de Rouen, le 2(; mai is.st. C'est pour cette occasion qu'a été comjtosée la ])réseut(' ])iéce ce qui ex- plique l'allusion qui la termine.

(15) Cette fameuse ex]x'dition partit de Montréal en mars 1686 ; elle atteignit la baie d'IImlson le 18 juin. Sa nuirche avait donc duré trois mois. La petite armée se com]x>sait de soixante-dix Canadiens commandés par d'Iberville, et de trente soldats sous les ordres de M. de Troves. La description que l'auteur fait des difficultés, des fatigues et des dangers que cette petite armée eut à affronter n'a rien d'exagéré. Arrivés à la l)aie d'Hudson, ces héros s'emparèrent des forts Monsonis, Eupert et Sainte-Anne; ce der- nier était armé de quarante-trois pièces de canon. "Pendant que le chevalier de Troyes donnait l'assaut à ce fort, dit Garneau ]>arlant du fort Rupert, d'Iberville et son frère Maricourt, avec neuf hommes montés sur deux canots d'écorce, attaquaient un bâtiment de guerre sous la place et le prenaient à l'abordage. Le gouverneur de la baie d'Hudson fut au nondiie des prisonniers."

(1<>) Mme de la Peltrie, fondatrice des ursulines de Quél)ec, fut l'une des plus belles figures de notre histoire. Elle s'ap]^elait de son nom propre Marie-Madeleine de Chauvigny, et appartenait à la haute noblesse normande. Elle épousa, i\ dix-sept ans, un jeune gentilhomme du nom de La Peltrie, qui mourut cinq ans après.

353

Alors elle déeitla de consacrer sa vie et sa fortune à rinstruction des petits sauvages du Canada. Mais son ])ère, qui Fadorait. vou- lait la marier à un certain M. de Bernières. Elle s'entendit avec ce dernier, qui lui-même avait fait vœu de chasteté, pour sinnder un mariage ; et, son père étant mort, elle s'embarqua à Dieppe, le 4 mai 1639, pour le Canada, avec cini] autres religieuses, au nombre desquelles se trouvait la fameuse Marie de rincarnation. En tou- chant la terre du Canada, toutes se jetèrent à genoux et baisèrent le sol. Le vieux frêne dont il s'agit iei se trouvait enclavé dans la cour du monastère fondé par la sainte veuve, et la tradition veut que ce soit sous son ombrage qu'elle allait s'asseoir de préférence pottr enseigiier la lecture et le catéchisme aux petites filles des Hurons. Quand il fut renversé par une tempête, le 24 juillet 1867, on l'appelait encore '' le frêne de Mme de La Peltrie ".

(17) " En IGGO, seize jeunes Français, commandés par Daulac, furent attaqués par sept cents Iroquoi*, dans un méchant fort de pieux, au pied du Loug-Sault; avec l'aide d'une cinquantaine de Hurons et d'Algonquins, ils repoussèrent tous les assauts pendant dix jours. Mais. al)andonnés à la lin ])ar la phipart de leurs alliés, ils ne purent résister à une dernière attaque et succombèrent. L'un des quatre Français qui restaient encore avec quelques Hurons, lorsque l'emienii pénétra dans l'intérieur du fort, voyant tout perdu, acheva à coups de haches ses compagnons blessés, pour les empêcher de tom- ber vivants entre les mains du vainqueur. Le dévouement de Daulac arrêta les premiers efforts d'un orage qui allait fondre sur le Canada, car les ennemis, qui avaient essuyé des pertes très considérables, fu- rent si effrayés de cette résistance, qu'ils abandonnèrent une grande attaque qu'ils venaient de faire sur Québec, la nouvelle de^ leur approche avait répandu la consternation. Après s'être emparés de cette ville, leur projet était de se rabattre sur les Trois-Eivières et sur Montréal, et de mettre tout à feu et à sang dans la campagne... En Huron. échappé par hasard au massacre du Long-Sault, annonça aux hal)itants la retraite de l'ennemi." (Gaeneau, Hist. du Ca- nada.)

(18) Cette touchante histoire est strictement historique. La complainte ainsi trouvée sur le cadavre du pauvre Cadieux a

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été longtenijjs })()pnlaii'o. La voici, telle que nous l'a transmise la tradition :

Petit rocher clo la haute montagne. Je viens finir ici cette campagne; Ah ! doux échos, entendez mes isou]iirs ; En languissiant je vais bientôt mourir !

Petits oiseaux,, vos douces harmonies, Quand vous chantiez, me rattach'nt à la vie; Ali! si j'avais des ailes comme vous, Je s'rais heureux avant qu'il fût deux jours.

Seul en ces hois que j'ai eu de soucis. Pensant toujours à mes si chers aanis; Je demandais: Hélas! sont-ils noyés? Les Iroquois les auraient-ils tués?

Un de ces jours que m'étant éloigné,

En revenant je vis une fumée;

Je me suis dit: Ah! grand Dieu, qu'est ceci?

Les Iroquois m'ont-ils pris mon logis?

Je me suis mis un peu à l'ambassade, , Afin de voir «si c'était emlniscade;

Alors je vis trois yisages français; M'ont mis le cœur d'une trop grande joie!

Mes genoux pli'nt, ma faible voix s'arrête; Je tombe. . . Hélas! à partir ils s'apprêtent. Je reste seul ! Pas im qui uie console, Quand la mort vient par un si grand désole !

Un loup hurlant vint jirès de ma cabane Voir si mon feu n'avait pas de boucane; Je lui ai dit : Eetire-toi d'ici, Ou, par ma foi, je perc'rai ton habit !

Un noir corbeau, volant à l'aventure, . Vint se percher tout près de ma toiture; Je lui ai dit: Mantgeur de chair humaine. Va-t'en chercher autre viande que mienne !

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Va-t'en là-bas, clans ces bois et marais. Tu trouveras plusieurs corps iroquois; Tu trouwras des chairs, aussi des os; Va-t'en plus loin, laisse-moi en repos î

Eossignolet, va dire à ma maîtresse, A mes enfants qu'un adieu je leur laisse. Que j'ai g-ardé mon amour et ma foi. Et désormais -faut renoncer à moi!

C'est donc ici que le mond' m'abandonne ; Mais j'ai recours à tous, Sauveur des hommes ! Très sainte Vierge, ne m'abandonnez pas ! Permettez-moi d'mourir entre vos bras !

(19) Voici les proprets paroles de Fronten?i.c: Allez dire à *votre maître que je hii répondrai par la hoaclie de mes canons! Cela se passait le IG octobre 1690.

(20) Ce drapeau, pris sur l'ennemi dans des circonstances si extraordinaires, resta jusqu'en 1759 suspendu aux voûtes de la cathédrale de Québec, et fut détruit avec elle dans l'incendie allumé par les bombes que la flotte de Wolfe faisait pleuvoir sur la ville assiégée. Ce M. de Sainte-Hélène, qui accomplit ce prodi- gieux exploit, était de la famille d'Iberville. Une médaille fut frappée en souvenir de cet échec de Phipps devant Québec.

(21) Voici les noms des huit vaisseaux de sir Hovenden Walker, qui périrent, dans cette circonstance, sur les rochers de l'Ile-aux- Œufs, le 22 août 1711: VI sabel la- A nn-Cathrin, le Chatam, le Marlborough, le Merchant of Smyrne, le Colchester, le Nathaniel- EUzaheth, le Samuel-A?in, et le Content. Les rapports constatent

à peu près onze cents victimes. C'est à cette occasion que l'église de Îs^otre-Dame, dans la basse ville de Québec, reçut le nom de

Notre-Dame-des-Victoires.

(22) La bataille de Carillon, sur les bords du lac Saint-Sacre- ment, eut lieu le 8 juillet 1758. Montcalm, à la tête de trois mille

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six cents Canadiens, après six lienres de Intte, y battit quinze mille hommes commandés par le général Abercromby. Pertes du côté .des Français. 377 ihoninies dont 38 officiers; du côté des An- glais, on avoua 2000 hommes, dont 126 officiers: mais toutes les relations françaises parlent de quatre ou six mille hommes tués ou blessés. Le soir de la bataille, l'heureux vainqueur écrivait à M. Doreil, son ami : '" L'armée, et trop petite armée du roi, vient de battre ses ennemis. Quelle journée ]inur la France! 8i j'avais eu deux cents sauvages pour servir de tête îi un détacheonent de mille hommes d'élite, dont j'aurais confié le comnumdement au chevalier de Lévis, il n'en serait pas échappé beaucoup dans leur fuite. Ah! (|nelles tr(iu])C's, nmn cher Doreil, cpie les nôtres! Je n'en ai jamais vu <1(' parciUes! " le lendemain, il écrivait à ^F. de Vaudreuil : '' Je n'ai eu que la gloire de me trouver le général de troupes aussi valeureuses. . . Le succès de l'affaire est à la valeur incroyable de l'officier et du sohlat.''

(23) (V4te précieuse relique, qu'on a})})elle le "Drapeau de Carillon ", est aujourd'hui la propriété de l'université de Québec. File a fait le sujet d'nn célèV)re poème d'Octave Crémazie.

(24) Wolfe avait, dans la nuit du 12 au 13 sejDtembre 175»j, par un sentier al)ru])t, ré])uté impraticable, pu faire atteindre à son armée le haut de l'escarpement, d'où ce qu'on appelle les ])laines d'Abraham dominent (Québec. Ce sentier était défendu par un poste commandé par un nommé Vergor, qui fut pris dans son lit. Ce même Vergor, trois ans auparavant, avait rendu sans combat le fort de Beauséjour dont il était commandant. Son nom est resté en exécration.

" Accusé, dit Clarneau, devant une cour martiale, pour la reddi- tion de ce fort, il avait été aeqidtté, grâce aux intrigues 'de l'In- tendant. Il était capitaine dans les troupes de la marine. C'est à ce favori bien digne de lui que Bigot écrivait un jour en partant pour la France, d'où il ir'aurait jamais revenir: "Profitez, mon cher "Vergor, de votre place ; taillez, rognez, vous avez tout ;pouvoir, afin "que vous puissiez bientôt venir nie rejoindre en France, et acheter " un bien à portée de moi."

357

(25) Montcalm avait écrit au ministre de la guerre: " Xous combattrons et nous nous ensevelirons, s'il le faut, sous les ruines de la colonie.''

A cette fameu.^^e bataille «rAlu-aliani, les Anglais étaient deux courre un.

(2ii) "Bigot était l'intendant de la colonie. Margry dit de lui : "Bigot n'avait jamais assez d'argent pour le dissiper." Ces employés publics, l'intendant Bigot à leur tête, parvinrent, à une époque suprême oii les conjectures ne permettaient point de porter remède aux maux, à accaparer toute la fourniture du roi : 'elle s'éle- va à plus de quinze millions à la fin de la guerre. . . Il (Bigot) fai- sait enlever au nom du roi les grains et le? bestiaux à bas prix, et les faisait revendre par la Société à des prix excessifs. Ainsi le pain, qui revenait à la compagnie à 3 sous la livre et la viande à 6, coûtait au public de 20 à 30 sous, et de 40 à 50 sous. On assure qu'il ré- duisit les habitants de Québec à deux onces de pain par jour, afin de hausser le prix des denrées... Les déprédations de cette Société étaient presque aussi funestes que les entreprises de l'ennemi .... T.a récolte avait entièrement manqué. Dans plusieurs paroisses, on avait à |x^ine recueilli les semences... Dans les maisons religieuses, la portion journalière fut réduite à une demi-livre de pain par tête; et il fut proposé de fournir aux habitants des villes une livre de bœuf, de cheval ou de morue sèche par tête, outre le quarteron de pain qui leur était distribué alors, et qui fut jugé insuffisant. . . En décembre 1758, la ration fut encore amoindrie... Il v avait long- temps que le j^euple, à Québec comme à ^lontréal. ne mangeait pres- que plus de ])ain. et que les officiers même, à Québec comme à Mont- réal, n'en avaient qu'un quarteron par jour. . . Au mois d'avril sui- A'ant (1759), on fut obligé de réduire encore la ration des habitants de Québec, et de la fixer à deux onces de ]>ain et à huit onces de lard ou de morue par jour. On vovait des homanes tomljer de fai- blesse dans les rues par défaut de nourriture. Plus de trois cents Aeadiens réfugiés moururent do misère et de faim."' (Garxeaf, Hist. du Canada.)

(27) Bataille de Sainte-Foje, 28 avril 1760. Ce fut la dernière que se livrèrent chez nous les deux puissances ennemies si l'on en exeepte le combat de VAfalanie, une résistance désespérée et non une l)ataille. Le chevalier de Lévis, plus tard maréchal de France, y sauva riuanieur du (li'a]i('au ])ar une dcruièi'c victoire.

358

(28) "Tout ce que les Français pouvaient faire, c'était de garder leurs lignes en attendant des secours d'Europe... De leur côté, les assiégés n'attendaient de salut que de l'arrivée de leur flotte. Ainsi, de part et d'autre, la croyance générale était que la ville resterait au premier drapeau qui paraîtrait dans le port . . . Aussi, tout le monde, ajsisiégés. et assiégeants, tournait-il, avec la plus xixe anxiété, les yeuz vers le bas du fleuve, d'où chacun espérait voir venir le salut. . . Le 9 mai 17G0, une frégate entra dans le port." (Garneau, Ilist. du Canada.)

C'était une frégate anglaise, suivie bientôt par deux autres gros vaisseaux de guerre, appartenant à la même nationalité. Cette pièce fut écrite en 1883, à l'occasion du cinquantenaire de l'arrivée an Canada de M. le docteur Picault, ancien vice-consul de France à Montréal, liélas ! disparu aujourd'hui. Elle était accom- pagnée de l'envoi suivant :

Hier, en relisant cette navrante page Déjà par plus d'un -siècle effacée à demi. Je vous nommais. Monsieur; car, après ce naufrage. L'un des premiers Français que revit notre plage, Ce fut vous, ô mon vieil ami !

Cinquante ans vous avez vécu notre existence. D'exemples nous donnaiit tout ce qu'on peut donner: Merci ! Si de ces jours de deuil et de souffrance, Xotre amour avait pu tenir compte à la France, A'ous nous auriez fait pardonner !

(29) M. Faucher de Saint-Maurice a admirablement raconté cet épisode héroïque dans un important travail intitulé: Un des oubliés de notre histoire, et préparé pour la Société Royale du Canada. J'ai emprunté à ce travail certains détails dont nos autres historiens ne font pas mention. De retour en France, Yauquelain voulut entrer dans la marine royale. ]\[. de Berryer, secrétaire de la Marine, lui fit répondre qu'il ne pouvait donner aucun grade à un roturier, quand plusieurs fils de famille attendaient des promo- tions. ^Malgré l'avis du ministre, il obtint cependant un l)revet de lieutenant de vaisseau en 1703. Le mémoire cité par ^1. Faucher de Saint-Maurice ajoute :

359

" L ne grande imrtie de la marine royale ne le vit pas sans peine élevé à ce grade. M. de Praslin, ayant besoin d'un officier capable de s'acquitter d'une commission importante dans les grandes Indes, donna, par commission, le commandement d'un vaisseau de soixante canons à Yauquelain. Ce choix excita encore la jalousie de la ma- rine royale, qui opposa plu^ieure obstacles à son départ. Yaucpie- lain en triompha et sortit cle Kochefort pour se rendre aux grandes Indes. Pendant la traversée, cet officier de fortune essuya les plus grands désagréments delà part des officiers du vaisseau qu'il com- mandait. Enfin, il arriva heureusement à Pondichéry, remplit avec distinction sa mission, et revint en France. M. le 'duc de Praslin n'était plus alors ministre de la marine, et celui qui lui avait succé- dé, faute de connaître Yauquelain ne put se garer des rapports de la calomnie. Dès que ce brave marin eut mis pied à terre, on lui en- joignit de rester aux arrêts dans son département... Après trois à quatre mois de détention, Yauquelain reçut l'avis qu'on lui rendait sa liberté. Le premier usage qu'il crût devoir en faire fut d'aller à Versailles rendre compte de sa traversée des Inides. Mais, avant de partir, la reconnaissanc-e lui fit un devoir de saluer et de remercier plusieurs officiers de marine, qui n'avaient point rougi de le visiter dans sa disgrâce. Il sortit, à cet effet, sur le soir, et fut trouvé mort le lendemain matiii. percé de coups, sans qu'on en ait counu les au- teurs."

Le héros fut soleunellenient réhabilité sous Louis XIV.

(30) La famille Sauriol existe encore aux environs de ^Montréal, et c'est chez elle qu'a été recueillie, par un confrère journalisfie,, M. Stanislas Coté, la tradition qui forme le fond du sujet traité ])ar l'auteur.

(31) Voici les noms des cinq exconnnuniés dont il s'agit dans cette pièce: Marguerite Eaciue, célibataire, âgée d'environ trente ans, morte au mois de mars 1784; Laurent Racine, cou- ein germain de la i^récédente. et mort trois ou quatre semaines après, âgé aussi d'environ trente ans; Félicité Doré, épouse de Charles Dubord, âgée de cinqnanteJiuit ans, morte environ trois mois après les précédents; Pierre Cadrain, mort en 1786, à l'âge de soixante-dix ans; Jean-Baptiste Racine, père de Lau- rent Racine, plu? haut nommé, mort eu 1788, à Vâge de soixante-

3G0

sept ans. Ils fui-ent enterrés dans nn ohamp, an qnatrième rang ■deis concessions de la paroisse de Saint-Miclicd de Bellecliasse, à six mètres du chemin royal, sur la terre ai)partenant alors à nn nommé Cadrain, et aiij<Mird*lnii la ])ropriété do ]\r^[. François et Joseph Ponliot. Cet endroit était autrefois redouté des passants. D'après les croyances populaires, on y voyait des fantômes, des apparitions. En octobre 1<S80, à la demande des propriétaires du terrain, on fit l'exhumation des cinq cadavres, pour les confier au cimetière réservé aux enfants morts sans baptême. On trouva les cercueils presque intacts et les ossements bien conservés. L'excom- munication avait été prononcée par Mgr Briand, alors évêque de Québec. L'auteur n'a pas l'intention, dans cette pièce, de blâmer une mesure (|ui, si rjo-oureuse qu'elle paraisse au premier abord, était peut-être rendue nécessaire par les circonstances. On sait ce qui arriva aux pauvres Acadiens qui ne voulurent point se sou- mettre au scn-t des armes. Leur dispersion légendaire fut le prix de leur patriotisme. L'évêque de Québec voulut ]U'ol)ablement préserver notre peuple d'un pareil nuilheur.

Mgr Briand était en France.

Cette pièce, lue à un ])an(piet donné à ^Montréal en rimnneur d'un député français de passage au Canada, était suivie de cet envoi :

Ami, vous retournez nu l>eau pays de gloire (^u'on appelle la France, et qu'on aime à genoux; Si l'on vous y parle de nous, Eaeontoz cette liistoire !

(.'3:>) Jean-Baptiste Cadot (on écrit aussi Cadau) était à Batiscan en 1723. Il se mêle naturellement une bonne partie de légende dans cette histoire du Drapeau fantôme. Elle a ]dutôt été recueillie dans les traditions populaires que chez les historiens, qui en font à peine mention. Mais le fond en paraît on ne peut plus authentique.

3G1

(33) "Il ( Montraliu ) fut enseveli, dit Garneau. à la lueur des flambeaux, dans l'église des religieuises ursulines, en présence de quel- ques officiers; il eut pour tombeau une fosse qu'une bombe en écla- tant avait creusée sous la chaire, le long du mur."

Wolfe ]X)ssède un niagiiitique mausolée dans Fabbaye de West- minster, à Londres. L'obélisque de (Québec fut inauguré le 8 septembre 1828, jour anniversaire de la capitulation de Montréal.

(34) ''L"n despotisme sourd s'étendait sur les villes et les cam- pagnes ... Le seeret des correspondances privées était violé . . . Cha- que jour, des citoyens imprudents étaient jetés en prison avec grand bruit pour effrayer le public: d'autres, plus dangereux, disparais- saient soudain, et ce n'était (|ue longtemps après que leurs parents ou leui-s amis apprenaient dans quel cachot ils étaient retenus.... Cette tyrannie inquiète, d'autant plus lourde qu'elle s'exerçait sur une population faible en noml)re, descendit du chef du pouvoir anx juges dans les tribunaux. Les aecuisés étaient atteints non seule- ment dans leur liberté ijersonnelle, mais dans leur fortune. Plu- sieurs furent ruinés par des dénis de justice ou par des jugements iniques, rendus sans scrupule, au mépris de toutes les lois et de toutes les formalités de la justice. De riches citoyens des villes fu- rent dépouillés de leurs biens par ce s^-stème de pei-sécution . . . Sans aucune forme de iirocès. les soldats arrêtaient les nns sous de vao-ue-; accusations de haute trahison, les auti^es pour des c^iuses moins gra- ves, d'autres enfin 'sans cause connne. On commença par les per- sonnes de moindre importîince, et l'on remonta à celles des premiers rangs de la société. Ainsi, MM. Joutard, Hay, Carignan. Dufort, négociants; M. de Sales-Laterrière, ' directeur des forges de Saint- Maurice, et ]\r. Pellion. furent détenus à bord des vaisseaux de guerre, à Québec, ou jetés dans les cachots, sans qu'on leur eût don- né connaissance des accusations portées contre eux... Les prisons ne pouvant bientôt plus suffii-e, le couvent des récollets fut ouvert pour recevoir les nouveaux siLS]3ect?. l'n nommé André y fut détenu dix-huit mois au pain et à l'eau, sans que sa femme sût ce qu'il était devenu. Les prisonniers demandaient vainement leur procès ou leur lil>erté: on était sourd à leurs prières; et quand enfin le gou- vernement avait reconnu leur innocence, croyait les avoir assez pu- nis, ou ne craignait pins leu.rs idées, il les élargissait sans leur don- ner aucune explication." (Garxeau, Hisf. du Ca)wâa.)

Du Calvet fut arrêté le 27 juillet 1780. Après deux ans et huit mois de détention, il fut remis en liberté, sans qu'on lui eût même

362

dit quel était son crime. C'est en juillet 17s4 qu'il lança son livre à Londres, livre écrit en prison probablement.

'' Le c-ri poussé par Du Calvet, eut un tel retentissement que le ministère anglais fut forcé de faire mine de vouloir amener Haldi- niand à sa barre ; et Du Calvet quitta Londres pour aller chercher au Canada les pièces propres à instruire le procès.

" Ce fut pendant ce second voyage, dans lequel il était accompagné de son fils unique, âgé de neuf ans, que tous deux disparurent du navire sans qu'on ait jamais pu rendre coiupte de leur disparition." (J. (t. Barthe, Canada reconquis.)

" Je le regarde, dit B'enjainin Suite dans une note inédite, comme celui qui a le plus contribué à faire enti'er les ministres de Londres dans la voie qui aboutit à notre constitution de 1791."

(35) " On n'avait que trois cent* Canadiens et quelques Ecossais et sauvages à opposer sur ce point (Chateauguay) aux sept mille Américains qui arrivaient avec Hampton. Mais le colonel de Sala- berry était un officier expérimenté et doué d'un courage à toute é]3reuve. . . Telle était l'ardeur de ces gens, qu'on vit des voltigem-s traverser la rivière à la nage,, sous les balles, pour aller forcer les Américains à se rendre prisonniers. Hanij)ton, dont toutes les me- sures étaient dérangées, et qui croyait les Canadiens beaucoup plus nombreux qu'ils ne l'étaient, prit aloi^ la résolution d'abandonner la lutte. Ainsi, trois à quatre cents hommes en avaient vaincu sept mille, après un combat opiniâtre de quatre heures ... La victoire de Cha- teauguay eut toutes les suites d'une grande bataille, et à la nouvelle de la retraite du général Hampton, Wilkinson, dont l'armée était à Cornwall et à Saint-Régis, sur le Saint-Laurent, convoqua aussitôt un conseil de guerre. 11 y fut décidé que l'attaque de Montréal se- rait abandonnée. . . Ainsi la résistance' heureuse de quelques com- pagnies de milice détermina la retraite d'une armée de quinze à vingt mille hommes, et fit manquer le plan d'invasion le mieux; com- biné que la république des Etats-Unis eût encore fonné pour la con- quête du Canada." (Garxeau, Hist. du Canada.)

(38) Historique.

(39) "Beaucoup n'avaient point d'armes; ils s'en plaignirent à Chénier, qui leur répondit froidement: "Soyez tranquilles, il y "en aura de tués parmi nous; vous prendrez leurs fusils." (G-AR- XEAU, ll'ist. du Canada.)

(40) Historique.

3C3

(41) Quatre-viiigt-dix-iieuf furent condamnés à mort, mais ou n'en exécuta que douze. Voici leurs noms: Cardinal, député; De Lorimier, notaire; Diiquet. vingt et un ans, étudiant; Xirola.-^, TIamelin, Daunads, Robert, Narhonne, De Coigne, les deux San- guinet, et enfin Charles Hindelwng, jeune Français auquel l'auteur consacre une pièce en particulier. Les autres furent envoyés en exil, d'oii ils ne revinrent qu'au bout de six ans.

(42) Les insurgés s'étaient fal)riqué des canons eu chêne cerclé de fer. Ils ne purent même pas s'en servir, un traître les avant encloués.

(43) Un soir que l'auteur avait lu cette pièce en présence de quelques jDersonnes distinguées de liantes, les lettres ont tant de fidèles, et le patriotisme tant d'admirateurs, il trouva, sur le dos de son manuscrit, les vers suivants, qui venaient d'y être crayonnés au courajit de l'improvisation :

0 Canada français, perle du nouveau monde. Toi qui fus notre enfant, espère en l'avenir; Dans nos esprits fougueux la mémoire est profonde, Et nous n'avons jamais perdu ton souvenir.

Sur tous nos autres tils, fier de ton droit d'aînesse, Tu gardes notre empreinte avec un soin jaloux; Et, puisque sur ton front brille encor la jeunesse. Tu dois avoir aussi l'espérance : attends-nous !

A notre Alsace en deuil comme à notre Lorraine, Qui gémissent toujours aux serres des vainqueur, Denuande si le temps peut glacer notre veine, Si l'ombre de l'oubli peut envahir nos cœurs !

Vers la douce lueur de ta lointaine terre,

La France jette aussi ses regards éperdus;

Et dit, en te pleurant comme pleure une mère :

]\Ies fils les plus aimés sont ceux que j'ai perdus !

Ces strophes étaient signées: Adine Rio)n, un nom mieux

3G4:

coiiim diin> les lettres françaises, sous les pseudoiiyines de Louise d'Isolé et de Comte de Saint-Jean. Celle qui les a tracées est au- jourd'hui disparue : à sa mémoire uu souvenir ému, au nom du petit peuple dont ce livre a la prétention d'esquisser la patriotique légende. M. Auguste-E. Aubrv. dont il est fait mention dans cette pièce, est mort professeur à l'université catholique d'Angers.

(44) La Capricieuse, corvette commandée par ^L de Belvèze, et qui mouilla daus le port de Québec le 13 juillet 1855, était le pre- mier vaisseau de guerre français qui fût entré dans les eaux du Saint-Laurent depuis la cession du paya à l'Angleterre. Sa visite fut \v signal de fête? .■ntorniinables et des démonstrations les plus touchantes. Cette pièce était adressée aux marins de la Magicienne et du Dunionf d'Un-ilJe. qui visitèrent ^fontréal en 1882.

(45) Cet épisode est absolument historique.

(4(3) Les Métis du Xord-Ouest. qui avaient pour chef Louis Eiel, sont descendants de Français unis à des indigènes. Ils foruicnr une race Ti part.

(47) La nation a répondu à cette attente de l'auteur. Les élec- tions d'octobre ISSH ont condamné le gouvernement de Québec, qui avait été tro]) faible jxiur ])rorester contre l'exécution de Louis Riel, et porté au pouvoir le chef libéral, ^L Honoré ^rorcier. que le gou- vernement français a fait officier de la Légion (riiouneur. ^I. ^Mer- cier était non seulenirnr uu oi'atcur l)rilhint et ])rofond. mais encore un homme d'Etat su])('i-icur et un vailhint caractère. Sous sa conduite, le Canada français a vu ses jours les plu- brillants. A quel(|ue chose malheur est bon.

Le grand patriote s'est éteint le 30 octobre 1894, en laissant derrière lui un souvenir légendaire.

(48) C'est sur l'insistance barbare des orangistes que Louis Riel a été exécuté, le IG novembre 1885. Il ne faut pas confondre

365

cette secte fanatique et intolérante, avec le reste de la population anglaise du Canada.

(49) C'est ainslqne Voltaire désignait le Canada, nn ]m_vs qui couvre une superficie presque aussi considérable que celle de l'Eu- rope entière, et qui, à cette époque, comprenait en outre plusieurs des Etats les plus fertiles et les plus vastes de l'Union américaine.

(50) Ces huit strophes sont de celles qu'im certain monsieur s'est permis, non seulemenr de paraphraser avec audace, mais encore, d'en réclamer la paternité en m'accusant de l'avoir plagié.

La chose serait sans importance et je ne prendrais pas la peine d'y faire allusion, si le monsieur n'avait étajé sa prétention, non pas par une aflirmation sous serment suivant son habitude, dé- claration qui vaudrait ce qu'elle pourrait valoir, mais par extra- ordinaire sur un semblant de preuve. Sa paraphrase aurait été lue dans un certain banquet, en 1883, et la première édition de ina Lé(/eiide d'un Peuple n'avait j^aru qu'on 1887.

Je ne conteste point ces dates et j'admets même que le cas serait probant, si ces huit strophes, qui servent de début à l'épilogue de mon volume, n'étaient pas antérieures au livre lui-même, et n'avaient pas été publiées un an avant le banquet dont il s'agit. Ce banquet eut lieu en juillet 1883 si l'on veut, mais ma pièce avait été publiée le 17 juillet de l'année précédente.

Ceux que ces choses intéressent peuvent s'en assurer en feuille- tant, dans les biljliothèques puldiques, la liasse de la Patrie, nu- méro du 17 juillet 1882.

Voici le texte même de la pièce :

Pour le Toast a la Feaxce.

Quand des antiques Jougs l'humanité se lasse; Quand il est quelque pai-t des larmes à tarir, Qui donc à l'horizon voyez-vous accourir? L genoux opprimés, c'est la France qui passe !

24

366

Sans esiDoir et sans Dieu l'enfant de la forêt Traîne-t-il sa misère à l'autre bout du monde. Qui donc va lui verser, la lumière féconde ? Xations saluez ! Car la France apparaît !

De Timniense avenir resplendissant aurore, Pour \-ous joindre en faisceau, peuples de l'univers, Faut-il percer les monts ou rapprocher les mei-s ? Paladin du progrès, la France arrive encore.

Faut-il protég-er riuiiiihle, écraser Attila, Faut-il humilier l'orgueilleux qui s'élève, Vaincre et civiliser par le livre ou le glaive? Vaillant soldat du droit, la France est toujours !

La France est toujours là, même aux jours des naufrages, Comme un phare sublime aux rayons éclatants. Elle se dresse au l)ord des abîmes du temps. De son fliairdx'au superbe éblouissant les âges.

La France est toujours ! semeur des jours nouveaux, Elle va prodiguant la divine semence. Laissant par deri'ière elle une traînée immense D'exemples immoi'tels et d'immoi'tcls li'avaux.

Xobles rives du iîhône, et vous bords de la Loire, Tolbiac, Marignan, CérisoUes, Eocroy, Denain, Ivry, Coutras, Bouvines, Fontenoy, Dites-nous si le monde a connu jilus de gloire !

Et vous, ô Friedland, Flm. Austerlitz, Eylau, Lodi, Wagram, orgueil du drajieau tricolore, Vous qui malgré Sedan éblouissez encore, Dites-nous si l'histoire offre un plus fier tableau !

La France, elle éclipsa tous les héros d'Homère ! Héritière d'Athène et du grand nom romain, C'est le cerveau par oii pense le genre humain. . . Et puis par-dessus tout. Fi-ançais, c'est notre mère !

Montréal. U juillet 1882.

Donc le voleur, ce n'est pas moi,

L. F.

TABLE DES MATIÈRES

XOTEE HISTOIRE. . An TE LU CE. M .. ..

La Renaissance . .

Saint-Malo

Le Saint-Laurent

PROLOGUE

L'Amérique 5^"j|

PREMIERE EPOQUE

27 37 43

47 51

La Forêt -q

808

Pages

Première MESSE 61

Première MOISSON 67

Première NUIT 71

Premières SAISONS 77

Missionnaires ET Martyrs 83

Le Pionnier 89

JOLLIET 99

Cavelier DE LA Salle 109

A LA BAIE D'HuDSON 119

Le Frêne des Ursulines 125

Daulac DES Ormeaux 131

Cadieux 139

DEUXIEME EPOQUE

A LA nage! 151

Apparition 157

Le dernier drapeau blanc 1(35

Les plaines dAbraham 1(59

Dernier coup de 175

U Atalante 181

Fors l'honneur ! 185

Jean Sauriol 195

369

PAr.ES

. . . . 205 Les Excommunies

.. .. 211 Le Drapeau FANTOME

. . . 223 Vainqueur et vaincu

TROISIEME EPOQUE

. . 229 UU Calvet

. . . . 235 Chateauguay

241

Papineau (I)

245

Papineau (II)

. . 253 Saint-jJenis

Chénier 2^^

l'échafaud 269

HlXDELANG '-^'"^

Le A-IEUX PATRIOTE 277

Spes ultima 285

La (Capricieuse -9-^

A lYE LA France! 297

Le gibet de Eiel -"^Oo

Le dernier Martyr -^^^

L'Orangisme , ^^ '

Le Drapeau anglais 319

Nos TROIS couleurs •'^23

q9Q Sous LA STATUE DE A OLTAIRE '^-

370

EPILOGUE

France . Notes. .

Pages . 335

, 347

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FRECHETTE, LOUIS POESIES CHOISIES LA LEGENDE D»UNl PEUPLE.

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